Né à Epureşti en Roumanie, Léon Algazi complète à Paris la formation musicale qu'il avait reçue à Vienne. Il est diplômé de l'Ecole Rabbinique de France. Il enseigne pendant de nombreuses années à l'Ecole de Liturgie et de Pédagogie à Paris. A partir de 1929 il présente un programme de musique juive à la Radio française. En 1936 il est nommé ministre officiant à la Grande Synagogue de Paris. Il enseigne la musique juive à la Schola Cantorum (1936–1940). Il s'attache à restaurer les anciens modes de la liturgie, mais il souhaite aussi que la musique juive demeure un art vivant et organise à Paris, en 1957, un Congrès international de musique juive. Il contribue à établir la section “Mizmor” des Editions Salabert. En 1961 il est nommé directeur de la musique pour les synagogues du Consistoire de Paris. Son œuvre compte surtout des chants liturgiques. |
Le chant est l’âme de la prière juive. Etroitement uni à la parole, il s'élève parfois, seul, vers le ciel, et ces " échappées" ne sont pas l'expression la moins vraie de l’émotion religieuse .
Les pratiques cultuelles du judaïsme sont les unes domestiques, les autres publiques. Les chants enregistrés par nous ont tous été empruntés à la prière publique, qui comprend deux parties : : a) Les souples mélopées qui sont l'apanage du hazan (chantre, officiant) ; b) les répons d'un rythme plus strictement réglé, dévolus au kahal ou kehila (assemblée des fidèles). Fidèles et officiant n'interviennent jamais dans la prière publique autrement qu'en chantant ou, pour le moins, en psalmodiant .
Le hazan est un ministre du culte ; mais son rôle n'est pas un sacerdoce analogue à celui que remplissaient jadis le cohen (prêtre) et le lévite (serviteur, musicien) dans le Temple de Jérusalem.
L'institution du hazan n'existe, en effet, que depuis la naissance du culte synagogal (4ème siècle avant l'ère chrétienne), qui a pu être dit un culte sans prêtre, et, primitivement, la prière synagogale étant improvisée en grande partie, l'assemblée des fidèles déléguait un personnage qu'elle estimait particulièrement pour sa piété et qu'elle jugeait capable de bien diriger la prière. On l'appelait. le scheliah-tsibour, délégué de la Communauté, ou mitpallel, celui qui prie. La fonction était purement honorifique.
Par la suite, avec la constitution et le développement du rituel des prières, le hazan devint un professionnel appointé par la communauté, qui exigea de lui, outre des connaissances religieuses et liturgiques très étendues, un réel talent de musicien et une très belle voix. Les fidèles réunis à la synagogue ne se contentèrent plus désormais d'être guidés par l'officiant, ils voulaient être émus par lui et stimulés ainsi à la prière.
De tout temps, écrit Samuel David (1), il a existé des officiants possédant au suprême degré l'art d'émouvoir et de donner une valeur insoupçonnée aux phrases musicales. Il y a là un art à part, qui ne peut se décrire. Ajoutons que c'est un art singulièrement difficile, le hazan devant, au cours des offices, non seulement exécuter les chants prescrits, mais aussi improviser souvent, en se conformant strictement au style et à l'esprit de la liturgie. Cet art est parvenu à une grande perfection chez certains officiants. S'il nous fallait donner unedéfinition du rôle du hazan, nous dirions que c'est celui d'un orateur chantant, qui tire de sa foi et de ses qualités vocales et musicales les plus nobles accents de son éloquence.
L'assemblée des fidèles, nous l'avons vu, est stimulée et guidée dans la prière, par le hazan. Mais il n'est que son délégué. Le rôle propre de l'assemblée reste donc considérable. C'est elle qui prie, c'est elle qui officie. Elle est, en réalité, le prêtre de la synagogue, un prêtre qui aurait mille bouches et une seule bouche fervente.
Jadis – et naguère encore – la règle religieuse commandait la vie juivedans tous ses détails. L'instruction était obligatoire, et l'étude de la liturgie et des chants liturgiques constituait un élément essentiel de l'enseignement que chaque fils d'Israël devait recevoir dès son plus jeune âge.
Aujourd'hui, dans la plupart des synagogues d'occident et dans quelques synagogues de l'Europe orientale, la partie réservée à l'assemblée des fidèles est chantée par un chœur régulier, composé habituellement d'hommes et d'enfants. (L'emploi des voix de femmes n'est que toléré).
Cependant, le chœur chantant au lieu et place de l'assemblée des fidèles représente une réforme assez récente, puisque, avantle 18ème siècle, aucune communauté juive ne l'avait encore adoptée. La tentative du grand musicien italien, Salomon Rossi (Ebreo), et de son ami, le rabbin Léon de Modène, qui voulurent, au début du 17ème siècle, introduire le chant choral à la synagogue de Mantoue, rencontra une opposition si violente que les novateurs durent renoncer pour toujours à leur projet.
Ce furent des hazanim de l'Est qui, intentionnellement ou non, ouvrirent les portes de la Synagogue au chant choral à plusieurs parties : Ils se firent accompagner, écrivait en 1847, Samuel Naumbourg, le plus illustre hazan de la Synagogue française, par la seul aide de l'oreille, d'un soprano et d'une basse (auxquels se joignait souvent une soi-disant contrebasse, dont l'ensemble fit sur un auditeur étranger une impression peu agréable. Ce genre de chant est encore usité aujourd'hui dans les synagogues de Russie et de Russie d'où il s'était propagé dans d'autres pays.
Naumbourg ne semble pas se douter, en parlant avec dédain de ces soprano "basse et soi-disant contrebasse", que, s'il disposait, lui, à ce moment, d'un chœur constitué selon les règles, il devait cet avantage à ces humbles meschorerim (choristes) dont l'institution et l'art étaient au moins aussi conformes aux traditions synagogales que ceux de nos modernes "maîtrises" (2).
L'accompagnement qui fit sur un auditeur étranger une impression peu agréable consistait en des tenues à l'octave, à la quinte, à la quarte, destinées à entourer le chant du hazan d'une sorte de halo sonore et à en souligner les airs les plus pathétiques. Or, dans les plus modestes maisons de prière de l'Est, ces tenues sont exécutées par les fidèles qui, ignorant tout du chant choral, les font d'instinct, comme poussés par le besoin de participer aussi intensément que possible à l'oraison commune.
Quoi qu'il en soit, le chœur a aujourd'hui droit de cité dans la plupart des synagogues dites du rite achkenazi ou septentrional.
Les communautés du rite sephardi ou méridional (on pourrait même dire : méditerranéen) l'admettent, les unes après les autres, et il ne restera bientôt de par le monde que bien peu de synagogues réfractaires à l'institution du chœur, considéré comme un organe de la liturgie.
Il n'y aurait pas à le déplorer si le chœur contribuait à rendre plus active et plus musicale la participation des fidèles à la prière, mais l'expérience semble prouver que l'intervention du chœur provoque plutôt leur abstention : le caractère du rite s'en trouve sensiblement modifié.
La musique instrumentale, bien que frappée d'interdiction après la chute du Second Temple (An 70 de l'ère chrétienne), a également pénétré depuis un siècle, dans un grand nombre de synagogues, qui possèdent aujourd'hui un orgue pour l'accompagnement du hazan et du chœur pendant les offices solennels et emploient même des instruments d'orchestre (violon, violoncelle, harpe, etc.) au cours des cérémonies nuptiales et autres.
Pourtant ce fait non plus ne constitue, absolument, une nouveauté, puisque, à Prague, par exemple, au 17ème siècle, l'office du vendredi soir (Entrée du Shabath) était précédé d'un véritable concert instrumental qui durait plus d'une heure. Bien mieux, au moyen âge, le célèbre rabbin et hazan, Jacob Segal Molin, dit Maharil, qui vécut entre 1356 et 1427 et qui, dans les communautés du rite aschkenazi, passe pour le restaurateur du chant synagogal, employait déjà la musique instrumentale pour accompagner les cortèges dans les cérémonies de mariage (3).Il est vrai qu'à cette époque, comme d'ailleurs de nos jours, elles pouvaient être célébrées en dehors de la synagogue.
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Les chants de la synagogue sont de deux sortes : l'une comprenant les chants traditionnels, tous anonymes, l'autre les chants dont l'auteur est connu. Ces derniers sont en général des œuvres chorales à plusieurs parties, et se chantent avec accompagnement d'orgue ou a capella. Certains compositeurs ont également écrit des mélopées ourécitatifs, accompagnés et quelquefois non accompagnés, destinés à être exécutéspar le hazan. Quant aux chants traditionnels, essentiellement mélodiques, ceux qu'interprète le hazan se chantent, pour la plupart, sans aucun accompagnement. Les répons du chœur, par contre, sont presque toujours accompagnés.
L'origine et l'âge des chants traditionnels sont fort discutés. Les chants viennent-ils en droite ligne des mizmorim, des schirim (psaumes, cantiques) chantés jadis par les lévites au Temple de Jérusalem ?
En l'absence de tout manuscrit musical hébraïque de l'époque, nous ne saurions l'affirmer. Néanmoins, l'hypothèse de cette filiation peut se soutenir. Les premières synagogues et le dernier Temple ont, en effet, coexisté pendant environ 300 ans (du 1er au 4ème siècle). Il est donc fort probable que les chants qui servirent à l'établissement du culte synagogal, ne furent pas autres que ceux des lévites. Certes, il y eut l'exil, qui priva à jamais les juifs d'un centre spirituel, mais ce malheur devait avoir, entre autres conséquences, celle de rendre plus jaloux l'attachementdes exilés à latradition. Le "chantde Sion" en bénéficia au même degré que les autres éléments du patrimoine ancestral. La connaissance des mélodies reçues contribuait d'ailleurs àconserver une lecture exacte et bien prosodiée du texte sacré. Pieusement, amoureusement, on continua à se les transmettre de père en fils, de maître à disciple pendant des centaines d’années.
Lorsque au 6ème ou 7ème siècle, ce mode de transmission cessa de paraître assez sûr, de savants exégètes et grammairiens, les Massorètes, qui, vraisemblablement, étaient aussi des musiciens, inventèrent des signes spéciaux appelés taamim (accents) ou neghinoth (mélodies), et destinés notamment à fixer la cantillation (récitation chantée) des textes les plus vénérés de la liturgie synagogale, c'est-à-dire quelques livres ou morceaux de la Bible (Pentateuque, Psaumes, Esther, Lamentations, Ruth, Cantique des Cantiques, etc.).
Un système de notation musicale était ainsi créé. Mais n'indiquant ni la hauteur ni la valeur des sons, les taamim ne sont, en réalité que la représentation graphique d'un certain nombre de grupetti, dont ils tracent, très approximativement la courbe mélodique. Ils n'offrent donc pas la précision, même relative, des neumes de l'Église romaine ou des "crochets" de l'Église byzantine. Il n'en est pas moins certain que ces signes ont servi de guide et de frein aux chantres de la synagogue et que les mélopées de la cantillation biblique notées selon le système des taamim doivent être tenues pour les monuments les plus anciens du chant synagogal. Fait capital : sur les thèmes proposés par les taamim se sont développées de nombreuses mélopées et mélodies liturgiques.
Malheureusement, la notation taamique ne fut jamais appliquée aux textes des prières proprement dites. Que les mélodies synagogales de l'antiquité ne soient donc pas arrivées intactes jusqu'à nous et que ce que l'on appelle le "chant traditionnel" ait subi des transformations profondes, personne ne songe à le nier. Ces altérations sont attestées par la multiplicité des traditions musicales hébraïques actuelles, variant selon les pays et les communautés. Il est même indéniable que des emprunts ont dû être faits par les hazanim au chant populaire, comme à la musique savante des peuples au milieu desquels se sont fondées et ont évolué les communautés juives de la dispersion
A. Z. Idelsohn, le musicographe le mieux instruit de ces questions a pu consacrer toute une étude aux rapports du chant synagogal et du chant populaire français, et on cite des exemples d'infiltration de cantiques chrétiens - des Noëls notamment - dans la liturgie juive. En revanche, Georges Oudard, M. Amédée Gastoué, entre autres spécialistes du plain-chant de l'Église, ont affirmé l'origine juive d'une partie au moins des mélodies grégoriennes...
Ces pénétrations, aux influences réciproques ne se constatent-elles pas, d'ailleurs, dans tous les arts populaires et jusque dans les plus purs chefs-d'œuvre de l'art « savant » ? Le génie d'un peuple ou d'un individu ne crée rien ex nihilo. Mais il assimile les matériaux qu'il emploie, et leur imprime, sidissemblables soient-ils, le sceau de sa personnalité.
Or, ce qui frappe, à l'analyse des mélodies hébraïques traditionnelle, des rites les plus différents, en usage dans les contrées les plus éloignées les unes des autres, c'est précisément leur air de famille. N'est-il pas remarquable, pour ne citer que ce seul exemple, que de vieilles mélodies des synagogues du Yémen (sud-ouest de la péninsule Arabique) soient identiques à des chants également anciens des communautés lithuaniennes, alors que, jusqu'au siècle dernier, aucun contact n'avait probablement pu s'établir entre les juifs du Yémen et ceux de Lithuanie ?
Semblables analogies se révèlent, nombreuses et péremptoires, entre les autres traditions synagogales, par ailleurs divergentes.
Au demeurant, il n'est que de se remémorer tels chants d'Israël rendus célèbres par les adaptations de quelques musiciens modernes ou contemporains — le Col Nidré, certain Kaddisch – pour reconnaître que le chant hébraïque a son style à lui, sa "physionomie", sa personnalité.
La tradition française. – Parmi les nombreuses traditions de la musique synagogale, la tradition française – aussi bien l’aschkenazite (septentrionale que la sefardite, méridionale – se distingue par sa pureté.
Elle la doit sans doute au caractère éminemment conservateur du judaïsme français.Chez nous, hazanim et fidèles semblent avoir eu constamment à cœur de ne pas s'écarter des formules reçues. Aussi, pour la plupart des chants communs à plusieurs traditions (la française, l'allemande et la lithuanienne, par exemple), la version française est-elle celle qui, généralement, présente le moins de surcharges suspectes, le moins d'ornements parasites.
L'Alsace et les pays rhénans furent le berceau de la tradition française aschkenazite. A sespremiers éléments (la cantillation des taamim et lesmélodies qui en sont issues) d'autres s'ajoutèrent, composés par les chantres locaux, soit importés par ceux qui, en assez grand nombre dit-on, arrivèrent de Palestine et d'Asie mineure en Lithuanie, sous les règnes de Charlemagne et de Louis le Débonnaire . A la fin du 15ème siècle, la tradition aschkenazite française devait être à peu près fixée. Un document du temps nous autorise à le croire. La transcription des taamim sur notre portée à cinq lignes, publiée par le fameux humaniste Reuchlin, en 1518, à Haguenau, ne présente, en effet, que de minimes différences avec la version actuellement en usage dans nos synagogues.
La branche française de la tradition sefardite s'est développée dans les communautés de Bordeaux et de Bayonne. Les juifs expulsés d'Espagne et du Portugal à la fin du 15ème siècle, y apportèrent les éléments fondamentaux. C'est pourquoi on appelle encore parfois cette tradition "rite portugais". Quelques-uns des chants traditionnels sefardis appartiennent aujourd'hui au répertoire de la plupart des synagogues françaises.
Notons également que la tradition dite "portugaise" est proche parente de celle que pratiquent les communautés algériennes, tunisiennes et marocaines.
Une troisième variété de la tradition synagogale française s'est formée dans le Comtat Venaissin (communautés d'Avignon, Carpentras, Cavaillon, etc.) et s'étendit aux communautés des régions voisines (Aix, Nîmes, Montpellier, Lunel, etc.). Apparentée surtout à la tradition "portugaise", elle accuse cependant plus d'une analogie avec la tradition alsacienne.
Ce qui domine dans ces trois branches de la tradition française, comme d'ailleurs dans toutes les autres traditions synagogales, c'est leur caractère oriental, plus ou moins stylisé.
Certains théoriciens ont voulu définir les différents modes du chant traditionnel hébraïque. Idelsohn, notamment, a procédé à une véritable classification des mélodies synagogales selon des gammes déterminées, qui sont tantôt des modes arabes, tantôt des modes grecs anciens. Or, s'il est visible que les successions de sons sur lesquelles est basé le chant hébraïque appartiennent presque toujours au système diatonique (les chromatismes qu'on y peut relever dénotent, probablement, une infiltration étrangère), nous croyons cependant que, dans l'état présent des études musicales hébraïques, il est arbitraire de parler, à propos de nos chants, d'échelles mélodiques précises. Disons simplement qu'ils offrent une variété et une liberté tonales telles qu'elles découragent, pour le moment, toute velléité de classement. La tradition juive possède, du reste, une manière à elle de classer les chants traditionnels, et le terme qu'elle emploie pour en désigner les diverses catégories est le mot hébreu nouçah (quelquefois nigoun).
Le nouçah correspond moins aux notes ou aux gammes qu'à ce que les théoriciens arabes appellent le makam : comme ce dernier, il est fait d'un certain nombre de formules et motifs caractéristiques revenant fréquemment dans une mélodie ou mélopée donnée.
Il y a ainsi, pour les taamim, les nouçah (4) respectifs du Pentateuque, des Prophètes, du livre d'Esther, etc.; pour les chants de la prière proprement dite, les nouçah des offices sabbatiques (vendredi soir et samedi matin), des Fêtes de pèlerinage (Pâque, Pentecôte, Cabanes), du Jour de l'An, du Kippour, etc., et, à l'intérieur (le chacun d'eux, les nouçah particuliers de telle ou telle prière.
L'ensemble constitue un système musical d'une richesse et d'une subtilité étonnantes. Pendant certains offices, on fait entendre parfois un nouçah affecté à un office différent : c'est pour annoncer une fête prochaine, évoquer un événement, suggérer un sentiment, une idée... Au cours de la récitation publique du livre d'Esther, par exemple, la douleur de Mardochée, qui vient d'apprendre les projets meurtriers d'Aman, esttraduite par l'emploi du nouçah des Lamentations de Jérémie. N'est-ce pas, déjà, toutle principe du leitmotiv ?
Le rythme des mélodies traditionnelles est déterminé par la prosodie de la langue sacrée, l'hébreu – langue aux accents vigoureux, souples et variés, s'il en fut – mais aussi par le génie particulier du chant hébraïque. C'est dans son rythmequ'il faut voir son élément le plus original, et le plus chair indice de son authenticité. C'est par son rythme, d'abord, que le chant hébraïque se distingue des autres chants de l'Orient et, notamment, du chant grégorien. La valeur des sons, l'allure lente ou précipitée des vocalises correspondent bien à la quantité et à l'accentuation des syllabes et des mots ; l'importance des périodes musicales se règle,évidemment, sur la longueur oula brièveté des périodes verbales. Mais le chant n'en conserve pas moins son indépendance. Il ne se borne pas à traduire le mot ou la phrase, il suit sa propre loi, il obéit à son propre rythme, dont la caractéristique essentielle est d'être expressif. Dans les mélopées (qui sont au chant mesuré ce que la prose est aux vers et qui constituent la partie la plus hébraïque du chant traditionnel), le rythme parle autant – parfois plus et mieux – quela mélodie. Il suit littéralement les mouvements de l'âme. Nous possédons aussi quelques chants traditionnels aux rythmes isochrones. Ils sont parmi les moins anciens et les plus douteuxquant àleur origine. Ils accompagnent surtout des textes poétiques versifiés (pioutim)datant la plupart du moyen âge et où l'influence des mètres arabes se fait souvent sentir. Certains pioutim, pourtant, se chantent sur des mélopées au rythme souple et expressif.
Le chant hébraïque traditionnel est le langage de la communauté juive parlant à Dieu.
Fait pour la prière de l'homme, il demeure constamment humain.
Fait pour purifier et ennoblir les sentiments naturels et non pour les abolir, il est, tour à tour, suppliant et débordant de gratitude, joyeux et poignant, impétueux et tendre : jamais désespéré, car il ne cesse d'être religieux.
Fait pour implorer et louer Dieu, il est persuasif et émouvant, au point de pouvoir se passer de la parole : on chante beaucoup à "bouche fermée", dans certaines synagogues.
Sa véhémence elle-même a, pour ainsi dire, un caractère traditionnel : elle est fille de la Bible. La parole des Prophètes était fougueuse, ardente, alors même qu'ils s'adressaient à Dieu. Israël aime et vénère l'Éternel. Mais, s'il l'appelle fréquemment Adonaï, Seigneur, et Mélekh, Roi, il le nomme non moins souvent Av, Père. Et le fils, affectueux et confiant, invoque le Père d'abord : Avinou, Malkénou, "O notre Père, ô notre Roi !"
De là aussi le ton intime, familier, de la prière hébraïque.
La note mélancolique, triste, voire tragique est la note dominante de beaucoup de mélodies traditionnelles. C'est que la plupart d'entre elles naquirent dans l'angoisse ou l'affreux souvenir d'un massacre, d'un exil ou de quelque autre persécution.
Mais, sous toute cette désolation, la foi est latente, une foi faite de confiance et d'irréductible optimisme : l'Émouna juive.
Les hommes qui créèrent ces chants étaient de vrais croyants : ils ne perdirent jamais l'espoir des jours meilleurs annoncés par les Prophètes, les jours où l'homme sera un frère pour l'homme. C'est ce qui rend leur œuvre inimitable et fait qu'à travers les siècles, leurs âmes pénètrent nos âmes, leur souffle soulève nos poitrines (5).