Disparition d'une grande figure du judaïsme alsacien
Nous devons hélas ! nous y résoudre, René WEIL nous a quittés, René WEIL n'est plus.
L'homme résolu, ferme et convaincu, qui de longues années durant dirigea le judaïsme de notre département, l'homme dévoué, toujours disponible, apprécié pour ses convictions, charitable et sensible à la misère, dernier représentant d'un judaïsme rural, descendant d'un délégué rabbinique de campagne, attaché aux rites ancestraux véhiculés dans de petites communautés telles que Brumath, cet homme, respecté de tous, était l'un des derniers porteurs de ces airs chantés dans nos offices campagnards.
Avec lui, c'est toute une époque qui s'achève. Aussi le souvenir de René WEIL restera-t-il longtemps gravé dans nos mémoires.
Puisse son âme rejoindre celles qui entourent le trône céleste.
Adieu René Weil !
Jean Kahn
Président du Consistoire israélite du Bas-Rhin
Président du Consistoire Central des Israélites de France
Vous entendez le JAHR KADISH
chanté par René WEIL
(Kadish sur une mélodie réunissant les airs typiques de toutes les fêtes,
chanté le soir de Sim'hath Tora, et constituant pour les fidèles un plaisir
attendu.)
En 1978 mourut, à Brumath, Henri Weil, à lâge
de 98 ans. Il y avait été hazan durant plus de 70 ans.
Doyen des ministres officiants dAlsace, il avait étudié la
liturgie chez les plus grands dentre eux comme Victor Heymann, à
Strasbourg ou Alphonse Raas de Haguenau. Je pense que si la liturgie alsacienne
a pu se transmettre de maître à élève, cest parce
que, à son tour, il acceptait de passer sa science à ceux qui, aujourdhui,
ne sont plus, comme Bertrand Joseph qui présida pendant des années,
lassociation des ministres officiants dAlsace-Lorraine. Ce dernier
forma un jeune hazanMichel Heymann qui est un des
rares à maintenir les airs originaux de la hazanouth alsacienne,
avec René Jasner et Claude Hoenel. Mais ils ne sont pas les seuls.
A côté des hazanim "professionnels" des
"baalé tephila" bénévoles acceptaient de seconder
le chantre surtout pour les grandes fêtes. Ces baalé tephila
nutilisaient que rarement les grands morceaux de musique synagogale
composés au 19è siècle par des hazanim de réputation.
Mais beaucoup dairs oubliés depuis des générations dans
les grandes synagogues, on ne pouvait les entendre que dans les communautés
rurales.
Henri Weil avait un fils unique qui na pas comme certains, suivi la
voie de son père, et a fait une carrière dans le commerce et lindustrie,
et au lieu de devenir hazan, il a été pendant des années,
le président du Consistoire du Bas-Rhin. Mais on nest pas pour
rien fils de hazan : René Weil a écouté et
retenu- les nigounim (mélodies) de son père et il la
longtemps remplacé ou aidé.
Il y a maintenant des années que nous lentendions à loffice
de Hanouka dElisa, seul ou accompagné de la Chorale de Strasbourg. Dommage
que, vu son âge, il ait dû interrompre cette liturgie typiquement
du terroir.
René Weil a fait enregistrer quelques airs de hazanouth
alsacienne. Celui du Hallel a pris sa place à mon Séder
à Jérusalem.
Et maintenant, écoutez la voix de Monsieur René Weil !
A 93 ans, René Weil participera bientôt à une cérémonie en hommage à deux personnes, Paul Dousselin et Antoinette Nicolas, à qui ont été accordés à titre posthume la médaille et le diplôme de "Juste parmi les Nations". Né à Brumath où son père était ministre-officiant, René Weil a exercé de responsabilités. Employé au service commercial de la société "L'Oxygène liquide" à Strasbourg, il prend sa retraite en 1980 comme PDG de cette même société. M. Weil a aussi été président du Consistoire Israélite du Bas-Rhin pendant 16 ans : "J'ai ainsi reçu le pape Jean Paul II quand il est venu à Strasbourg." Une vie bien remplie donc, mais qui doit beaucoup au courage d'un fervent catholique strasbourgeois, Paul Dousselin. Introduite en 98 par M. Weil, la demande d'obtention de la qualité de "Juste" pour M. Dousselin, décédé en 66 et pour Mme Nicolas, décédée en 88, a été acceptée cette année par Israël.
D'Alsace en Auvergne
Mobilisé en 39 puis démobilisé en 40, René Weil se rend à Massiac dans le Cantal où "L'Oxygène Liquide" est replié. Son patron, Paul Dousselin, l'accueille. Mieux il lui accorde une promotion, le nommant secrétaire général de la société "et ce malgré la législation en vigueur concernant les Juifs". Bien intégré à Massiac, René Weil fait venir toute sa famille, son épouse et leur fillette Mireille, ses parents et ses beaux-parents. En 42, il réussit aussi à faire venir son beau-frère et son épouse. D'autres réfugiés juifs, d'Alsace mais aussi de Vichy et de Limoges, trouvent à se loger à Massiac.
Alerté par les gendarmes
Mais "peu avant la Pentecôte 44, je suis avisé par des amis de la Résistance que la Milice et les Allemands vont arriver à Massiac le lendemain". M. Dousselin, par présence d'esprit, prend Mireille par la main lors d'un contrôle... Les événements se précipitent pour René Weil et les siens. "Prévenu par les gendarmes de Massiac qu'ils ont mission de m'arrêter le lendemain", il sollicite M. Dousselin. Celui-ci met à sa disposition le domaine de Bessac, dans la Vienne. La famille Weil (ou plutôt Williot grâce à de faux-papiers fournis par un prêtre, ami de Paul qui deviendra Mgr Elchinger...) est mise dans le train par M. Dousselin qui ne peut retenir ses larmes. Les parents et beaux-parents suivent peu après, en voiture tirée par un cheval grâce au fils du bienfaiteur. Entre temps, les aïeux avaient trouvé refuge dans la maison d'Antoinette Nicolas dont le mari était prisonnier : "Non seulement elle les a cachés, mais elle a assuré leur subsistance, ce qui en 44 sans carte de ravitaillement n'était pas facile. Mme Nicolas a pris d'autant plus de risques qu'un responsable de la Milice habitait un logement." Le Débarquement, puis la libération de l'Auvergne précédèrent le retour en Alsace des neufs personnes ainsi sauvées des griffes des nazis. Car onze autres membres de la famille de M. Weil -dont 5 enfants- furent déportés à Auschwitz.