LE DIALOGUE JUDEO-CHRETIEN DE 1945 A NOS JOURS.
Théorie et mise en oeuvre à Strasbourg
par Florence MALHAME
LES TEXTES FONDATEURS
Il a semblé intéressant de comparer les réalités
de la pratique du dialogue et de son impact sur une ville comme Strasbourg,
où les trois communautés cohabitent depuis fort longtemps, aux
textes produits par les différentes autorités religieuses depuis
presque soixante ans. Nous avons donc sélectionné des textes écrits
après 1945 qui font référence dans le dialogue, soit au
niveau mondial, soit au niveau plus local de la France et de l'espace germanique.
Pour cela, nous avons utilisé les revues Sens de 1999
et 2000 sur les textes fondateurs du dialogue, complétées par
le site www.chretiensetjuifs.org.
Sont également utilisés des textes que les responsables des associations
locales, et notamment Mme Cuche, nous ont communiqués, car ils sont significatifs
de la réflexion qui a pu et peut encore être menée à
Strasbourg dans ce domaine. Ces textes sont classés de façon chronologique
et selon la confession dont ils émanent : juifs, catholiques ou protestants,
en ajoutant une catégorie "précurseurs". Dans cette
dernière catégorie se trouvent deux textes, qui ne peuvent être
tout à fait associés à une religion et qui interviennent
très tôt dans le dialogue et servent encore aujourd'hui de références
majeures. Nous allons donc présenter les différents textes utilisés,
les situer dans leur contexte rédactionnel, avant de leur appliquer une
grille de lecture préalablement justifiée. Après cette
étude des textes, y seront confrontés l'action des associations
strasbourgeoises et les connaissances des individus. Après chaque texte
figure entre parenthèses l'abréviation utilisée par la
suite pour le désigner.
Les précurseurs
Les textes que nous avons ici appelés précurseurs sont des textes
qui interviennent tôt dans le dialogue, mais surtout qui sont le fait
d'individus non investis d'un rôle représentatif par leur communauté.
De plus, ces textes sont considérés comme des références
dans le dialogue, comme des textes fondateurs. On aurait pu en voir bien d'autres,
mais ceux-ci sont les deux textes majeurs auxquels se réfèrent
plus ou moins explicitement les textes plus tardifs et plus "officiels".
Les dix-huit propositions de Jules Isaac
Les dix-huit propositions de Jules
Isaac sont extraites de son ouvrage Jésus et Israël.
Jules Isaac est un historien français lorrain d'origine juive né
en 1877, ami de Charles Péguy et auteur du célèbre manuel
d'histoire : le Malet et Isaac. Pendant la seconde guerre mondiale, sa
femme et sa fille furent arrêtées et moururent en déportation.
Cela le conduisit à s'interroger sur l'antisémitisme et ses racines
chrétiennes, notamment dans son ouvrage Jésus et Israël.
Commencé en 1943 et achevé en 1946 (1),
cet ouvrage est essentiellement marqué par le contexte de la Shoah, pas
encore nommée, mais vécue par l'auteur qui s'interroge et retourne
aux textes évangéliques pour démontrer l'inanité de
l'antijudaïsme chrétien : "il est le cri d'une conscience indignée,
d'un cœur déchiré" (2).
Dans sa conclusion, il soumet aux "chrétiens de bonne volonté"
18 points "destinés à servir au moins de base de discussion"
(3)
.
Les dix points de Seelisberg
La conférence de Seelisberg (4)
fait suite en 1947 à la conférence d'Oxford qui lui a donné
son ordre du jour : "étudier l'extension actuelle du mal de l'antisémitisme
et les facteurs qui contribuent à sa persistance (…) et élaborer
des plans d'action à court et à long terme (…) pour supprimer
les causes de l'antisémitisme et remédier à ses effets"
(5).
Comme pour le texte précédent, il ne s'agit donc pas là d'une
incitation au dialogue mais plutôt d'une réflexion sur les racines
chrétiennes de l'antisémitisme. Les participants (juifs, catholiques
et protestants) n'étaient pas mandatés par leurs hiérarchies
et ce texte n'engageait "que ceux qui l'avaient signé" (6)
selon le mot du Rabbin
Jacob Kaplan. Les 18 propositions de Jules Isaac ont servi de document de
travail, que l'auteur présenta lui-même à la conférence
de Seelisberg avec le Grand Rabbin Kaplan. Le texte a directement inspiré
les dix points de Seelisberg qui reprennent la structure générale
: propositions positives, puis propositions négatives. Sur les soixante-dix
participants à la Conférence de Seelisberg, une quinzaine travailla
dans la commission 3 "pour discuter les documents proposés sur l'enseignement
chrétien" (7)
dont des pasteurs, prêtres et rabbins. Selon Yves Chevalier, "il apparaît
bien que les membres (chrétiens) de la Commission 3 n'ont pas voulu entériner
purement et simplement les propositions déposées par Jules Isaac
et défendues par le Grand Rabbin Kaplan, mais qu'ils ont fait un travail
de fond, en rédigeant un texte inspiré de la démarche de
Jules Isaac et original quant à la forme" (8).
Ce texte a servi de charte à l'Amitié judéo-chrétienne
de France, fondée en 1948 par Jules Isaac et Edmond Fleg.
Les textes catholiques
Dans cette seconde catégorie se trouvent des textes produits par la hiérarchie
catholique. Il y a donc des textes du Vatican, à portée universelle,
et des textes d'évêques français ou de la Conférence
épiscopale de France à portée locale.
Nostra Aetate
Nostra Aetate est une déclaration, promulguée le 28 octobre
1965 par Paul VI lors du Concile de Vatican II. Elle est consacrée aux
religions non-chrétiennes et le quatrième paragraphe est consacré
au judaïsme. Ce texte a fait l'objet de vifs débats et a failli ne
pas voir le jour, du fait de la forte opposition de certains, notamment au sujet
de l'accusation de déicide. Le Cardinal Béa défendait l'invalidité
de cette accusation, tandis que Mgr Carli voulait maintenir la position traditionnelle
qui faisait de l'ensemble des juifs les responsables de la mort du Christ. Différentes
versions de la déclaration ont été élaborées,
et finalement la version définitive ne contient pas le mot déicide
mais condamne l'expression de "peuple réprouvé" ou "maudit"
; c'est donc un compromis, mais qui modifie néanmoins beaucoup la position
officielle de l'Eglise envers les juifs.
L'attitude des chrétiens à
l'égard du Judaïsme
L'attitude des chrétiens à l'égard du Judaïsme
(Attitude) a été publiée par la Conférence
épiscopale française le 16 avril 1973. Ce sont les Orientations
pastorales du Comité épiscopal pour les relations avec le Judaïsme.
C'est un texte de réflexion sur la position de l'Eglise face au Peuple
juif, dans la continuité de Nostra Aetate, avec une réflexion
sur la permanence du peuple juif, sur le judaïsme tel qu'il se perçoit
aujourd'hui et sur la façon dont l'Eglise peut et doit le percevoir, avec
des conséquences au niveau de l'enseignement et de la liturgie. Il évoque
le lien du peuple juif avec "sa" Terre, de même que le respect
et la connaissance mutuelle que doit développer le dialogue.
Orientations et suggestions pour l'application de Nostra Aetate
Publié le 3 janvier 1975 à Rome par la Commission pour les relations
religieuses avec le Judaïsme, le texte intitulé Orientations et
suggestions pour l'application de Nostra Aetate (Orientations)
a pour but de donner des conseils pratiques pour l'application de Nostra Aetate
à partir de l'expérience acquise depuis 1965 :
Le moment semble venu de proposer, selon les orientations du Concile, quelques
suggestions concrètes, fruits de l'expérience, en espérant
qu'elles aideront à réaliser dans la vie de l'Église les
intentions exposées par le document conciliaire.
Ce texte évoque donc l'état d'esprit nécessaire au dialogue,
les conséquences dans la liturgie et l'enseignement de Nostra Aetate,
et la coopération possible entre juifs et chrétiens pour promouvoir
la dignité de la personne humaine. En conclusion, elle suggère la
création de commissions locales et annonce la création de la Commission
pour les relations religieuses avec le Judaïsme :
Au plan de l'Église universelle, le Saint-Père a institué,
en date du 22 octobre 1974, la Commission pour les relations religieuses avec
le Judaïsme, rattachée au Secrétariat pour l'Unité
des chrétiens. Créée en vue de promouvoir et de stimuler
les rapports religieux entre juifs et catholiques, en collaboration éventuelle
avec d'autres chrétiens, cette Commission spéciale se tient,
dans les limites de sa compétence, à la disposition de tous
les organismes intéressés, pour les informer et les aider à
poursuivre leur tâche en conformité avec les directives du Saint-Siège.
Elle désire développer cette collaboration pour la mise en œuvre
effective et juste des orientations du Concile.
Notes pour une présentation correcte des juifs et du Judaïsme
dans la prédication et la catéchèse de l'Église
catholique
Les Notes pour une présentation correcte des juifs et du Judaïsme
dans la prédication et la catéchèse de l'Église catholique
(Notes) ont été rédigées en
mai 1985 par la Commission pour les relations avec le Judaïsme évoquée
ci-dessus. Elles ont pour but de rendre plus clairs les textes antérieurs.
Elles sont constituées de citations des différents textes du Vatican,
qu'elles expliquent en six points intitulés : enseignement religieux et
judaïsme, les rapports entre Ancien et Nouveau Testament, les racines juives
du christianisme, les juifs dans le Nouveau Testament, la liturgie et enfin le
judaïsme et le christianisme dans l'histoire.
Déclaration de repentance de Drancy
Prononcée le mardi 30 septembre 1997 à Drancy (France), la Déclaration
de repentance de Drancy (déclaration de Drancy), déclaration
des évêques de France, a été lue devant le mémorial
de Drancy en présence de responsables juifs de différentes associations
et constitue, comme son nom l'indique, un acte de repentance. L'Eglise de France
revient sur ses actes durant la seconde guerre mondiale pendant l'occupation,
ainsi que sur son enseignement et sur ses conséquences sur les mentalités
et les comportements des Français chrétiens à l'égard
des juifs. Elle reconnaît ses fautes et demande pardon à Dieu et
au Peuple juif. Ce texte n'évoque pas le dialogue, mais a répondu
à une attente très forte de la part des juifs : l'expression de
la position de l'Eglise sur la Shoah, qui était un préalable nécessaire
à tout dialogue poussé entre juifs et catholiques.
"Nous nous souvenons" : une réflexion sur la Shoah
"Nous nous souvenons" : une réflexion sur la Shoah (Nous
nous souvenons) est un texte émanant de la Commission vaticane
pour les relations avec le Judaïsme, daté de 1998 et préfacé
d'une adresse du pape Jean-Paul II au Cardinal Casssidy. Le but en est exprimé
dans le texte même :
Le XXe siècle touche à sa fin et un nouveau millénaire
de l'ère chrétienne approche. Le deux millième anniversaire
de la naissance de Jésus Christ appelle tous les chrétiens ainsi
que tous les hommes et toutes les femmes à chercher à discerner
dans le déroulement de l'histoire les signes de l'action de la divine
providence ainsi que les manières par lesquelles l'image du Créateur
en l'homme lui-même a été défigurée.
Ce texte traite essentiellement de la Shoah et du regard que porte l'Eglise
catholique sur cet événement majeur du XXème siècle.
Les textes protestants
Dans le protestantisme n'existe pas de hiérarchie aussi institutionnelle
que dans le catholicisme : comme l'écrit J. Bauberot, "Au contraire
du catholicisme, le protestantisme n'a jamais constitué une Eglise (…)
l'organisation internationale réalisée par le protestantisme n'est
donc pas celle d'une super-Eglise. Elle s'est développée, au cours
du XXème siècle sous une forme confédérale" (9).
Les textes que nous allons présenter sont le fait d'auteurs variés,
ils ont une portée diverse, mais tous peuvent être considérés
comme fondateurs du dialogue judéo-chrétien en Alsace. Leur valeur
est moins normative que consultative, il s'agit le plus souvent d'un avis de tel
ou tel organe protestant.
L'attitude chrétienne en face des juifs
L'attitude chrétienne en face des juifs (Déclaration
1948) est publiée lors de la Première Assemblée
du Conseil Œcuménique des Eglises(COE) à Amsterdam, assemblée
constitutive qui voit la fusion de deux mouvements œcuméniques nés
au début du 20ème siècle : Vie et Action, né à
Stockholm en 1925, à tendance chrétienne sociale, et Foi et Constitution
né à Lausanne en 1927 et plus axé sur les questions théologiques
et ecclésiologiques (10).
Le thème de cette première Assemblée est : "Désordre
de l'homme et dessein de Dieu", et le rôle du COE est ainsi défini
: "émettre des avis et fournir l'occasion d'une action concertée
dans les matières d'intérêt commun". Ici, comme le titre
l'indique, il est question de l'attitude que doit avoir un chrétien face
à un juif, de son rôle de témoignage et du moyen de se concilier
les juifs, notamment par la lutte contre l'antisémitisme qui est la principale
barrière entre juifs et chrétiens et provoque la méfiance
des juifs à l'égard des chrétiens. Le COE siège à
Genève et se définit comme "association fraternelle d'Eglises
qui confessent Jésus-Christ comme Dieu et Sauveur selon les Ecritures et
s'efforcent de répondre ensemble à leur commune vocation pour la
gloire du seul Dieu Père, Fils et Saint Esprit". Il n'a pas d'autorité
particulière sur les Eglises membres.
Déclaration des Synodes de l'Eglise évangélique d'Allemagne
La Déclaration des Synodes de l'Eglise évangélique d'Allemagne
(Déclaration 1950) réunis à Weissensee le
27 avril 1950 se présente comme un court appel, quasiment une prière,
sous forme d'abord de Credo puis d'appel contre l'antisémitisme.
Un Synode rassemble dans le protestantisme des clercs et laïcs en nombre
égal, élus et chargés de toute question intéressant
l'Eglise. Il exprime la réalité collective de l'Eglise. Le Synode
national a autorité en matière de foi et de discipline (11).
Vœu du Conseil de la Fédération protestante de
France
Le Vœu du Conseil de la Fédération protestante de France
(Vœu 1961) de 1961 est adressé au Conseil
Œcuménique des Églises peu avant la tenue de sa Troisième
Assemblée générale à New Delhi. Elle appelle le
COE à poursuivre sa lutte contre l'antisémitisme par la modification
de son enseignement.
Résolution concernant l'antisémitisme
La Résolution concernant l'antisémitisme (Résolution
1961) est émise lors de la Troisième Assemblée
du Conseil Œcuménique des Églises, à New Delhi en
1961, dont le thème est Jésus-Christ la lumière du
monde. Elle répond au Vœu de la Fédération
protestante de France et complète la Déclaration
de 1948 par un appel aux éducateurs à ne pas favoriser
par leur enseignement la discrimination à l'égard des juifs, mais
de façon moins claire et appuyée que ne le faisait la Fédération
Française.
Il est intéressant de noter que dans les actes de l'Assemblée
de New Delhi, il n'est pas fait mention du Vœu de l'Eglise de France.
La Déclaration publiée à l'occasion du Kirchentag
En 1961, est promulguée en Allemagne la Déclaration publiée
à l'occasion du Kirchentag (Déclaration 1961),
au sujet du procès Eichmann qui se tient alors en Israël (12).
Après un long procès à Jérusalem, il fut pendu en
1962 Le Kirchentag est une assemblée annuelle des protestants allemands
qui a coutume de publier des déclarations qui ont un grand retentissement.
L'Eglise et le Peuple juif
Le texte L'Eglise et le Peuple juif (Déclaration 1967)
de 1967 a été rédigé par une Commission de Foi et
Constitution à Bristol. Le but de ce texte et ses limites y sont évoqués
:
En rédigeant ce document, nous avons essayé de répondre
à deux questions particulières qui nous ont été
adressées :
- Quelle est la signification théologique de la perpétuation de
l'existence continue des juifs pour l'Église ?
- Comment les chrétiens doivent-ils témoigner de leur foi à
leur égard ?
II ne faudrait pas oublier non plus que nous parlons en théologiens chrétiens.
Nous sommes parfaitement conscients du fait que les déclarations théologiques
ont souvent des implications politiques, sociologiques ou économiques,
même si cette intention n'existe pas au départ. Cela ne constitue
pas une raison pour garder le silence ; nous demandons seulement que ce qui
suit soit jugé selon ses mérites sur le plan théologique.
Résolution sur le Moyen-Orient
La Résolution sur le Moyen-Orient (Résolution
1968) a été adoptée par la Quatrième Assemblée
du Conseil œcuménique des Églises à Upsala du 4 au 19
juillet 1968. La guerre des six jours en juin 1967 permit à Israël
de s'emparer du Sinaï, de la vieille ville de Jérusalem ainsi que
du Golan : le territoire d'Israël fut multiplié par quatre, Jérusalem
unifiée devint la capitale de l'Etat d'Israël. Le printemps 1968 vit
de nouvelles batailles et la sortie d'Arafat de la clandestinité. Le Moyen-Orient
n'était pas pacifié, la présence de réfugiés
palestiniens bouleversant les équilibres en Jordanie et au Liban. Il s'agit
ici de considérations politiques et humanitaires sur le conflit au Moyen-Orient,
un appel au respect des territoires, des personnes et de la liberté religieuse.
Déclaration commune catholique-protestante sur les tâches œcuméniques
La Déclaration commune catholique-protestante sur les tâches
œcuméniques (Déclaration 1971) a été
publiée lors du Kirchentag d'Augsbourg (Pentecôte 1971). Elle
traite de la nécessité de la présence juive lors des rencontres
œcuméniques, de l'enseignement chrétien sur le judaïsme
et de l'attitude à avoir à l'égard des juifs.
Déclaration du Comité « Église et peuple d'Israël
»
Cette Déclaration du Comité "Église et peuple d'Israël"
(Déclaration 1973) de la Fédération protestante
de France (12 décembre 1973) porte sur la réception des orientations
pastorales du comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme
appelée Attitude que nous avons étudiée
dans les textes catholiques.
L'Appel du pasteur Philip A. Potter
L'Appel du pasteur Philip A. Potter (Appel) du 11 novembre
1975 est prononcé par le secrétaire général du Conseil
Œcuménique des Églises et concerne la résolution de
l'ONU du 10 novembre 1975 : "..., nous souhaitons affirmer, pour les raisons
suivantes, notre opposition sans équivoque à comparer le sionisme
au racisme..." . En 1974, l'Assemblée générale des Nations
unies avait invité l'Organisation de Libération de la Palestine
(OLP) à participer à ses travaux avec le statut d'observateur. En
novembre de la même année, l'Assemblée avait réaffirmé
les droits inaliénables du peuple palestinien à l'indépendance
nationale et au droit au retour. Le 10 novembre 1975, l'Assemblée adoptait,
par 72 voix contre 35 et 32 abstentions, une résolution énonçant
que "le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale".
Cette décision, très contestée, a provoqué le boycott
des conférences ultérieures par les Etats-Unis. En 1991, après
l'accord de paix israëlo-palestinien, le texte a été révoqué
par l'ONU d'une simple phrase.
Les Eglises et le peuple juif – Vers une entente nouvelle
Après l'approbation par le COE du rapport de Bristol, une commission consultative
a continué le travail, réunissant sous la direction de la sous-section
"Dialogue avec les adhérents à des fois vivantes", des
chrétiens engagés dans l'action en faveur du dialogue judéo-chrétien.
Cette Commission consultative sur l'Église et le Peuple juif (CCJP) produisit
en 1982 des Considérations œcuméniques sur le dialogue
entre juifs et chrétiens et six ans plus tard, se réjouissant
des progrès accomplis, dresse l'état des acquis et des questions
ouvertes dans la rencontre entre juifs et chrétiens dans un texte intitulé
Les Eglises et le Peuple juif : Vers une entente nouvelle (Déclaration
1988).
Origine et but du cheminement chrétien aux côtés
du judaïsme
Dans Origine et but du cheminement chrétien aux côtés
du judaïsme (Origine et But), en 1997, la Fédération
des Églises protestantes de la Suisse (FEPS) présente le fruit de
dix années de travail en commun avec la Fédération des Communautés
Israélites de Suisse (FCIS).
Les textes juifs
Dans le judaïsme se pose également le problème de la diversité
des auteurs de textes et de leur représentativité, et ce de
façon plus prononcée encore que dans le protestantisme. C'est
ce qu'évoque le rabbin américain Eric Yoffie dans son discours
:
Ceci soulève inévitablement la difficile question : qui parle au
nom des juifs ? Sujet épineux, mais il est pratiquement impossible d'examiner
les affaires liées aux questions de foi sans l'aborder. Le Vatican demande,
de temps en temps, avec raison, si les partenaires avec lesquels il dialogue sont
en droit de se prétendre les représentants de la communauté
juive. Et nous-mêmes, au sein de cette communauté, avons de temps
à autre des raisons de demander si l'on peut dire qu'il y a une "position
juive représentative" sur les affaires en question.
Si les catholiques ont du mal à voir clair dans la structure de la
communauté juive, ils ne doivent pas s'en faire. Cette structure est
si compliquée que nous-mêmes, juifs, la comprenons à peine.
La réalité est que nous sommes une communauté excessivement
diverse et souvent querelleuse, manquant d'une structure centrale de gouvernement
et gratifiée d'une pléthore d'organisations religieuses, culturelles,
philanthropiques et défensives. La plupart d'entre nous considèrent
en outre le vigoureux pluralisme de notre communauté, avec ses organisations
en concurrence et ses voix dirigeantes rivales, comme une source de force
et une explication du large engagement de tant de juifs dans nos communautés.
(…)
En effet, la situation est là aussi confuse : il n'y a pas un
judaïsme, avec une hiérarchie, mais des
tendances, plus ou moins organisées, avec des rabbins plus ou moins médiatiques
et intéressés par le dialogue. Même si les juifs ont appelé
très tôt à une prise de conscience de la part des chrétiens
face à l'antisémitisme, ils ont longtemps reçu les textes
chrétiens sans y répondre par des textes juifs du même ordre
(13).
Ce n'est qu'à la fin des années 1990 qu'ont été publiés
des textes de réflexion juive sur la question du dialogue judéo-chrétien.
Il y a donc moins de textes et leur choix peut sembler plus arbitraire, puisqu'aucun
n'a naturellement et automatiquement valeur d'autorité. A l'origine, nous
avions choisis des textes américains très comparables dans leur
ton et leurs sujets de réflexion aux textes chrétiens. Cependant,
au vu des réponses juives au questionnaire qui leur demandait des titres
de textes de référence, il est apparu que ces textes ne sont pas
connus ou ne sont à tout le moins pas considérés comme des
références. Les juifs strasbourgeois leur préfèrent
l'étude talmudique et des textes plus ouverts à la réflexion
tels des ouvrages rabbiniques (par exemple d'Elie Benamozegh) ou philosophiques
(de Lévinas ou Rosenzweig). Enfin servent également de références
des textes écrits par des intellectuels français très implantés
à Strasbourg, comme le Pr. Armand Abécassis, le Pr. Raphaël
Draï ou le rabbin et philosophe Gilles Bernheim. Nous avons donc décidé
de conserver deux textes américains, lus par quelques personnes très
engagées dans le dialogue et présents sur les sites internet de
dialogue, mais d'y ajouter des textes plus influents au niveau local. Il est évident
au vu de ces textes que le judaïsme est moins porté sur la théologie
fondamentale et spéculative que le christianisme (14),
et que ces textes sont donc pour la plupart plutôt historiques ou philosophiques.
De plus, il faut être conscient de la différence de sensibilité
entre le judaïsme des Etats-Unis et le judaïsme strasbourgeois, plus
pratiquant et fidèle aux traditions.
Avancées et tensions dans les relations judéo-catholiques
: pour aller plus loin par le Rabbin Eric Yoffie
Avancées et tensions dans les relations judéo-catholiques :
pour aller plus loin (Avancées et Tensions) est un
discours du rabbin américain Eric Yoffie de mars 2000 qui traite uniquement
des relations entre juifs et catholiques et évoque à peine les protestants.
Il résume de façon très intéressante le regard qu'ont
pu porter les juifs sur l'évolution de la pensée catholique sur
les juifs depuis 1945, et sur ce qu'il faudrait faire de part et d'autre "pour
aller plus loin".
Dabru Emet - déclaration juive sur les chrétiens
et le christianisme (2000)
Dabru Emet - déclaration juive sur les chrétiens et
le christianisme (2000) (Dabru Emet) est une déclaration
élaborée par des "savants juifs" américains dont
le titre, "Dites la vérité" en hébreu, évoque
Zacharie (15).
Partant du constat de l'importance des avancées de la pensée chrétienne
à l'égard du judaïsme, ce texte se veut une réponse
juive à ce phénomène :
Nous croyons que ces changements méritent
une réponse juive approfondie. Parlant uniquement en notre nom propre,
en tant que groupe intercommunautaire de savants juifs, nous croyons qu'il est
temps pour les juifs d'être au courant des efforts que font les chrétiens
pour rendre honneur au judaïsme. Nous croyons qu'il est temps pour les
juifs de réfléchir à ce que le judaïsme peut dire
du christianisme à présent. A titre de premier pas, nous présentons
huit brèves propositions concernant la manière dont juifs et chrétiens
peuvent être en relation les uns avec les autres.
Emmanuel Lévinas
Emmanuel Lévinas
est un philosophe né en Lituanie en 1905 qui a étudié à
partir de 1923 à l'Université de Strasbourg. Difficile liberté
est un recueil de textes écrits entre la Libération et 1976, dont
le point commun est exprimé par l'auteur dans son Avant propos
de 1976 :
Au lendemain des exterminations hitlériennes qui ont pu se produire
dans une Europe évangélisée depuis plus de quinze siècles,
le judaïsme se tourna vers ces sources [les commentaires talmudiques].
C'est le christianisme qui l'avait jusqu'alors habitué à considérer
ces sources comme taries ou submergées par des eaux plus vives. Se
retrouver juif après les massacres nazis signifiait donc prendre à
nouveau position à l'égard du christianisme, sur un autre plan
que celui où se plaça souverainement Jules Isaac.
Mais le retour aux sources s'ordonna aussitôt à un thème
plus haut et moins polémique. L'expérience hitlérienne
a été pour bien des juifs le contact fraternel des personnes
chrétiennes qui leur ont apporté tout leur cœur, c'est
à dire qui ont tout risqué pour eux.. Devant la montée
du tiers-monde, ce souvenir demeure précieux. Non pas pour se complaire
dans les émotions qu'il suscite. Mais il nous rappelle un long voisinage
à travers l'histoire, l'existence d'un langage commun et d'une action
où nos destins antagonistes se révèlent complémentaires.
Raphaël Draï : Lettre au Pape sur le pardon au Peuple
juif
Raphaël Draï est un universitaire, Professeur à l'Université
de Droit, d'Economie et des Sciences d'Aix-Marseille. Cet ouvrage, Lettre
au Pape sur le pardon au peuple juif, est comme son titre l'indique une lettre
adressée au Pape, en réponse à la publication de Nous
nous souvenons. Il y dresse le bilan des relations entre les juifs français
et le Vatican et l'Eglise de France. Il met en lumière les inquiétudes
des juifs face aux atermoiements, aux déclarations au ton changeant, aux
scandales et aux crises. Un long passage est consacré au Carmel d'Auschwitz
qui a fait craindre un temps pour l'avenir des relations judéo-catholiques
(16).
Armand Abécassis
Plus qu'un ouvrage précis, c'est toute une partie de l'œuvre d'Armand
Abécassis qui participe au dialogue interreligieux, non par des appels
théoriques, mais par un travail d'exégèse ainsi que par
une étude midrachique (17).
La confrontation du texte évangélique à la tradition juive
est en effet l'essentiel du projet de cet universitaire philosophe qui anime
également des cours shabatiques très suivis à Strasbourg.
Nous étudions ici deux extraits des introductions de ses ouvrages En
vérité je vous le dis, Une lecture juive des Evangiles et
Judas et Jésus, une liaison dangereuse où l'auteur présente
sa démarche et son projet.
Armand Abécassis définit très nettement les voies de ce
dialogue. Dans la lignée de Lévinas, il refuse les déclarations
généreuses et vagues qu'il considère comme dépassées,
mais appelle à l'étude commune des textes (18).
Le préalable nécessaire au dialogue est la fin de toutes formes
de violence à l'égard des juifs et du mépris des juifs
pour les chrétiens :
Les violences, devenues purement spirituelles à
travers certains discours des plus hauts membres du clergé, certains
actes symboliques comme la croix du Carmel (19)
et les canonisations douteuses, doivent désormais disparaître.
De même le mépris, la haine et le refus que la plupart des juifs
continue à garder dans leur cœur et dans leur esprit, même
s'ils furent compréhensibles tout au long des siècles –
et légitimes – ne peuvent plus cependant entraver leurs relations
avec les chrétiens.
Le temps est arrivé de l'ouverture, de l'accueil, du respect réciproque,
de l'amitié et de la fraternité.
Le dialogue passe par l'étude du Talmud (20)
et même du Zohar (21),
des voyages en Israël et des séjours en kibboutzim par les chrétiens.
Pour les juifs il passe par l'étude de la spiritualité chrétienne,
des Evangiles longtemps interdite par les rabbins, par l'étude commune
des textes et des notions théologiques.