Très CHERS FRERES,
Le grand rabbin Salomon Ulmann |
Comme la réunion des grands rabbins, pour délibérer
en commun sur les intérêts du culte est un fait sans précédent
eu France, il nous paraît utile et convenable d'entrer, avant d'exposer
les détails de ce compte-rendu dans quelques explications sur le caractère
de notre réunion, sur les motifs qui l'ont provoquée, sur l'esprit
qui anime les rabbins français, et sur les principes que nos constants
efforts tendront à faire prévaloir dans les coeurs des fidèles
confiés à notre direction pastorale.
La doctrine israélite ne permet pas à ceux qui en sont les
dépositaires et les représentants de changer, de modifier, par
voie de suppression, d'abrogation, les dispositions de la loi, soit écrite,
soit orale, que Dieu nous a révélée, ni de s'écarter
des règles établies, en vertu desquelles s'est déterminée
la forme du culte, conservée l'idée religieuse et perpétuée
la tradition du judaïsme pratique. Fidèles à ce principe,
les autorités qui se sont succédées en Israël ne
se sont jamais arrogé le pouvoir d'abolir, d'annuler, de rayer du code
religieux un point de doctrine quelconque ayant obtenu une fois force d'obligation
; toutes, au contraire, ont été profondément pénétrées
de cette idée que leur mission est de maintenir la loi dans son intégrité,
d'en populariser la connaissance, d'en favoriser le développement,
d'en assurer l'application et l'influence, en un mot de la conserver entière
dans l'enseignement et dans la pratique. C'est là la règle fondamentale
à laquelle on s'est invariablement tenu, et sous l'inspiration de laquelle
ont exercé leur action tons les successeurs de Moïse, les anciens,
les juges, les prophètes, les docteurs, les rabbins, concourant tous
à la réalisation de cette parole du poète sacré.
"Tous ses commandements sont durables ; ils sont fixés pour les temps
les plus reculés, fondés sur la vérité et la justice."
"נאמנים כל פקודיו, סמוכים לעד לעולם עשוים באמת וישר" (Psaume 111.)
La même doctrine a été suivie l'égard des décisions,
des mesures et des règlements arrêtés par l'autorité
religieuse compétente, et sanctionnés par l'assentiment universel
des fidèles. Toutes ces dispositions, qui font comme disent les docteurs
de la grande synagogue, la haie autour de la loi divine, en ont emprunté
ce caractère de stabilité et de durée qui leur a fait
appliquer avec raison ces mots de l'Ecclésiaste :
"Les paroles des sages redressent comme l'aiguillon ; elles sont fixées
comme des chevilles, elles tiennent solidement ensemble, émanant d'un
seul et même maître."
"ברי חכמים כדרבנות ובמשמרות נטיעים בעלי אספות נתנו
מרעה אחד " (Eccl. ch. 12).
Le temps seul, par les révolutions qu'il a amenées et la force
des circonstances, apu empêcher l'accomplissement de certains commandements.
La loi divine, dans quelques-unes de ses dispositions, a dû céder
aux événements providentiels qui en ont rendu l'application
impossible mais elle n'est pas tombée de vétusté, elle
n'a pas eu le sort de ces législations usées, surannées,
tombées en désuétude et ensevelies dans un éternel
oubli ; elle ressemble à une forteresse, protégée par
des ouvrages extérieurs que les habitants disputent longtemps, et pas
à pas, à la fureur des assaillants, et qu'enfin de puissantes
machines de guerre parviennent à entamer, à battre en brèche.
Mais les parties détruites n'ont pas entraîné le reste
dans leur chute ; les débris sauvés de la destruction n'ont
rien perdu de leur solidité ; les anciens possesseurs n'ont pas déserté
les ruines ; ils les ont conservées avec soin ; ils ont redoublé
de vigilance pour les garder ; ils ont aimé à s'y abriter, à
les contempler, à les montrer fièrement, on y attachant le souvenir
d'un passé glorieux et l'espoir d'une future renaissance.
C'est ainsi que la cessation forcée d'une partie de la loi n'a pas
affaibli l'autorité des parties demeurées en vigueur. On s'est
tenu au principe que "tout devoir qui a
pour objet les personnes se pratique soit dans le pays [de la Palestine],
soit en dehors du pays, et tout devoir qui a pour objet le sol, le territoire,
ne se pratique que dans le pays" "חובת הגוף נוהגת
בין בארץ בין בחוצה לארץ, חובת קרקע אינה נוהגת אלא בארץ"(Traité
Kidouschin, 37), et à la distinction faite entre les prescriptions
qui ont pour condition l'existence du temple, et celles qui sont en vigueur
en tout temps et en tout lieu.
Lorsqu'une loi était devenue impraticable, l'autorité religieuse
avait son rôle tout tracé : elle s'appliquait à la conserver
dans son esprit autant qu'il était possible. De là certaines
règles et certaines institutions établies dans la vue de sauvegarder
le principe, l'esprit, l'idée, lorsque le maintien complet de
la forme était devenu une impossibilité.
Et si, par le malheur du temps, l'autorité est parfois tombée
entre des mains criminelles, qui, au mépris du principe israélite,
ont cherché à saper, à ébranler l'édifice
sacré, à dénaturer, à fausser la doctrine, changer
les pratiques, une résistance énergique ou une salutaire réaction
n'a jamais manqué de se produire, et l'on a toujours fini par revenir
à la bonne voie traditionnelle. Et c'est ainsi que, grâce à
une protection toute providentielle, la loi mosaïque, qui est et qui
restera le patrimoine de la communauté de Jacob, s'est conservée,
à travers les vicissitudes du temps, pure, intacte, sans mélange
d'éléments étrangers et Israël, soumis à
des épreuves de toute nature, est toujours resté lui-même,
inaccessible a toute doctrine fausse et subversive de son principe ; le mensonge
n'a jamais pu prévaloir définitivement en lui, et a toujours
fini, comme un aliment impur qu'un tempérament délicat fuit
et repousse, par être rejeté de son sein et par laisser à
la tradition vraie reprendre son cours. Ceux qui sont restés à
l'écart, semblables à des branches détachées du
tronc, ont perdu tout principe de vitalité et ont fini par dépérir,
par disparaître, sans laisser de trace, du milieu d'Israël.
A la règle que nous venons d'exposer s'en joint une autre non moins
essentielle, non moins fondamentale, non moins suivie et respectée
par tout ce qu'Israël a compté, dans tous les temps, d'hommes
sages et pieux, d'esprits éclairés et modérés
c'est celle qui nous impose l'obligation d'embrasser dans notre sollicitude
pastorale et de conserver ou de rattacher au judaïsme tout ce qui porte
le nom d'Israélite.
Nous nous devons à tous nos frères, et pour nous donner à
tous il faut agir comme Dieu lui-même a fait lorsqu'il a dit "Je me
suis présenté à ceux qui ne me demandaient pas, je suis
allé au-devant de ceux qui ne me cherchaient pas" (Isaïe
ch. 65).
Plusieurs de nos frères se trouvent, par les circonstances, placés
si loin du centre israélite, dans un isolement si complet, que les
derniers échos de la religion expirent avant d'arriver jusque eux;
il faut ouvrir de nouvelles voies pour que la parole de Dieu vienne les trouver,
et, par l'attraction qu'elle exerce, s'emparer de leur volonté, les
arracher à leur indifférence et les confondre avec la communion
des fidèles. "Il faut songer, comme dit la femme sage de la Bible,
aux moyens de ramener, de retenir ceux qui tendent à s'égarer
et à se perdre" (IISamuel ch. 14).
S'il y en a plusieurs qui, tombés d'écarts en écarts,
renoncent à tout espoir de retour et se persuadent qu'après
s'être relâchés une fois il n'y a plus rien à perdre
en rompant complètement avec son culte, ou que la négligence
d'une partie des devoirs rend inutile l'accomplissement des autres, c'est
à nous de les sauver d'une aussi dangereuse erreur, de les appeler
à se grouper avec nous autour des principes sublimes du judaïsme
et de leur dire qu'il ne dépend pas de nous de rompre le lien qui nous
unit ; que le cachet israélite qui nous est imprimé par le fait
même de notre naissance est indélébile; que la religion
a sur nous des droits imprescriptibles ; que l'abus de la liberté morale
ne saurait ni porter atteinte à l'autorité du devoir, ni former
un obstacle à notre retour ; que, si chaque faute nous attire une punition,
nous impose une expiation chaque mérite nous assure une récompense,
nous élève à une perfection ; qu'enfin Dieu nous tient
compte de chaque effort fait pour le bien ; qu'il vient en aide à ceux
qui le cherchent, puisqu'il se présente même à ceux qui
lui refusent toute soumission, et que la distance qui nous sépare de
lui n'est jamais assez grande pour qu'il ne suffise quelquefois d'un seul
élan pour la franchir et nous élever jusqu'à lui.
Interprètes de tels principes, nous devons les proclamer, en propager
la connaissance, par tous les organes qui sont a notre disposition. Nous ne
pouvons, il est vrai, qu'enseigner, qu'exhorter ; mais il suffit quelquefois
d'une parole dite à propos pour écarter les ténèbres
qui environnent les cœurs et ouvrir à la vérité
le chemin d'y arriver et de les éclairer de sa douce et bienfaisante
lumière. Elle trouvera peut-être parmi ceux même qui sous
une indifférence apparente, se tiennent à l'écart, plus
d'une âme qui y aspire, qui languit dans son isolement et qu'une heureuse
circonstance louche et ramène à la bonne voie. Mais, dussent
nos peines se dépenser en pure perte et nos efforts rester sans résultat,
la vérité proclamée par notre bouche ne dût-elle
rencontrer que des cœurs rebelles et des oreilles sourdes, notre devoir
reste le même il nous commande d'agir, d'essayer, de multiplier les
moyens et de revendiquer pour la religion l'empire qui lui appartient sur
nos cœurs ; et si un seul des grains que nous répandons autour
de nous germe et fructifie, notre peine se trouvera suffisamment récompensée.
C'est sous la préoccupation de ces idées que nous nous sommes
décidés à nous réunir pour nous communiquer réciproquement,
dans un entretien de vive voix, nos vues et nos tendances, et pour nous concerter
sur la ligne de conduite à suivre dans la recherche des moyens les
plus praticables de sauvegarder nos doctrines et de conjurer les dangers qui
menacent l'avenir religieux de nos familles, et qui, par l'ignorance toujours
croissante des principes israélites, sont de nature à inspirer
les plus sérieuses inquiétudes.
De tout ce qui vient d'être exposé résulte
nettement le but de notre conférence.
Cette réunion ne devait pas avoir et n'a pas eu l'importance d'un synode.
Aucune question de dogme, aucun point de doctrine, aucune mesure de réforme,
dans l'acception ordinaire de ce mot, n'a dû être l'objet de notre
examen, de nos discussions. On ne saurait donner on caractère de cette
nature aux questions du programme, pas même â celle qui concerne,
non le rituel proprement dit, mais les prières additionnelles connues
sous le nom de Pioutim (1),
comme il sera expliqué ci-après.
Les rabbins français n'ambitionnent pas, et espérons qu'ils
resteront toujours dans ces dispositions, le nom de réformateurs ce
dont ils seront toujours jaloux, c'est d'être, à l'exemple de
leurs illustres devanciers, les soutiens de la foi, les défenseurs
de nos doctrines, les conservateurs fidèles de nos traditions, les
propagateurs, par l'étude et l'enseignement, de la science religieuse,
les pasteurs dévoués de leur saint troupeau.
De là le caractère des décisions prises par la conférence
ce sont des vœux, des déclarations, des résolutions formées
par les membres, ou par la majorité des membres, avec l'engagement
de s'y conformer dans l'exercice de leurs fonctions pastorales. Encore une
fois le but de la conférence a été uniquement de s'entendre
sur l'efficacité à assurer aux moyens dont la religion peut
et doit se servir pour s'introduire dans les cœurs des fidèles,
pour y nourrir et développer des sentiments pieux et généreux
et pour fortifier ce lien sacré qui nous unit à Dieu en nous
unissant entre nous-mêmes.
Le choix de ces moyens ne saurait être douteux c'est de rendre le culte
aussi édifiant que possible et de répandre dans nos demeures
une aussi grande somme d'instruction que les circonstances le permettent.
Dieu seul a le pouvoir de toucher les coeurs et de les disposer à son
obéissance ; il a dans sa main les moyens infaillibles de ramener les
hommes à la vérité, au devoir, à son culte. Les
épreuves qu'il nous envoie de temps en temps parlent, et leur langage
est plus puissant sur nos cœurs que toutes les voix humaines ; et arrive
souvent (l'histoire est là pour l'attester) que, sous l'influence
toute-puissante des événements que sa providence dirige, les
générations, comme les individus, font un retour sur elles-mêmes
et éprouvent un besoin irrésistible de revenir à celui
dont on a longtemps méconnu et oublié la volonté. C'est
à lui qu'il appartient de mettre en jeu ces ressorts cachés
et puissants qui transforment les sociétés et les rendent meilleures.
Mais ce qui, dans tous les temps et partout, est notre devoir à nous,
c'est d'instruire c'est d'exhorter, c'est d'éclairer nos frères
sur leurs obligations c'est de leur rappeler leur mission, c'est de leur dérouler
les immortelles pages du livre céleste dont Dieu nous a dotés,
et de leur dire "Là est votre vie, là est votre destinée,
là seulement est votre salut et celui de vos enfants" (Deutéronome
ch. 29).
C'est ce sentiment profond de notre mission qui nous a guidés dans
nos travaux et qui ne nous a pas abandonnés un seul instant dans le
cours de nos délibérations. En abordant les questions du programme,
nous étions préparés, non seulement par nos propres réflexions,
mais aussi par les travaux préliminaires des rabbins communaux à
qui ces questions avaient été soumises, et dont les avis, résultat
d'un examen sérieux ont été sous nos yeux, nous guidant,
sans toutefois nous lier les mains, dans l'appréciation des besoins
des communautés et des vœux de leurs pasteurs.
La première partie du programme pour objet le culte et les
moyens de rendre la célébration de nos offices digne, efficace
et instructive ; et la première des questions soumises à
nos délibérations a été celle qui concerne
la révision des prières dites Pioutim. On
comprend sous cette dénomination ces oraisons, en prose rimée,
composées, pour la plupart, à une période comprise entre
le dixième et le treizième siècle de l'ère vulgaire,
et ayant pour objet soit le récit des faits mémorables relatifs
aux fêtes, soit le développement des préceptes de la loi
divine, soit la commémoration des épreuves qu'ont subies nos
pères, soit enfin de simples invocations et des actions de grâces
adressées à Dieu. Les auteurs de ces poèmes religieux
et didactiques ont eu en vue de nourrir pendant l'heure des offices la piété
des fidèles, et de fortifier en eux la confiance en Dieu, l'attachement
au devoir, l'espérance d'un avenir meilleur, la croyance aux consolations
promises à Israël en récompense de sa fermeté dans
les épreuves. Ces compositions, qui marquent d'une manière si
frappante le cachet du temps qui les a vues naître, sont venues successivement
augmenter le cadre de nos rituels, sans qu'à aucune époque leur
introduction eût été l'objet d'une prescription formelle,
et sans qu'elles eussent pu obtenir le rang de prières obligatoires.
Aussi la conférence a-t-elle reconnu, à l'unanimité,
qu'en principe, les Pioutim peuvent être révisés.
Quant à l'application à faire de cette déclaration deux
membres n'en ont pas reconnu l'opportunité (1)
: ils pensent qu'instituées pour entretenir des souvenirs historiques
et pour rappeler aux fidèles la signification de nos fêtes, ces
prières doivent toutes être maintenues ; que l'usage de les réciter
peut être considéré comme généralement répandu
; que, si cette récitation prolonge la durée de l'office cette
longueur est dans l'esprit de notre religion, qui veut que les jours de fête
soient partagés entre les actes de dévotion et la récréation
du corps et de l'esprit ; qu'enfin, loin de voir un avantage dans cette
suppression, ils craindraient d'établir un précédent
dangereux ; en un mot, tout en n'appliquant pas à cette question le
principe de דבר שבמנין, ils pensent que nous n'avons pas le droit de faire
l'abrogation dont il s'agit.
La majorité des membres de là conférence, repoussant
la thèse soutenue par la minorité, pense, au contraire, qu'une
révision des Pioutim est devenue désirable, et son
avis est motivé par les considérations suivantes :
On ne saurait considérer comme ayant force obligatoire un usage contre
lequel, depuis son origine jusqu'à nos jours, les protestations les
plus énergiques se sont élevées des rangs les plus éminents
de nos docteurs et de nos casuistes.
Si d'autres autorités, également imposantes, ont cherché
à justifier l'introduction des Pioutim, elles se sont bornées
à en reconnaître l'usage permis ; elles semblent les souffrir
et les tolérer, plutôt que les recommander d'une manière
positive.
Il serait difficile, en effet, de répondre aux objections très
sérieuses formées contre les Pioutim qui se trouvent
attaqués sous le rapport doctrinal, grammatical et esthétique.
Ces objections se tirent de cinq ordres de considérations :
On ne saurait, d'ailleurs, suivant la majorité, reconnaître
un caractère d'universalité à un usage qui a subi tant
de modifications, et qui varie, non seulement suivant les différents
rites, mais, dans le même rite, d'une province à l'autre, d'une
communauté à l'autre.
Composées dans le dessein de fortifier dans les cœurs le sentiment
israélite, ces prières cessent d'être un hommage à
la Divinité dès qu'elles cessent d'être pour les fidèles
un moyen d'édification et d'instruction. Or il suffit de jeter un coup
d'œil sur ce qui se passe dans nos temples, surtout dans les grandes
communautés, pendant la récitation des Pioutim pour se
convaincre que non seulement le but que leurs auteurs s'étaient proposé
est manqué, mais qu'au contraire ces prières facultatives, multipliées
à l'excès, forment, dans les circonstances actuelles, un obstacle
au recueillement et nuisent à la dignité qui est un caractère
si essentiel du culte de Dieu. Rappelons-nous donc ce principe inscrit, à
la première page de notre code religieux : "Mieux vaut prier peu avec
recueillement que de prier longtemps sans recueillement. "
Réduites à un cadre convenable et choisies parmi les plus sublimes,
les plus belles de ces œuvres, ces oraisons, au lieu d'être une
cause d'ennui et de distraction seraient l'ornement de notre liturgie, et
offriraient à la piété la nourriture spirituelle qu'elle
cherche dans le culte ; ce serait, en outre, préparer la voie à
la fusion des rites, si désirable, à notre époque surtout,
où, plus que jamais, nous éprouvons le besoin de serrer nos
rangs, d'effacer entre nous tout élément de division et d'établir
l'unité israélite par l'uniformité du culte, comme elle
règne par la communauté de nos principes, de nos doctrines et
de nos croyances.
Par toutes ces considérations, la majorité usant d'un droit
incontestable, déclare que non seulement la révision des Pioutim
est licite, permise, mais qu'elle est devenue désirable. Toutefois,
comme il s'agit d'un choix à faire, et afin de n'entraver en rien les
voeux des communautés, la conférence s'est tracé une
règle suivant laquelle elle a entendu procéder, et qui se trouve
exposée dans le compte rendu ci-après.
Mais faut-il voir dans la multiplicité des prières
additionnelles l'unique cause de la longueur fatigante des offices ?
Assurément non. Le principal écueil est dans la manière
d'officier et dans l'abus du chant. D'où vient-il en effet, que, malgré
le réveil parmi nous du goût, de l'esthétique malgré
les belles et touchantes partitions et les travaux artistiques d'une valeur
réelle dont s'est enrichi le répertoire de nos synagogues, le
cœur des fidèles reste sec, froid, en proie à l'ennui et
fermé au recueillement, aux émotions salutaires que le culte
de Dieu devrait faire naître et entretenir ? C'est qu'il faut, pour
rendre à nos cérémonies l'efficacité qui leur
manque, autre chose que de belles compositions musicales ; il faut des officiants
qui apportent à l'exercice de leurs fonctions tous les soins et toute
l'instruction capables de relever leur ministère sacré, et qui
se distinguent autant par leur piété et la dignité de
leur caractère, de leur conduite et de leur tenue que par l'onction
de leur parole, par la pureté et la correction de leur prononciation,
par une diction naturelle, venant du cœur et pénétrant
dans les cœurs, relevée par des mélodies simples, agréables,
propres aux épanchements d'une âme qui prie, et disposant au
recueillement ceux qui écoutent. Hâtons-nous de le dire, les
abus dont souffre notre culte sous ce rapport, et qui se maintiennent avec
toute la persistance d'un mal invétéré, c'est moins aux
ministres officiants qu'il faut les reprocher qu'aux communautés elles-mêmes,
qui, en faisant leur choix, ne songent qu'au mérite musical, au chanteur,
et perdent de vue les conditions réelles qui devraient déterminer
leur préférence.
Soyons exigeants, cherchons dans ceux qui doivent prier pour nous les qualités
que prescrivent nos doctrines, et des ministres officiants ne manqueront pas
de se former, et nous aurons en eux des hommes pieux, instruits, dignes d'être
les représentants de leurs communautés et nos interprètes
devant Dieu.
Pour atteindre ce but, la conférence a formé un projet
de règlement dont la mise en pratique contribuera à rendre à
nos offices leur caractère et leur dignité, et, en les réduisant
à une durée convenable, facilitera l'introduction d'une prédication
fréquente et régulière.
A la demande de plusieurs de ses membres, la conférence a discuté
la question de l'orgue, et, après un examen approfondi, elle a déclaré
à la majorité des voix :
Nous savions bien, ou du moins la majorité d'entre nous savait, qu'en
prenant cette décision nous nous trouvions en face d'une opinion qui
se prononce énergiquement pour l'exclusion de cet instrument, et qui
compte dans le vulgaire, et aussi parmi les rabbins, de nombreux et
respectables adhérents ; mais les motifs sur lesquels s'appuie cette
opinion contraire n'ont pu ébranler nos convictions. De plus, la raison
qui est vulgairement invoquée contre l'admission de l'orgue, et qui
est tirée des prohibitions désignées sous le nom de חוקת
הגוים (coutume étrangère) a été écartée
à l'unanimité. Si cependant une faible minorité ne s'est
pas associée à l'avis de la majorité (11),
c'est qu'elle conteste les bons résultats qu'on se promet de l'introduction
de cet instrument, qu'elle voit, même dans une innovation de ce genre
le danger d'enlever au culte son caractère israélite et de jeter
de la confusion dans les idées, et qu'enfin elle trouve insuffisant
le motif pour lequel on veut permettre à une personne même étrangère
à notre culte l'exécution dans le temple de la musique instrumentale
le samedi et les jours de fête.
La majorité, au contraire, tout en désapprouvant la tendance
d'entourer nos cérémonies religieuses d'une pompe qui menace
d'enlever au culte israélite son caractère de simplicité,
a pensé dans une question comme celle-ci, où aucun principe
n'est compromis, ou l'avis contraire ne saurait se prévaloir d'aucune
raison positive, d'aucun texte formel, d'aucun argument sérieux, et
n'a d'autre base qu'une certaine répugnance plus ou moins légitime,
le rabbin peut céder aux exigences du temps et ne doit pas s'opposer
au vœu d'une communauté qui demande l'introduction de l'orgue,
lorsqu'elle croit y trouver un élément d'édification
et un moyen de rehausser la dignité du culte.
Dans cette question, comme dans celle des Pioutim, la conférence
s'est guidée d'après les considérations suivantes : Le
culte répond à un commandement formel de Dieu et consiste dans
des cérémonies augustes, instituées dans le dessein d'appeler
les fidèles à se réunir devant Dieu, à se compter,
à s'aimer, à s'édifier, à s'encourager mutuellement
à s'instruire à la même source et à proclamer ensemble,
à la face du monde, les vérités de la foi et les principes
de la croyance israélite ; que, pour atteindre ce but, notre devoir
est d'adopter toute mesure dictée par les circonstances, autorisée
par nos doctrines et nos traditions, limitant convenablement la durée
des offices divins, et permettant de fortifier dans le culte l'élément
d'instruction qu'il renferme, et d'offrir, par ce moyen aux fidèles,
des leçons pour la vie pratique et des règles pour la sanctification
de nos familles.
Le même principe qui a dominé dans l'examen des questions ayant
pour objet la célébration des offices nous a guidés dans
la discussion de celles qui concernent l'instruction religieuse.
Ces questions, si dignes d'occuper le premier rang dans notre sollicitude
pastorale, ont
été de notre part, l'objet du plus sérieux examen. Poursuivant
le même but dans le temple et dans l'école la Conférence
n'a dédaigné aucun moyen qui, à ses yeux mène
à un résultat, favorise un progrès, fournit une occasion
de perfectionner l'éducation morale et religieuse de la jeunesse israélite.
C'est ainsi que la cérémonie de la majorité religieuse
a été envisagée sous le point de vue de l'utilité
qu'elle présente comme moyen d'encourager à l'éducation
et à l'instruction religieuse du premier âge, et de stimuler,
à cet effet, le zèle des parents et des enfants. Il importait
de déterminer le caractère de cette cérémonie
et d'en indiquer le but afin d'éviter, sur la portée de cet
acte, tout malentendu, toute confusion dans les idées. Cet acte, en
effet, n'est pas une consécration, une introduction dans la communion
des fidèles : l'israélite n'en a pas besoin il est israélite
par la naissance. Arrivé à un certain âge il acquiert
par ce seul fait, indépendamment de sa volonté et sans aucun
autre acte, sans aucune manifestation, l'aptitude et l'obligation de remplir
ses devoirs d'homme et d'israélite. Néanmoins, la célébration
de la majorité religieuse a son importance ; elle est instituée
dans le triple but de rappeler, par un acte solennel, à la jeunesse
des deux sexes, qu'elle est arrivée à l'âge qui la rend
majeure pour l'accomplissement de tous les devoirs religieux, de constater
que l'instruction religieuse nécessaire cet âge n'a pas été
négligée et enfin d'offrir une occasion de plus aux fidèles
de se réunir devant Dieu, et à la religion de se mêler
aux émotions des parents et des enfants
Cette question qui se rattache à fois aux cérémonies
du culte et à l'instruction nous a servi de transition à celles
qui concernent les études religieuses proprement dites.
Convaincue que l'instruction est le seul remède à conseiller,
dans les circonstances actuelles à une génération menacée
de se corrompre dans l'ignorance et l'oubli du devoir, que l'enseignement
de la vérité, que la connaissance du judaïsme de ses dogmes,
de ses pratiques, de sa morale et de son histoire, est la seule digue à
opposer aux progrès des jouissances matérielles où risque
de s'abîmer notre société la Conférence a embrassé
cette question capitale dans son ensemble et dans tous ses détails.
Elle a indiqué après une mûre délibération
les mesures propres à répandre l'instruction dans toutes les
classes, et elle prend l'engagement, au nom de tous les rabbins français,
d'en poursuivre la réalisation par tous les moyens que les circonstances
permettront de faire valoir.
Formation d'instituteurs capables, organisation de bonnes écoles,
exercice d'une surveillance sérieuse et efficace, secours et récompenses
à assurer aux instituteurs méritants encouragement à
la création d'institutions israélites, nomination d'aumôniers
israélites aux établissements universitaires, propagation de
livres d'instruction et d'édification, etc., tels sont les différents
points de vue du grand problème dont la solution nous intéresse
à un si haut degré, parce que d'elle seule dépendent
notre régénération et notre salut. L'instruction, la
diffusion des lumières c'est la vie du judaïsme, et c'est
l'intelligence des principes et des doctrines qui doit conduire à la
pratique, en ranimant la foi et en éclairant les consciences.
La série des questions qui concernent cette matière est venue
se clore par le vœu, unanimement exprimé, que
l'école centrale rabbinique soit transférée
à Paris. A cette occasion la conférence n'a pas manqué
d'apprécier les services éminents que le consistoire de Metz
et l'administration de l'école ont rendus à cet établissement
et au judaïsme en France. Si les ressources d'une ville de province pouvaient
égaler le zèle et les lumières de ces administrations
si dévouées, certes le vœu que nous venons de former n'aurait
pas eu lieu ; mais le nombre de plus en plus restreint d'hommes cultivant
la science sacrée, devenu aussi rare à Metz, autrefois la métropole
du judaïsme français, que partout ailleurs ; la nécessité
généralement sentie de donner à l'enseignement des branches
dont se compose le programme de l'école des développements en
harmonie avec les besoins de notre époque ; la retraite du talmudiste
distingué que son âge et le besoin de repos empêchent
de se consacrer plus longtemps à sa longue et brillante carrière,
et enfin l'importance de la communauté israélite de Paris, la
première en France sous le rapport numérique, moral et intellectuel,
ce sont là autant de considérations puissantes qui ont motivé
notre vote en faveur de la capitale. Seule, elle nous semble offrir les ressources
nécessaires pour élever la pépinière où
se forment les chefs religieux de nos communautés au niveau qu'elle
doit occuper pour produire les résultats qu'on est en droit d'en attendre.
Nous ne nous arrêterons point aux autres questions du programme : les
résolutions auxquelles elles ont donné lieu sont faciles à
apprécier et n'exigent aucune explication.
La tâche que nous nous sommes imposés, très chers frères,
en vous adressant cette lettre pastorale nous parait remplie c'est celle de
vous faire connaître l'esprit qui anime vos pasteurs ; esprit de paix,
de conciliation de crainte de Dieu et de dévoûment (sic) à
vos intérêts spirituels ; esprit qui, nous le répétons,
ne s'est démenti dans aucun membre de la conférence pendant
tout le cours de nos délibérations.
Nous nous sommes séparés dans la douce espérance que
nos intentions ne seront pas méconnues que nos vues et nos convictions
seront partagées, et que le concours de nos consistoires et le vôtre,
très chers frères, ne nous feront pas défaut. Il ne faut
pas moins que nos efforts réunis pour sauvegarder le saint patrimoine
que nous ont légué nos pères. Quelque solide que soit
un édifice, il se dégrade et se détériore lorsqu'on
néglige de le surveiller et de l'entretenir. "La
charpente la plus ferme, dit l'Écriture sainte, se disloque par la
nonchalance du possesseur ; confiée à des mains inactives la
maison s'ouvre à la pluie, à l'orage" (Ecclésiaste
10 :18). Qu'une nouvelle et heureuse activité vienne donc régénérer
nos communautés, nous rapprocher et nous unir ! Que le culte de Dieu
au temple et dans la famille, reprenne sur nous son influence légitime,
et que, par participation de nous tous, elle devienne pour nous tous une source
d'édification et de salut ! Que la culture de la science sacrée
trouve surtout parmi nous des protecteurs et des encouragements ! Que les
institutions pour l'instruction de la jeunesse se multiplient et se développent
! Que dans toutes, depuis la pépinière où se forment
nos jeunes rabbins jusqu'à l'humble école primaire, l'enseignement
religieux fortement organisé, réponde à nos besoins !
Que dans la famille comme dans l'école, l'étude et la connaissance
de la parole divine, cette science de la vie, suivent les progrès des
jeunes intelligences et couronnent leur éducation ! Pasteurs et fidèles,
travaillons de concerta l'œuvre de notre salut ! Dieu bénira nos
efforts ; son secours ne manque jamais à ceux qui cherchent sincèrement
et loyalement chemin de la vérité.
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