Une lettre du grand rabbin Salomon Wolf Klein au Préfet du Haut-Rhin
Document fourni par le grand rabbin Jacky Dreyfus
Source : Archives départementales du Haut-Rhin


Texte de la dépêche télégraphique

Mr. Hemendinger avocat à Paris se porte candidat au consistoire israélite de Colmar en remplacement de Mr. Javal candidat du Consistoire central.
Le gouvernement désire que Mr. Hemendinger soit écarté. Faites ce qui dépendra de vous pour que ce résultat ait lieu.
L'élection est fixée au 14 du courant.

Réponse du grand rabbin Klein

Colmar le 18 janvier 1858

Monsieur Monsieur (sic) le Préfet du Haut Rhin
Monsieur le Préfet

La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire aujourd'hui, me met dans une cruelle perplexité, dans une profonde affliction : car elle ne me laisse que l'alternative, ou d'étouffer la voix de ma conscience, trahir les intérêts de ma religion ; ou d'avoir la douleur de ne pas pouvoir me rendre aux vœux d'un magistrat auquel nous devons tant de respect et de reconnaissance.

Vous désireriez Monsieur le Préfet que j'usasse de ma faible influence sur les israélites du Haut-Rhin pour appuyer la candidature de M. Javal à la qualité de notre représentant au Consistoire Central. Personne mieux que moi n'aime à rendre justice aux excellentes qualités de Monsieur Javal. Je sais que c'est un homme dévoué aux intérêts de son pays en général aux intérêts de ses coreligionnaires en particulier. J'en ai eu des preuves récentes lorsque j'ai été à Paris pour l'affaire Judaïco-(?). Je me suis plu à le reconnaître hautement et le comité qui protège sa candidature en appelle à mon témoignage. Aussi j'aurais aimé à pouvoir lui donner une marque d'estime et de sympathie, mais ma conscience de Rabbin ma conscience d'israélite ne me permet pas d'appuyer cette candidature.

Vous en jugerez de même, Monsieur le Préfet, j'en ai la conviction, quand vous aurez daigné examiner les observations que j'ai l'honneur de vous soumettre.
Le Consistoire israélite est l'administration supérieure du Culte israélite en France ; son pouvoir en matière religieuse est immense en vertu de l'autorité que lui confère l'ordonnance organique du 25 Mai 1844 ; il forme d'ailleurs à lui seul un noyau d'électeur faisant le tiers des électeurs qui doivent concourir à l'élection du chef suprême de la synagogue française. Il est donc nécessaire de faire entrer dans cette administration les hommes les plus dévoués, non pas aux intérêts matériels des israélites, mais à la religion israélite et en présence de cette considération je suis convaincu que vous reconnaîtrez vous même Monsieur le Préfet, qu'il m'est impossible de patronner la candidature de M. Javal.

Dans les Saintes-Ecritures Dieu déclare formellement que la circoncision est le signe d'alliance entre lui et la postérité d'Abraham et l'impose rigoureusement à tout père de famille ; M. Léopold Javal a négligé comme père de famille l'accomplissement de ce devoir, et comment moi Rabbin pourrai-je l'appeler à l'administration supérieure d'une religion dont il a négligé un des points les plus essentiels, les plus fondamentaux, et si M. Javal, devenu membre du Consistoire central par ma coopération, trouvait des imitateurs parmi mes ouailles comment imposerai-je silence à mes remords ? Quand ma conscience me reprocherait d'être la cause de cette défection, de cette décadence de la religion pour être allé choisir, parmi tant de notables israélites, pour le placer à la tête de la religion, un homme qui se trouve dans le cas exceptionnel d'avoir négligé de faire circoncire son fils, et d'avoir ainsi fixé sur lui tous les regards.

C'est ce que j'ai déclaré à M. Javal lui-même c'est ce que j'ai dit à MM. Cerf Beer et de Rothschild et ces messieurs ont parfaitement compris la portée de cette considération.

Vous savez Monsieur le Préfet que j'avais un autre candidat qui avait beaucoup de chance de réussite et à qui j'avais de la reconnaissance pour des services rendus à notre religion, à feu le Grand-Rabbin mon maître et aussi, à feu mon premier supérieur et ami et à l'ancienne administration consistoriale en général. Vous avez bien voulu me dire que ce candidat ne serait pas bien vu par le gouvernement, et cela m'a suffi ; je n'ai pas hésité un instant ; le cœur saignant j'ai abandonné cette candidature, et lui qui aurait été nommé d'emblée ne réunira probablement pas 100 voix dans les trois départements confiés à mon administration parce que mon premier devoir c'est de prêcher obéissance au gouvernement et de prêcher l'exemple. Mais je suis convaincu que ni le gouvernement ni vous Monsieur le Préfet vous n'exigerez de moi d'être parjure envers mon Dieu perfide à ma religion et traître à ma conscience.

Confiant dans vos sentiments d'équité dans vos hautes lumières j'ose espérer que vous apprécierez les motifs de mon abstention et je vous prie Monsieur le Préfet d'agréer l'expression de mon profond respect et de mon parfait dévouement.
S. Klein, Rabbin


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