Monsieur le Président de la République,
Disons le ouvertement – tous les critères logiques et habituellement applicables à un tel acte ont été ici dépassés, alors que le profil et l'âge de ceux qui sont soupçonnés d'avoir dévasté ce cimetière nous sont maintenant connus.
En dégradant la stèle commémorative des victimes juives déportées de Sarre-Union, ces cinq jeunes n'ont sans doute pas eu le temps d'y lire que parmi elles, figurait Jacqueline Wolff, âgée à peine de 18 ans, et qui aurait pu avoir leur âge ? Et qu'à peine plus âgé, Pierre Haggenauer avait été fusillé le 22 juillet 1944 en Dordogne, mort pour la France ? Comme tous ceux pour qui la mort n'était pas en ces temps-là un sujet de distraction ou d'exutoire. Ou bien comme on entend dire en leur nom, ignoraient-ils tout de ce lieu, de ces inscriptions et de ces symboles ? Et quand bien même n'auraient-ils pris conscience d'avoir offensé des sépultures juives qu'à la 250ème stèle, comment pouvaient-ils ne pas avoir été conscients en renversant la première d'entre elles qu'ils avaient déjà offensé l'homme en tant qu'homme ?
Quant à nous, nous étions tellement mobilisés par les tragédies qui ont coûté la vie à tant de nos compatriotes, soldat, policiers, journalistes, en même temps que nos coreligionnaires, et avec cette terrible conscience, qu'aux yeux de nos ennemis un juif doit toujours se justifier de vivre et de respirer, qu'on a en a été jusqu'à oublier qu'un juif puisse devoir aussi se justifier de reposer en paix !
Un tel acharnement sur autant de tombes et qu'accompagne cette fascination à donner la mort sans la donner, a quelque chose de sacral et de surnaturel, pour qu'on s'interroge sur ce qu'a pu jouer dans leurs esprits, l'influence des préjugés, et des fantasmes, relayés par la littérature du complot, ou les appels à la haine antisémite.
Ce crime contre nature, ce crime exorbitant, comment pourrait-il être excusé, prescrit, ou même atténué par la complaisance troublante de ceux qui veulent déjà n'y voir que des jeux interdits ?
Ce qui s'est traduit ici par le renversement de 250 pierres tombales d'un cimetière presque aussi vieux que la Révolution Française, n'a pas été, hélas, une surprise imprévisible de notre histoire. Mais il a révélé ici un danger, que la mémoire juive avait connu bien avant les temps modernes, lorsqu'avant d'obtenir leur citoyenneté, les juifs d'Alsace étaient soumis à un droit aussi humiliant que contraire à l'ordre naturel, celui de péage corporel obligatoire, pour pouvoir entrer, ou quitter, Strasbourg, un droit dit du "pied fourchu". A Strasbourg c'était cela, la condition des juifs à la fin de l'Ancien Régime, dans l'indifférence totale de leurs voisins, sinon en raison de l'intolérance dont ils étaient victimes. Or, tolérer l'intolérance que l'on sait dangereuse, serait une injure à la raison, et une coupable indulgence.
La conscience, Monsieur le Président de la République, d'appartenir à une Nation comme la France, implique la conscience de partager, ensemble, un destin exceptionnel, mais également la conviction que dans un pays où l'indifférence, la banalisation du mal et l'intolérance finiraient par s'y instaurer, la France cesserait d'être la France ! Et à ce destin, personne ne peut se dérober. Ce message que vous ne cessez de rappeler, sachez Monsieur le Président, que nous le faisons nôtre dans cette nation où chacun d'entre nous doit se comporter comme si, lui seul, devait répondre pour tous. Comme l'affirme le Talmud : "Chacun doit se considérer comme s'il était responsable de l'avenir du Monde".
C'est là un des principes qui a fondé notre République, c'est aussi l'un de ses combats, peut être le plus noble, pour la fraternité. Et c'est ce que nous ressentons ici profondément, par le seul fait de votre présence.
Ces tombes séculaires, bien que renversées ou brisées, comme trop de ces mémoires gravées sur la stèle devant laquelle nous venons de nous recueillir, renouent en effet, avec toute l'Histoire de France, et se confondent avec tous ses paysages dont vous êtes, Monsieur le Président de la République, le guide, et le garant.
Nous sommes venus pour dénoncer la remise en cause par de tels actes de ce pourquoi les juifs de France, comme en Europe, avaient tant lutté, et surtout, pour que vive la République.
Le désarroi actuel de nombre de nos concitoyens qu'égare la nostalgie d'idéologies racistes et antisémites, comme l'impudence d'un populisme, ensemble, fragilisent les institutions de la République.
Les écueils sont si nombreux et si dangereux pour la démocratie qu'il appartiendra aux religions ici représentées, de continuer par leurs actions, et elles y sont grandement aidées, que ce soit au niveau de la Région, du Département ou de la Ville, à contribuer à une France plus solidaire.
De même que par le passé, les Français ont appris lentement, douloureusement à cesser de se diviser, et, par l'esprit de la laïcité, à garder leurs spécificités, tout en les intégrant là où ils devaient coexister et avoir un projet commun, de même, les juifs de France n'ont jamais renoncé et ne renonceront jamais à rien d'eux-mêmes, tout en adhérant aux valeurs de la République.
Monsieur le Président de la République, c'est un honneur pour moi que de vous saluer au nom des Consistoires concordataires, et en particulier, au nom de la communauté juive de Sarre-Union ainsi de nos concitoyens Sarre-unionnais touchés en plein coeur par cette profanation.
Il me faut vous dire aussi, notre vive reconnaissance pour ce que votre présence aujourd'hui donne au judaïsme français, représenté ici par le Président du Consistoire Central, l'importante et émouvante occasion de resserrer à nouveaux nos liens, que les récentes tragédies ont mis en lumière.
Et nos remerciements pour la façon dont l'Etat, le Gouvernement, les Forces de l'ordre et l'Armée, poursuivent la protection de nos personnes et la surveillance des bâtiments qui ne fait qu'ajouter à la confiance de nos coreligionnaires pour la sécurité qui leur est assurée partout en France. Une confiance qui, au regard de la diligence avec laquelle l'enquête par la Gendarmerie a abouti, n'en est que plus affermie.
Oui, chacune des grandes religions représentées dans notre pays possède des sources d'inspiration qu'elle peut, qu'elle doit, clairement, et sans équivoque, mobiliser, pour rapprocher les citoyens les uns des autres, car personne aujourd'hui, ne peut se sauver sans les autres !
Pour que notre communauté, partie intégrante du corps et de l'âme de l'Alsace, puisse continuer à jouer un rôle digne d'elle dans l'ensemble français, ce qu'il faut faire, on le veut, et on l'a commencé ce matin !
Parce que la France, parce qu'elle est la France, et parce qu'elle entend rester la France, a besoin de tous ses fils. Elle a besoin de nous, comme nous avons besoin d'elle, parce que sans elle, nous ne serions pas ce que nous sommes.
Confiants que notre avenir en France peut se décider, même ici, si seulement nous le voulons, en vertu d'un mot simple et beau comme la France : l'espérance !