Résurrection des mots
Grand Rabbin René Gutman
21 juillet 2009

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Au sortir de ma synagogue, j'entendis l'une de nos fidèles s'exclamer : "quel bel office !" J'ai failli pleurer, confiait Abraham Heschel en racontant cette histoire.

Le G.R. Gutman avec Claude Rosenfeld
Est-ce donc là le sens ultime de la prière se demandait-il, et pour qui la prière ne doit pas seulement charmer nos oreilles, mais toucher également nos cœurs ? Quant à nous, est-ce bien l'expérience collective que nous ressentons dans nos synagogues ? L'émotion de la présence du minyan et de sa participation à la collectivité d'Israël ne se brise-t-elle pas sur le mur d'indifférence qui entoure souvent le 'hazan ? Mais ne faut-il pas aussi y déceler l'attente inassouvie de l'assemblée en quête d'une inspiration qui ne vient pas ? Ou par le fait que le "baal tefilah", se tenant devant le pupitre pour diriger la prière, a tendance à s'isoler en tant qu'individu, au lieu de s'identifier avec la communauté qu'il est censé représenter et inspirer devant Hashem ?

Il y a plus d'un demi-siècle, Emmanuel Lévinas soutenait déjà que le judaïsme de la maison de prières avait cessé d'être transmissible dans le monde ouvert où, disait-il,

"ce n'est pas dans les synagogues, fussent-elles à Kippour remplies et vibrantes de monde, qu'on peut trouver la confirmation la plus éclatante de notre vérité, les signes dont les croyants ne parlent pas, mais dont les plus fidèles ont encore besoin pour confirmer leur identité."
Et de nous inviter à fréquenter des pensées moins familières, des lieux moins consacrés, des hommes moins rassurés. Revenir à la sagesse juive, plutôt que dans la solennité des offices. Le Juif du Talmud, affirmait-il encore, doit prendre le pas sur le Juif des Psaumes !

Comme il serait innovant, en effet, de déchiffrer les Psaumes comme on décrypte le Talmud ! La 'hazanouth serait alors considérée comme l'exégèse du Sidour, l'art d'interpréter les mots de la liturgie. Ces mots qui meurent en effet du fait de la routine, alors que le rôle du 'hazan est précisément de réaliser ce que Abraham Heschel appelait "la résurrection des mots". Le fidèle ne ressuscite-t-il pas lui aussi, en renouant avec l'Eternité d'Israël à travers la communauté d'Israël dispersée dans l'espace et le temps et, à travers cette unité, avec l'Unité la plus haute ?

Il en est de la liturgie comme du sermon. Pourquoi ne pas "délivrer" la parole en l'ouvrant aux fidèles par le biais du dialogue ? On pourrait ainsi lire ensemble, un commentaire sur la Torah, et le soumettre à la discussion. Le rabbin ne devrait pas non plus s'inquiéter à l'idée d'inviter, de temps en temps, un collègue pour parler à sa place, ou un invité pour partager sa chaire. En fait, ce ne sont pas seulement les sermons, ou les airs liturgiques, qui peuvent changer. Pour beaucoup de fidèles, l'office dans son organisation, apparaît souvent oppressant. Il est tantôt trop long, trop formel, trop ennuyeux. Ne devrait-on pas sacrifier le nombre des appelés à la lecture de la Torah pour en réduire la durée ? Ne faut-il pas privilégier, dans nos grandes synagogues, la participation du kahal par rapport aux chœurs, au lieu de maintenir les fidèles dans une expérience passive ?

Intérieur de la Synagogue de la Paix à Strasbourg
© M. Rothé
Si nous voulons que la Synagogue redevienne un lieu ouvert, et où la conscience, éprise d'absolu, soit provoquée, plutôt que tranquillisé, pourquoi ne pas encourager le rabbin à insérer de courtes interventions durant l'office afin de questionner ses fidèles sur le sens des prières que l'on y récite et le message que la Torah y délivre ? Le 'hazan chanterait les airs susceptibles d'entraîner le kahal, plutôt que de se confiner dans la liturgie des "Temples parisiens" du début du 19ème siècle , quelle que soit par ailleurs son importance, et non pas pour l'abandonner, mais en se demandant si elle est toujours adaptée lorsque l'heure ne s'y prête plus.

La conception de nos synagogues devrait enfin répondre au dicton selon lequel : "la prière reste sans réponse dans une pièce sans fenêtre". Une synagogue "ouverte" où même la séparation, entre hommes et femmes, devrait, tout en restant conforme à la halakha, répondre à l'attente spirituelle de la femme qui se veut plus participative dans son écoute et dans sa vision et même dans sa parole comme on l'a lu dans Actualité juive à propos de la bath mitzwa.

La Synagogue, on l'aura compris, ne doit pas être un lieu que le fidèle appréhende, comme s'il devait y être jugé et déclaré coupable avant même d'y entrer. Un intellectuel juif me confiait récemment avoir failli perdre le chemin de la synagogue lorsque, à sa bar mitzwa, la première question qui lui fut posée après avoir lu sa "barché" (parashah) fut " combien tu donnes ?" Ah ! le fameux "schnoder" (appel au don) Qui sait si ce n'est pas ce malaise-là qui entraîne tant des nôtres à déserter les offices de nos grandes synagogues consistoriales ? Il reste fort à faire, reconnaissait déjà Lévinas en 1961….

Pouvons-nous suggérer qu'il faut encore faire quelque chose en 2009 ?
Le grand rabbinat de France s'y emploie. Aidons-le !


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