Petit village situé à 33 km à l'est de Metz, Niedervisse et plus particulièrement la communauté juive du village a payé un lourd tribu… suite à la période nazie…
Situé à environ 9 kilomètres de la frontière sarroise, le village parlait un dialecte alémanique et les juifs, le judéo-lorrain.
Vers 1934-36, alors que la France décidait de se protéger, en raison de la montée du nazisme, construisant du nord à la frontière suisse la ligne Maginot, des ouvrages fortifiés furent également construits sur le Bau de Niedervisse. Déjà en 1938 on crut à une guerre avec l'Allemagne, mais qui fut évitée en apparence seulement par Daladier et Chamberlain, respectivement premiers ministres français et anglais.
Situé en zone rouge à cause de sa proximité de la ligne Maginot, et suite au plan établi par le ministère de la Guerre, tous les endroits situés en zone Rouge furent évacués en septembre 1939 vers le Centre de la France.
Niedervisse fut évacué le samedi veille de la déclaration de la guerre, tout le village au complet. Les gens devaient tout laisser, emportant un strict minimum. La troupe française occupa le village et les Blockhaus de la ligne Maginot…
On partit en laissant tout…
Avec les moyens de transports de l'époque ce fut très très difficile… après plusieurs jours et haltes, nous arrivâmes à Thiaucourt, en Meurthe-et-Moselle, et là nous embarquâmes par chemin de fer dans des wagons de marchandises, et via Vitry-le-François, où la Croix rouge nous ravitailla, et un peu de détente sur les quais, nous repartîmes, et après une nuit nous arrivâmes en gare de Lussac-le-Château, au sud de Poitiers vers Limoges, à environ 45 km au sud de Poitiers.
A Lussac, nous fûmes provisoirement logés dans des granges, car Niedervisse devait être hébergé dans un village à 11 km de Lussac : à Lhommaizé, où selon les moyens d'alors, on nous achemina au fur et à mesure en char à banc…
A Lhommaizé ma famille logea provisoirement avec une autre famille de mon village dans une maison vide. Nous étions au début septembre 1939. Flânant dans le bourg, je fus attiré par une boulangerie. La boulangère me fit entrer chez elle, m'offrit du café et des pâtisseries, me posa des questions sur ma famille et mon village, et me proposa de venir aider son mari, car il connaissait un surcroît de travail avec tous ces réfugiés, et elle me proposa également de loger ma famille dans les pièces vides au-dessus d'un hangar leur appartenant. Ma famille accepta, et ainsi je fus de premier habitant de Niedervisse à travailler à Lhommaizé, et ma famille fut logée… j'avais dix-sept ans.
Au bout de quelques jours, ne voulant pas rester inoccupé, mon frère alla à Poitiers, à la mairie au service social, et y trouva un emploi dans une laiterie comme chauffeur-livreur. C'était à Vouneuil-sous-Biard, au domaine de la Roche, appartenant au comte et à la comtesse de Saint-Seisse. Le comte et son chauffeur étaient tous deux mobilisés, et c'est pourquoi Mme la comtesse avait embauché mon frère. Ainsi il rentrait en fin de semaine à Lhommaizé.
Puis les de Saint-Seisse proposèrent de loger ma famille dans une dépendance de leur domaine, et ma famille quitta donc Lhommaizé pour le domaine de la Roche. Je restai donc seul à travailler à la boulangerie Cherpreau de Lhommaizé jusqu'à la débâche, en juin 1940.
Craignant d'être par la suite, et en raison du tracé de la future ligne de démarcation, séparé de ma faille, je fis mon baluchon et le portant au bout d'un bâton en bambou, je quittai les Cherpreau un dimanche après-midi, pour aller à pied à Poitiers (à 27 kilomètres), puis au domaine de la Roche pour rejoindre ma famille. Cela se passait un ou deux jours avant la signature de l'armistice.
En route, je rencontrai les tout premiers soldats allemands, je fus fouillé mais pus continuer mon chemin. La nuit m'ayant gagné, je me couchai vers minuit au bord de la route… épuisé. Vers 4 heures du matin, un fantassin allemand, progressant avec la troupe vers le sud, me donna des coups de pied dans les reins, me pensant mort sans doute et…me chassa. Je rejoignis les miens vers 6 heures et demi du matin, à leur grande surprise.
Deux jours plus tard, mon père m'avait déjà trouvé un travail dans une boulangerie à Poitiers. Le patron était lui aussi mobilisé. La jeune patronne travaillait avec leur apprenti. Je n'ai jamais connu le patron, il resta prisonnier en Allemagne. Je fus logé, nourri, et gagnai 400 frs par mois.
Les Allemands occupèrent la zone Nord, y compris Poitiers. Lhommaizé à 27 kilomètres au sud était en zone dite libre.
Par un heureux hasard, M. le comte et leur chauffeur ne furent pas faits prisonniers et revinrent tous deux à la Roche. Très satisfait des services de mon frère, le comte décida de louer en ville à Poitiers, au 53 Grand'rue, un petit magasin avec logement, et d'y créer une laiterie-crémeries, dont mes parents seraient les gérants appointés. Ainsi ma famille vint habiter Poitier, pour gérer ce magasin appelé "Les produits de la ferme".
Parmi la clientèle, venaient chez nous de très nombreux coreligionnaires, réfugiés eux aussi, des mosellans, beaucoup de messins, et c'est ainsi que vint chez nous Elie Bloch, demeurant avec sa faille rue Maillochon à Poitiers. Nous allions à la choule dans sa maison, où l'on retrouvait tant et tant de juifs réfugiés de Metz et d'ailleurs.
Mais déjà en octobre 1940, il nous fallut tous, suite au premier décret anti-juif, aller à la Préfecteur pour nous faire inscrire et tamponner nos cartes d'identité avec le cachet rouge : "Juif".
Suite encore à l'armistice, tous les réfugiés d'Alsace-Lorraine avaient pu retourner chez eux en Moselle et à Niedervisse, sauf les juifs et autres indésirables anti-nazis; Plusieurs juifs de Niedervisse étaient restés à Lhommaizé.
Il existait à Poitiers, à la sortie de la ville vers Limoges, un ancien camp de réfugiés républicains espagnols. Il était fermé. Suite aux mesures racistes incitées par les autorités d'occupation, l'administration préfectorale dut se plier aux ordres, et ainsi fut rouvert le camp, dit "Camp de la route de Limoges".
On y interna : les tziganes ou gitans, puis au début de nombreux juifs étrangers, puis des juifs français, ayant demeuré soit en Gironde, soit en Charente maritime ou en Vendée. Bref : des juifs non autorisés à habiter dans la zone rouge du "Mur de l'Atlantique", mais pour la plupart des juifs réfugiés d'Alsace ou de Lorraine. Parmi les intéressés : beaucoup de juifs nancéens d'origine polonaise.
Le père Fleury "Juste des Nations", aumônier national des Gitans. A sauvé des centaines d'enfants juifs à Poitiers, 1942-1944 |
Famille Thibault, Poitiers (Vienne) Protecteurs et sauveteurs de Juifs 1940-1944 |
Elie Bloch passera quasi-quotidiennement chez nous au 53 Grand'rue, son béret basque et son sac tyrolien sur le dos, et ma mère trouvera toujours à lui donner soit un peu de lait, soit un peu de beurre, soit un peu de fromages qu'il emportera dans son sac et donnera à ces pauvres internés du camp. Puis les deux amis, Fleury et Bloch, feront des démarches afin d'essayer de faire sortir du camp des enfants juifs et de les placer dans des familles juives françaises non encore inquiétées, ou dans des familles non-juifs, pour le père Fleury.
Et c'est ainsi que chez nous les Cerf, Elie Bloch aura placé cinq enfants juifs, tous nés à Nancy, et dont les mamans sont au camp, les papas déjà… souvent déportés : Gérard Szpiegel, David Amzelle, Léon Amzelle, Louis Lewkowitz, Sara Dimant.
Mais la Gestapo vient à savoir où et chez qui sont placés ces enfants. La police française nous les reprendra en 1943, les emmènera à Paris au Centre Lamarcq ou à Louvenciennes. David et Léon Amzelle s'évaderont et seront recueillis et cachés par un brave concierge ; ils survivront. Gérard Szpiegel, Louis Lewkowitz et Sara Dimant seront déportés. Seul Gérard Szpiegel est revenu, et demeure à ce jour à Haïfa.
Le port de l'étoile jaune est décrété. Ma famille n'a plus le droit d'être en contact avec la clientèle… Il faut fermer le magasin.
Vivre à Poitiers pour les juifs : de 20h à 6h du matin : interdit de sortie ; interdits : le tramway, les bus, les cafés, les cinémas ; permission de ne faire la queue que derrière tous les autres ; port de l'étoile
Pour ma part, ayant vu et senti tous les dangers de la zone occupée, j'ai quitté Poitiers clandestinement, et réussi à passer la ligne de démarcation à mes risques et périls. Et retour à Lhommaizé. La boulangerie est cédée à une coopérative. Je deviens ouvrier agricole et trouve un emploi dans une ferme : la grande du Bois, à Saint-Laurent de Jourdes. Je resterai près de deux ans et demi.
Je suis convoqué en 1943 au S.T.O. à Limoges, et serai réquisitionné pour ma main-d'œuvre agricole. L'occupant réquisitionne toute la production, d'où : marché noir.
1943 : à présent, on rafle aussi en zone Nord les juifs "français"…
Février 1943 : Elie Bloch, sa femme Georgette et leur petit Myriam sont "raflés", internés au camp route de Limoges, puis via Drancy… déportés et… morts à Auschwitz.
Le père Fleury (secrètement) et en cela aidé et protégé par les gitans internés, s'occupe seul des quelques juifs qui restent encore au camp… Mais il a créé aussi un réseau de résistance et reçoit ses "informations" d'une personne travaillant à la préfecture.
C'est ainsi qu'il va apprendrai que pour la rafle prévue le soir et la nuit prochaines, les Cerf figurent sur la liste demandée et transmise à la Gestapo. Vite il accourt prévenir mes parents… Mon frère prend son vélo, et malgré la nuit et son étoile jaune, va passer clandestinement la ligne de démarcation ; il viendra se réfugier à la ferme où je travaille, en pleine nuit.
Ma mère, ma sœur et mon père, aidés par des membres du réseau Fleury, iront se cacher quelques semaines dans les Deux-Sèvres. Mais, toujours aidés par ce réseau, ils réussiront eux aussi à passer clandestinement la ligne de démarcation, et viendront aussi dans ma ferme. Mon patron et mon frère iront à la recherche d'une petite maison dans un village proche ; ce sera Moussac-sur-Vienon, où ils passeront à peu près un an et demi, jusqu'à la Libération.
De 1945 à 1946, ils retourneront une année et quelque à… Poitiers. Puis, fin 1946 : retour à Niedervisse. Trois familles juives reviennent elles aussi de Lhommaizé à Niedervisse. Hélas, les nazis ont détruit la synagogue, rasé la majeure partie des maisons juives, et à ce jour il ne reste que le vénérable cimetière juif.
Pour en savoir plus, lire le livre de Paul Lévy : Etre juif sous l'occupation, Elie Bloch
Pour ma part, cela fait 65 ans à présent que jamais, annuellement, je ne manque une seule fois d'écrire à tous mes anciens amis ou connaissances en Poitou, et de leur redire éternellement :