Les signes du zodiaque
On sera peut-être étonné, en lisant un article sur Tou-Bichvath de trouver en introduction quelques remarques sur les signes du zodiaque. Notre propos ne consiste évidemment pas à faire la promotion de l'astrologie ni à convier le lecteur à consulter l'horoscope. Pourtant, il suffit de consulter attentivement le loua'h (le calendrier juif), pour se rendre compte que chaque mois porte l'un des douze signes du zodiaque. Celui-ci est couramment nommé "l'horloge du ciel", et il évoque pour le moins l'état de la nature aux différents stades de son déroulement. Ces représentations rendent compte d'une certaine permanence dans le cycle annuel de la nature.
La tradition juive a toujours pris au sérieux la nature et ses lois, considérant à juste titre que leur déterminisme constituait à la fois une sécurité et une possibilité d'action pour l'être humain. Le Maharal de Prague, commentant l'affirmation de la Guemara, "éin mazal leisraël" (Israël n'est pas soumis au déterminisme) s'exprime de la manière suivante : En tant que peuple, Israël n'est pas soumis aux lois de la nature. Il en est de même pour l'individu quand il accomplit des mitsvoth (ou quand il prie).
Le peuple juif, en tant que peuple, est directement soumis à la volonté divine, et de ce fait, échappe aux lois de la nature. Mais, même l'individu peut dépasser ce stade par l'accomplissement des mitsvoth et de la prière. Car, ce faisant, il inscrit un autre rythme dans le monde
Chevath le mois du Verseau
Le mois de Chevath porte déjà en lui les signes avant-coureurs du printemps : la nature est en train de sortir de son hibernation, elle commence à se renouveler. Le signe du verseau, qui lui est attribué provient de l'expression "verse-eau" désignant la cruche portée sur l'épaule. Cet ustensile sert à recueillir l'eau en vue de la répandre afin de redonner de la force au sol.
La symbolique de l'eau manifeste, entre autres, l'image de l'infini. Elle vient d'en haut, elle n'a pas de forme en soi. Elle est l'image de la transcendance. La recueillir dans un réceptacle c'est la rendre humainement utilisable parce qu'inscrite à l'intérieur de limites.
C'est le but que la Torah assigne à l'univers : le transformer en réceptacle par le biais de l'être humain, afin de servir de support à ce qui le dépasse. C'est la vocation même d'Israël que de placer l'illimité dans le cadre des limites, afin d'être capable de le diffuser et de le communiquer. Aussi a-t-on désigné le Verseau comme étant le signe même du peuple juif.
Le Roch Hachana de l'Arbre
C'est au moment où la sève remonte dans les arbres que la Michna institue un Roch Hachana [nouvel an] pour l'Arbre, Ce temps, c'est le mois de Chevath. La date précise de ce Roch Hachana fait l'objet d'une discussion entre deux célèbres écoles talmudiques. Celle de Chamaï qui retient le 1er Chevath , celle de Hillel qui choisit le 15. La halakha a retenu cette dernière opinion d'où le nom de Tou-Bichevath (le 15 Chevath ) donné à ce jour.
Nous avons volontairement parlé de l'Arbre au singulier, contrairement à l'habitude de parler du Roch hachana le'ilanoth, du Nouvel an des arbres. On représente en effet généralement cette journée par des arbres en fleurs, ou encore en la consacrant à la plantation de jeunes arbres, Loin de nous de contester la nécessité impérative, surtout en Eretz Israël de reboiser le pays, mais ce n'est pas à cela que fait appel la fête de Tou-Bichevath .
On a pris, ce jour-là, l'habitude de consommer des fruits en donnant la priorité aux sept fruits qui caractérisent le pays d'Israël, Tout un Séder de Tou-Bichevath a été édité et il est suivi par le monde séfarad. Ce livret se nomme Séfer Péri Ets Hadar, Le fruit de l'Arbre Beau ( d'après Lévitique 23:40). Trente fruits sont proposés à la consommation, et celle-ci est précédée chaque fois de la lecture de textes.
Quel est donc cet Arbre ?
Et quelle est la raison pour laquelle nous mangeons des fruits ? Pour ceux qui, dans la tradition juive, ont donné de l'importance à cette fête, l'Arbre auquel il est fait référence est évidemment celui du Gan Eden, du Paradis. Il s'agit de l'Arbre dont Adam et Eve ont mangé le fruit malgré l'interdit. Consommer des fruits ce jour-là, c'est réparer leur faute. Ce qui avait été consommé dans l'ordre du désir doit être mangé dans l'ordre de la mitsva. Se nourrir de fruits ce jour-là, c'est rétablir ce que le premier couple a mal fait, et qui lui a valu d'être expulsé du Gan Eden. Il faut réapprendre à manger.
Qu'est-ce que la nourriture ?
En parlant de nourriture, nous pensons immédiatement à ce que nous consommons à table. La seule différence qui existerait entre l'animal et l'homme, c'est que le premier mange cru alors que le second mange ce qui est cuit.
Il se trouve que le recours au dictionnaire étymologique est souvent parlant. En l'occurrence, il nous apprend que le terme "nourriture", jusqu'au 18ème siècle, signifiait également " éducation". Par son sens étymologique, nous voilà donc déjà très loin de la pure consommation alimentaire, généralement comprise comme un besoin d'ordre physiologique. Car dans la mentalité des gens, le besoin n'exprime qu'un manque, quelque chose de primaire et un signe de pauvreté. Au contraire, les besoins chez l'être humain ne sont ni négatifs ni avilissants, ils ne ramènent pas l'homme au stade de l'animal, Ils manifestent au contraire sa capacité d'ouverture sur le monde extérieur. Bien sûr, l'individu dépend étroitement de son environnement, mais par la présence de ces besoins, il détient en même temps les moyens d'assurer son indépendance à son égard.
Manger, c'est avoir une emprise sur ce qui n'est pas nous-même et se l'assimiler, Or les activités humaines sont-elles autre chose que l'appropriation de notre environnement et leur transformation en vue d'assurer notre existence... Le terme même de "société de consommation" exprime plus une forme de rapport au monde qu'un ensemble d'aliments destinés à être mangés.
Vivre pour manger
Aussi a-t-on vu dans l'alimentation l'image même de la vocation humaine dont le rôle est de ramener le monde extérieur vers soi et par là même de le maîtriser, de l'orienter vers l'Autre. En conservant au mot "nourriture" son sens le plus large, en retirant du terme "besoin", sa définition purement physiologique et négative, on peut, en toute tranquillité revenir au dicton traditionnel : "il faut vivre pour manger", on ne mange pas pour vivre,
En effet, réduite à son sens restrictif, la nourriture comme
besoin, ne peut amener l'individu qu'à la satiété, à
la fermeture sur soi. Il faut qu'elle reste un élément/aliment
dont on n'est jamais rassasié, elle doit être de l'ordre de la
volonté, du besoin bien compris, non du désir.
C'est précisément l'un des comportements dont la Torah se méfie
le plus : "Veillez à ne pas vous révolter
contre le Saint béni soit-Il, car on ne se révolte contre D.
que par satiété" (Guemara Berakhoth p. 32).
Le texte de la Torah dit en effet : "de peur que te ne
manges et que tu ne sois rassasié, que tu construises des maisons et
que tu t'y installes...». Et le texte continue ainsi :
" Ton coeur s'enorgueillira et tu oublieras Hashem ton D. ..." (Devarim
/ Deutéronome chap. 8). De même précisera-t-elle
: "tu mangeras, tu seras rassasié et tu feras
une bénédiction". Toute nourriture doit nécessairement
déboucher sur le transcendant, toute consommation doit rester sur sa
faim, La nourriture doit rester ouverture et support.
D'où l'obligation de ne pas quitter la table rassasié, de ne pas commencer ni terminer un repas sans bénédiction ou sans paroles de Torah. Elle doit rester de l'ordre de ce qui ne peut jamais être satisfait et non de la satiété qui est fermeture et oubli.
La première consommation s'est transmuée en expression du désir, elle n'est pas restée dans le cadre que la loi lui avait assigné. Aussi l'être humain est-il devenu un être de manque, un être ayant besoin de temps. Sorti de l'immédiat qui devait le mener vers l'infini, il a pénétré dans l'univers de la médiation.
Or il y a de l'immédiat dans le récit de la Torah : au Gan Eden pour tous les fruits sauf pour celui qui a été mangé ; devant le Sinaï, lors des premières Tables de l'Alliance ; dans le désert, la manne. Pour nous encore aujourd'hui, le Shabath : ce jour-là. c'est du prêt-à-manger que nous consommons. Avec cette différence que ce " prêt-à-manger" doit être "prêt-paré".