Mon père Max est né à Belchatow (Pologne) le 10 février 1902, fils de Zwi David Rosenzweig et de Mathilde Joskowicz, troisième garçon d'une fratrie de onze enfants. De cette fratrie, un frère et une sœur de mon père vivent en France : mon oncle Jacques Rosenzweig (un des huit résistants du groupe EIF du maquis juif de la Malquière, à Vabre) habite Strasbourg, et ma tante Régine Knorpel qui est à la maison de retraite Rotschild, à Paris.
Mon grand-père est arrivé avec sa famille en France, venant de Pologne, en 1921: il était 'hazan à Federsheim, puis il vécut à Geispolsheim, à Soultz-sous-forêts où il était de plus flûtiste à la fanfare de la ville. Il s'installa et vécu finalement à Strasbourg où il décéda en 1935. C'est mon grand père qui inculqua à mon père les premiers rudiments de solfège et de violon.
Mon père Max (Moché) quitte le foyer familial à l'âge
de 14 ans pour rejoindre son frère Yekhiel à Wloclawek, Pologne.
Là, le poète Izkhak Katzenelson (frère de Berl et ami
de Yekhiel), lui enseigne l'hébreu moderne.
Plus tard, Max part chez son frère aîné Mendel, à
Berlin où, inscrit au Conservatoire il étudie le violon.
En 1923, à l'âge de 21 ans, après un court séjour
à Vienne (Autriche), il arrive finalement en France, à Soulz-sous-forêts,
où il retrouve toute la famille Rosenzweig,
A son arrivée en Alsace, mon père complète ses études
musicales au Conservatoire de Musique de Strasbourg, (1924, cours de violon,
professeur Théodore Soudant, cours de Direction, professeur Charles
Munch, mention très bien en 1932 ).
Tout en poursuivant ses études de musique, Max gagne sa vie comme dirigeant
en second de la Chorale de la Synagogue
de Strasbourg, donne des cours privés de violon et organise et
dirige des chorales folkloriques un peu partout en Alsace.
En 1928, il épouse Sarah (Ola) née Cender, fraîchement
arrivée de Pologne. Naissent deux fils à Strasbourg, mon frère
Marc en 1929, et moi-même Jean, en 1933.
En 1934, mon père est engagé par le Consistoire israélite
de Metz comme chef de chœur de la Chorale synagogale, et comme professeur
d'hébreu moderne à l'école jouxtant la Synagogue. Notre
famille quitte alors Strasbourg pour s'installer à Metz.
Lors du déclenchement de la deuxième guerre mondiale, la famille Rosenzweig est évacuée de Metz vers la Gironde et la Charente Inférieure. C'est grâce aux actions courageuses des familles Lalande, à Montendre (Charente Inférieure), et Bernadac à Bordeaux, que notre famille échappera aux griffes nazies. Messieurs Désiré Lalande et Marcel Bernadac ont reçu à titre posthume, la médaille de Justes parmi les Nations en 1995.
Après la guerre, la famille revient à Metz courant 1946, et mon père reprend ses fonctions de Chef de Chœur de la Synagogue de Metz, de professeur d'hébreu moderne et de secrétaire de la communauté. Il retrouve quelques membres de la chorale d'avant guerre, tels Messieurs Sylvain Binn, Johnny Schmidt, Baer. Il recrute de nouveaux chanteurs. En 1950, la chorale compte une trentaine de membres. Je me souviens de certains noms :
Photo de la chorale, lors d'une cérémonie à Thionville (il me semble), dans les années 1950. On reconnaît de gauche à droite : • Au premier rang: Régine Silberberg, Paulette Apfel. Ola Rosenzweig, Nadia Grubstein, Salomon Binn, Ruth Apfel, Francine Ettinger, Max Rosenzweig (il est vu de dos, il dirige la chorale). • Au deuxième rang: Baer, Eugène Weil, Fanny Wachtel, Marlyse Lévy, Yvonne Mautes, Sylvain Binn. • Au troisième rang: Serge Winitzki, Jean Rosenzweig, Gérard Alexandre. A l'extrême droite, le Hazan Samuel Apfel. |
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Le répertoire musical de la Chorale Synagogale était basé sur la liturgie Achkenase : Adon Olam, Kadosh, Haleluya (de Lewandowsky), Kadish, Kol Nidrei, Hashivénou, la plupart harmonisés par mon père. Ma mère partageait activement avec lui la fastidieuse corvée de recopier à la main les partitions, musique et paroles, distribuées aux choristes selon les voix (soprani, alti, ténors et basses). Je ne possède pas les partitions de ces chants liturgiques qui sont restées propriété de la Chorale.
Les cours d'hébreu moderne que mon père Max donnait à
Metz depuis 1934, étaient "révolutionnaires" pour
la communauté israélite : en effet, l'hébreu était
traditionnellement enseigné comme langue de prière, et c'était
donc une innovation que d'enseigner l'hébreu moderne en tant que langue
vivante qui allait devenir la langue officielle du futur Etat d'Israël.
Mon père a aussi dirigé, après la Libération,
la Chorale Populaire Juive de Metz. Les répétitions de la chorale
avaient lieu dans un local au fond de la cour de la Grande synagogue : ce
local a successivement accueilli le Sporting Club Maccabi, et les mouvements
de Jeunesse Sionistes (Habonim, Hashomer Hatzaïr). Au programme de la
Chorale populaire, figuraient des chants dont certains étaient composés,
ou harmonisés par mon père, principalement en yiddish, en hébreu,
en français et même en polonais. Je possède quelques unes
des partitions de ces chants.
La Chorale Populaire donnait des concerts dans toute l'Alsace – Lorraine.
C
O N C E R T de la C H O R A L E P O P U L A I R E PREMIERE PARTIE - Ch'hob derkent dich ………………
Musique Polanski DEUXIEME PARTIE - Drei Naiterns de Peretz……………
Harm. Rosenzweig interprété par Mesdames Schmidt - Alice
et Melle Helert LE CHŒUR sous la direction de Monsieur ROSENZWEIG
Max |
Cette famille BINN devint par la suite d'un grand soutien à la famille ROSENZWEIG, bien que de nombreuses discussions liées à cette fameuse chorale égayèrent durant quarante ans la chronique juive messine. Après quelques semaines de silence vint enfin la réponse favorable, semaines exploitées sans doute par les autorités du Consistoire de Metz à se renseigner à Strasbourg sur la respectabilité de la famille ou de la valeur des documents du Conservatoire de Strasbourg (cours de direction - professeur Charles MUNCH, février 1932 mention très bien) que papa avait remis à la commission.
Les premiers jours à Metz durent être difficiles, personne sur place pour aider, pour conseiller, pour décider. Tous les amis et la famille strasbourgeois étaient loin ; tout était à refaire et par nos propres moyens.
Le déménagement de Strasbourg à Metz se fit de nuit,
je crois même me rappeler qu'il pleuvait et ventait. Et nous voilà
à l'aube transférés dans la banlieue de Metz, à
Queuleu, rue Georges-Ducrocq, numéro 9 (?), maison à deux étages
avec quatre familles, style ouvrier. La rue était en pleine construction
et se terminait en cul de sac. Les souvenirs de cette époque (j'avais
6 ans et mon frère 2) commencèrent à être touffus.
En ce qui me concerne, je vais à l'école de Queuleu en haut
d'une montée assez raide: c'est une période où le gamin
que j'étais prit ses envolées - vie de groupe avec d'autres
galopins.
Du côté matériel, les choses allaient en s'améliorant.
Papa racontait comment fonctionnait la chorale de la Synagogue. Pour recruter
ses chanteurs, il faisait passer à chacun d'eux un petit examen: il
demandait aux candidats de répéter après lui des notes
différentes qu'il jouait à l'orgue. Ainsi, petit à petit,
la chorale recruta ses membres triés sur le volet et les répétitions
commencèrent les soirs.
Papa partait avec son violon sous le bras, et rentrait très tard. Puis, le vendredi, c'était son jour, car l'office commençait le vendredi au coucher du soleil et se continuait le lendemain, samedi. Pendant la semaine, les répétitions seulement. Les gros préparatifs allaient bon train pour les fêtes de Nouvel An où toute la communauté messine se retrouvait réunie dans les murs de sa synagogue, et il fallait prouver à ses membres que le nouveau dirigeant était à la hauteur !
Ce qui plut à papa, et ce qui le poussa d'ailleurs à améliorer toujours davantage le répertoire liturgique, c'était le fait que le Consistoire Israélite de Metz était évolué et pas trop à cheval sur les principes d'orthodoxie. Ainsi, la chorale, qui aurait due être composée uniquement d'hommes comme à Strasbourg, était ici, mixte, et accompagnée, sauf au Yom Kippour, d'orgue. La restriction imposée : l'organiste ne devait pas être juif... Les chants d'obédience allemande étaient presque classiques et musicalement beaux. Papa recopiait à la main les partitions, les simplifiant pour chaque voix à part. Il avait une belle écriture claire et personne ne confondit jamais un mi avec un fa chez lui. De plus, une mémoire absolue du "LA" du diapason. Ce n'est que beaucoup plus tard que j'appréciai à leur juste valeur les petits détails qui complétaient le caractère professionnel de papa. Toujours exact aux répétitions, mais sans snobisme : une fois monté sur le pupitre, et la baguette à la main, sa personnalité se dédoublait. C'était un autre homme exigeant, pointilleux, à l'oreille extrêmement fine : il décelait une voix fausse dans une chorale de 80 chanteurs, en la désignant du doigt et, sans égard pour le malheureux choriste malchanceux, l'obligeait à se corriger immédiatement.
Le travail de fourmi porta ses fruits, et, lors des fêtes du Nouvel An juif 1935, malgré un trac épouvantable, il dirigea la chorale d'une main de fer. Les têtes se retournèrent vers l'arrière de la synagogue, se levant vers la musique tombant du ciel. Et puis, les juifs messins acceptèrent cette nouveauté comme allant de soi. Il semblait même que les gens venaient de plus en plus facilement à la synagogue, non seulement pour prier ou écouter les sermons du Grand Rabbin, mais aussi pour écouter la chorale de Monsieur ROSENZWEIG. Papa était très sensible au qu'en dira-t-on et après chaque fête, aimait recevoir félicitations et serrer les mains des notables de Metz. Le Consistoire de la ville de Metz l'accepta tel qu'il était, tout simplement on savait que M. ROSENZWEIG n'était pas un juif pratiquant, mais qu'il s'y connaissait suffisamment en culture juive et hébraïque, qu'on pouvait être honnêtement satisfait avec lui, car il faut dire que l'on embaucha mon. père non seulement pour ses connaissances musicales, mais justement pour le fait qu'il parlait couramment l'hébreu. En ces temps-là, le sionisme passait presque pour une tocade en France; apprendre la Bible dans le texte oui, bien sûr, mais l'hébreu parlé ? L'hébreu moderne ?
Il y avait à cette époque peut-être 6 à 8 mille descendants de Moïse qui avaient suivi diverses voies pour atterrir dans la région. Les uns venaient d'Espagne ou de Hollande, c'étaient les juifs alsaciens de vieille souche, riches propriétaires de terres et éleveurs de chevaux ou gros bétails, tous parlant le dialecte local alsacien ou semi allemand. En ces jours-là, c'était le judaïsme fier et fortuné qui était sur place depuis des générations et dont l'arbre généalogique pour certains d'entre eux remontait facilement jusqu'au Moyen Age qui menait le Consistoire, lui ayant apporté ce libéralisme anti-orthodoxe issu, qui sait, de la Révolution. L'autre judaïsme, l'importé, des Polonais émigrés entre les deux guerres d'une région surpeuplée de l'Est Européen, fuyant vers les Amériques, mais restés en panne à mi-chemin, c'était un mélange de pauvreté, de travailleurs manuels, vivant de très petit commerce, ou de petits métiers facilement transportables au judaïsme très orthodoxe. Ceux-là étaient une minorité et n'eurent leur propre maison de culte qu'en 1938, c'est-à-dire qu'à ce moment, à Metz, petite ville de 75 000 âmes, il y avait deux synagogues distinctes, la Grande Synagogue "libérale" et la "Polonaise", orthodoxe.
La famille ROSENZWEIG resta à Queuleu environ une année : je pourrais encore aujourd'hui refaire le chemin du centre de la ville, la Cathédrale, jusqu'à cette rue Ducrocq, chemin où on passait devant la boucherie juive cachère BENEDIC où nos parents se servirent toujours. Des gens d'une exquise amabilité dont le fils - qui plus tard devint à son tour le patron - venait livrer à bicyclette la viande à la maison.
En 1936, nous emménageons au 12, rue Pasteur, au 4ème étage d'une maison moderne, en location bien sûr. C'était un trois pièces mansardé avec salle de bains au chauffe-eau au gaz et chauffage central, une petite merveille pour l'époque. Le propriétaire était un juif lorrain, Monsieur Lucien CAHEN, membre du Consistoire : ce n'est qu'en 1970 que maman racheta l'appartement que nous appelions depuis 1936 LA MAISON. La "Maison" a droit à son histoire : nous dûmes brutalement abandonner Metz en septembre 1939 au début de la drôle de guerre en laissant à la maison tout intact, à part quelques valises bouclées en vitesse. Durant l'Occupation, la maison fut pillée, puis occupée par un quelconque fonctionnaire allemand. En 1945, à la Libération, l'Allemand chassé, on y installa un autre bonhomme fonctionnaire... français celui-là, casé probablement là où les nazis avaient laissé place libre. Ce n'est qu'en 1950, soit onze ans après leur départ, que nos parents retournèrent au 12, rue Pasteur, après appel en justice. Il ne restait plus rien des splendeurs d'antan : tout était à refaire car l'état du logis était déplorable.
Donc, avec notre installation rue Pasteur en 1936, nous voilà en ascension dans la société bourgeoise de Metz à deux pas de la gare centrale, installés dans un quartier neuf. La vie s'ouvre en rose, semble-t-il. On m'envoya à l'école juive du Sablon, avec son institutrice et sa classe mixte aux classes mélangées du préparatoire au cours supérieur. L'institutrice, Mlle BARTFELD, menait sa nichée avec beaucoup de talent et sans élever la voix : je me souviens de son visage légèrement roux et tacheté de son. Nous l'aimions bien: j'ai conservé quelques spécimens des appréciations scolaires qui me concernaient (classes élémentaires 1ère et 2ème années)."
Le 1er
avril 1977, en Israël, M. Max Rosenzweig est décédé.
Avec sa disparition, c'est une figure marquante de la communauté messine
qui vient de nous quitter. Fils d'un 'hazan de Pologne, il a, toute sa vie
été attiré par deux passions : la musique et l'enseignement.
Ayant quitté la Pologne dans les années vingt il a suivi les
cours des conservatoires de Vienne et de Berlin avant d'être à
Strasbourg l'élève de Charles Munch.
C'est en 1933 qu'il s'est installé à Metz où il su faire
profiter des centaines de jeunes de ses vastes connaissances. Malheureusement,
les événements, la guerre en particulier, ne lui ont pas toujours
permis d'exprimer pleinement tous ses dons.
Instrumentaliste de qualité (il jouait aussi bien du piano que du violon)
il s'est longtemps consacré à l'harmonisation musicale. Mais
c'est principalement en s'occupant de nombreuses chorales laïques et
juives qu'il a pu faire partager son goût de la musique. Les fidèles
de la synagogue messine se souviennent tous de ses gestes vifs et précis
pour assumer la direction du choeur synagogal qu'il a marqué de sa
personnalité. Quant au professeur d'ivrith a qui tant de messins
doivent leur connaissance de la langue hébraïque il était
exigeant, sévère parfois mais toujours plein de compréhension
pour ses élèves. Ce qu'il voulait avant tout, c'est leur enseigner
I'amour de la langue et du pays d'Israël. Il y a réussi, et notamment
au sein de sa propre famille puisque ses deux fils ont fait leur alyah
et occupent aujourd'hui des postes de responsabilités dans l'Etat juif.
Apres avoir perdu, il y a trois ans sa femme, M. Max Rosenzweig a rejoint
ses enfants et, c'est entouré de leur affection qu'il a vécu
les derniers mois d'une existence bien remplie.
Je remercie toute personne qui pourrait apporter des
éléments nouveaux, comme par exemple des partitions liturgiques
composées ou harmonisées par mon père, ou peut-être
l'existence d'enregistrements de la chorale, ou tout simplement compléter
la liste des membres de la Chorale Synagogale et de la Chorale Populaire
Juive de Metz, et m'aider à mettre un nom sur les personnes photographiées.
Jean Jonathan Rosen (Rosenzweig), Ramat Gan (Israël), jeannot@zahav.net.il |