Jules BAUER (Balbronn,18 mai 1868 - Paris, 20 décembre 1931) est rabbin d'Avignon puis de Nice. Nommé grand rabbin, il dirigera le Séminaire israélite de France de 1919 jusqu'à son décès. |
Après tant de négociations laborieuses, mais finalement couronnées
de succès, le Consistoire central avait hâte de voir fonctionner
l'Ecole rabbinique.
Il constitua donc sans délai une commission administrative chargée
de réaliser les décisions prises et d'organiser dans tous ses
détails la nouvelle institution. Ce Conseil siégeait à
Metz et était composé du grand rabbin de la circonscription,
président de droit, et de six membres laïcs, dont un, avec le
titre de vice-président, était nommé par le Consistoire
de Metz, et les cinq autres par le Consistoire central, mais sur présentation
du Consistoire de Metz.
liste des membres de la première commission administrative
direction et personnel enseignant
En même temps on fit choix d'un directeur et d'un corps de professeurs.
recrutement des élèves
noms | lieux et dates de naissance |
boursiers des consistoires de : | date de leur sortie (5) |
Dreyfus, Samuel | Ribeauvillé 1806 | Colmar | 1832 |
Lévy, Léon (6) | Strasbourg 1810 | Strasbourg | 1830 |
Strauss, Léopold | Strasbourg 1801 | Strasbourg | 1832 |
Cahen, Michel David | Metz 1801 | Metz | 1833 |
Brunschwig | Wintzenheim 1812 | Colmar | 1833 |
Ulmann, Salomon | Saverne 1805 | Strasbourg | 1834 |
Worms, Abraham | Metz 1809 | Marseille | 1834 |
Lévy, Josué | Saverne 1809 | Strasbourg | 1836 |
Cahen, Lazard | Phalsbourg 1811 | Nancy | 1836 |
Isidor, Lazare | Lixheim 1813 | Paris | 1836 |
Marx, David | Landau | Bordeaux | |
externes : | |||
Dreyfus, Heymann | Mutzig | ||
Winiphen B. | Thionville | ||
Wittelich | Metz | ||
Charleville M. | Metz | ||
Wogue Lazare | Fontainebleau |
Ci-contre, la liste de la première promotion d'élèves
de l'Ecole rabbinique :
Tous les élèves, comme on le voit, étaient originaires
de l'Alsace ou de la Lorraine ; Lazard Wogue, de beaucoup le plus jeune, né
à Fontainebleau, séjournait lui-même depuis quelque temps
à Metz. Il n'était d'ailleurs, par une faveur spéciale,
qu'en subsistance à l'Ecole, "à cause de ses heureuses et précoces
dispositions" ; mais tout en prenant ses repas à l'Ecole, il suivait
les cours du lycée.
On est frappé d'autre part de l'âge avancé de la plupart des élèves : d'aucuns avaient atteint vingt-quatre, vingt-cinq et même vingt-neuf ans. Ils avaient donc déjà fait un long stage dans les écoles talmudiques ou chez des rabbins particuliers. Un seul était bachelier. C'était Samuel Dreyfus. Aussi le nommera-t-on, dès l'ouverture de l'Ecole, répétiteur de latin et de français, avec un traitement de 150 francs par an. On constate enfin que sur cette première liste d'élèves figurent les noms de deux futurs grands rabbins de France : Salomon Ulmann et Lazard Isidor.
installation et inauguration de l'école
On avait décidé d'établir l'Ecole dans une propriété de la Communauté, située 47, rue de l'Arsenal. L'origine et l'histoire de cet immeuble méritent d'être rappelées. Il avait été légué à la Kehila de Metz, en 1704, par Abraham Schwab et sa femme Agathe (7) avec une rente annuelle de 6.000 livres écus, à charge pour la Communauté d'y installer et d'y entretenir une école talmudique. Cette clause testamentaire fut scrupuleusement respectée jusqu'en 1793. Mais à cette époque, sous "la Terreur", la "Yechiba" fut fermée et ses disciples et maîtres dispersés.
Naturellement, le capital social fut confisqué. Cependant, grâce à la piété et aux sacrifices des israélites de Metz, la "Yechiba" fonctionnait de nouveau depuis 1819. L'Ecole rabbinique qui, en lui empruntant ses principaux professeurs, allait s'installer dans ses locaux, n'est donc au fond que cette vieille institution messine transformée, modernisée et promue au rang d'établissement d'intérêt général. Nous aurons l'occasion de donner une description de la maison Schwab. Disons seulement ici que son aspect extérieur et son aménagement intérieur n'inspiraient pas une haute opinion du judaïsme français.
On s'aperçut d'ailleurs bien vite de son insuffisance. C'est à peine si elle offrait assez d'espace pour les chambres des élèves et les salles de cours. L'installation du réfectoire, de la salle de séances de la Commission administrative et du logement du directeur, chargé par traité spécial de la nourriture et de l'entretien des pensionnaires, exigeait la location de l'immeuble contigu moyennant un loyer annuel de 500 francs (8). Cette dépense imprévue jointe à celles occasionnées par quelques travaux de réparations indispensables et le percement d'une porte de communication entre les deux immeubles absorbèrent en grande partie le maigre crédit de 5.000 francs mis à la disposition, de la Commission pour frais de premier établissement. Et l'on ne possédait ni lits, ni literie, ni linge, ni ustensiles de cuisine, ni matériel scolaire, ni livres profanes !
Vainement le Comité de Metz adressait, en des termes parfois vifs, des réclamations nombreuses et pressantes au Consistoire central. Celui-ci, faute de fonds, ne lui envoyait pour toute réponse que l'expression de ses encouragements et de son dévouement aux intérêts de 1'Ecole. On se tira pourtant d'affaire en ajournant l'ouverture, d'abord au premier avril, puis au premier juin (9).
Ce retard de cinq mois permit à la Commission de prélever sur les 8.500 francs prévus au budget de l'Ecole pour l'année scolaire 1830 la somme de 3.500 francs et de la consacrer aux frais d'installation. Grâce à cette nouvelle ressource, l'organisation s'acheva tant bien que mal. Les cours de Talmud, d'hébreu et d'histoire juive commencèrent, conformément à la décision du Consistoire central, le 1er juin 1830, mais seulement en présence des élèves originaires de Metz (10) ; les autres n'arrivèrent que le 20 juin. L'inauguration eut lieu à la fin du même mois. Ce fut une cérémonie triste et morne. On était à une époque de fermentation révolutionnaire, à la veille d'évènements politiques graves. Les autorités officielles étaient retenues à leur poste, et les membres du Consistoire central n'avaient osé quitter la capitale. Seuls quelques israélites messins témoignèrent par leur présence l'intérêt qu'ils portaient à une institution dont on attendait la régénération du judaïsme de notre pays.
l'école rabbinique après la révolution de 1830
Les embarras financiers avec lesquels la Commission était aux prises faisaient mal augurer de l'avenir de l'Ecole ; et probablement son existence eût été courte sans les changements politiques survenus en France et eurent pour le judaïsme de notre pays les conséquences les plus heureuses.
Peu de semaines après l'avènement de Louis-Philippe, le 4 décembre 1830, la Chambre des députés vota, à une forte majorité, une loi, promulguée le 8 février 1831, établissant une parfaite égalité entre les Français de tous les cultes, et mettant à la charge de l'Etat le traitement des rabbins et d'un certain nombre de ministres officiants. L'Ecole rabbinique avait été oubliée, mais le Consistoire fit rapidement réparer cette omission. Une ordonnance royale du 22 mars 1831 attribua, en effet, à l'Ecole un crédit de 8.500 francs, c'est-à-dire la somme entière prévue pour les besoins de son fonctionnement. Ce crédit, Vu son insuffisance, sera bientôt élevé à 10.000 francs.
Le mois suivant, le 8 avril 1831, une circulaire, du ministre des Cultes, le baron Cuvier, accorda en outre aux aspirants rabbins la dispense du service militaire. Une phrase de ce document motiva cependant une nouvelle intervention du Consistoire (11). On y lisait en effet : "Le culte israélite n'a point d'établissement légalement reconnu pour l'enseignement religieux", assertion évidemment étrange après ce qu'on vient de voir. Et pourtant, elle s'explique cette phrase dans une certaine mesure, quand on se rappelle les conditions dans lesquelles se poursuivaient encore bien souvent à cette époque les études rabbiniques. Malgré l'Ecole de Metz, l'ancien système restait en vigueur et des jeunes gens, se destinant au ministère sacré, continuaient à faire leurs études sous la direction de maîtres particuliers. Le Consistoire central ne détenait pas encore le monopole des diplômes qui, comme antérieurement, pouvaient être décernés par trois grands rabbins choisis par les candidats eux-mêmes. C'est cette situation qui semble avoir inspiré les termes incriminés de la circulaire.
Le gouvernement voulait prévenir les abus en exigeant de tous les aspirants rabbins demandant la dispense du service militaire un certificat du président de leur Consistoire indiquant les noms et prénoms des réclamants, la date et le lieu de leur naissance, l'établissement du professeur près duquel ils étudiaient et l'époque où ils avaient commencé leurs études (12). Quoi qu'il en soit, l'inscription au budget de l'Etat des dépenses générales de l'Ecole, la dispense du service militaire accordée aux élèves appelés à devenir des fonctionnaires émargeant au budget et revêtus de l'autorité gouvernementale, relevèrent singulièrement le prestige de la nouvelle institution et semblaient établir sur une base solide son avenir matériel et moral.
Les documents sur les premières années de l'Ecole sont rares, ce qui permet de supposer qu'il ne s'y passait rien d'anormal. Certes, la science juive était encore à cette époque dans l'enfance, mais les professeurs, hommes consciencieux, étaient suffisamment instruits pour former des pasteurs éclairés et dévoués.
M. Lambert, le directeur, se distinguait surtout par la haute dignité
de sa vie, son caractère ferme et même un peu raide et enfin
par une orthodoxie dont la sévérité allait en s'accentuant
avec l'âge. Chose curieuse ! lors de sa nomination, il n'avait pas encore
le droit au titre de rabbin, quoiqu'il eût fait de longues et fortes
études religieuses. Il n'obtiendra le diplôme rabbinique qu'en
1832 des mains de son beau-père, Worms, successeur de M. Wittersheim,
décédé le 30 novembre 1831. M. Lambert resta à
la tête de l'Ecole jusqu'en 1837, où il fut, à son tour,
élu grand rabbin de Metz en remplacement de son beau-père (13).
Malgré ce changement de situation, M. Lambert garda ses cours à
l'Ecole rabbinique, mais sans aucune rétribution. A en juger par ses
écrits, tout élémentaires qu'ils sont, il connaissait
bien les matières qu'il enseignait : la Bible, la grammaire hébraïque
et l'histoire juive.
Mayer Lazard (14),
professeur de Talmud, nommé directeur après le départ
de M. Lambert, et son répétiteur, Morhange, ont laissé
tous les deux la réputation de talmudistes expérimentés.
Les élèves, de leur côté, si on fait abstraction de deux ou trois, vite congédiés, étaient sérieux, travailleurs et avides de s'instruire. Aussi les rapports de la Commission de Metz sont-ils généralement très élogieux. En réponse au premier rapport de cette commission, le Consistoire central écrivait, le 30 août 1830 : "Nous voyons avec une véritable satisfaction que la plupart des élèves sont déjà avancés et qu'ils rivalisent de zèle et d'application" (15). Et c'est, pendant plusieurs années, une note à peu près identique. La Commission et le Consistoire de Metz étaient si fiers de leur Ecole qu'ils réclamèrent de nouveau pour elle, mais vainement, le titre plus ambitieux de Faculté de Théologie israélite (16).
Cependant, peu à peu, quelques voix discordantes vinrent troubler ce concert de louanges. Çà et là, des critiques assez sévères se firent entendre. Le programme d'études de l'Ecole, depuis environ dix ans toujours le même, était jugé, par des esprits distingués, trop pauvre et trop élémentaire, tout au moins dans sa partie profane. On réclamait des pasteurs ayant une culture littéraire, scientifique et philosophique plus étendue. On prétendait même que la rue de l'Arsenal de Metz constituait un milieu peu propice à l'éducation de futurs chefs spirituels. Le Consistoire central, impressionné par ces plaintes, qui n'étaient pas toutes sans fondement, crut qu'il avait le devoir d'en tenir compte. Aussi, lorsque vers la fin de 1839, il soumit à l'examen des Consistoires départementaux un nouveau projet d'ordonnance sur l'organisation générale du culte israélite, il consacra tout un chapitre à l'Ecole rabbinique (17).
le projet d'ordonnance de 1839, protestations des rabbins
Ce projet d'ordonnance, rappelons-le en passant, ne donna guère satisfaction aux Consistoires départementaux, qui y virent un essai d'empiètement de la part du Consistoire central sur leurs droits les plus légitimes. On le critiqua partout. Mais c'est en Alsace et en Lorraine qu'il souleva les protestations les plus véhémentes. Les israélites pieux de ces deux provinces furent unanimes à le considérer comme une tentative de bouleversement du culte traditionnel, un moyen pour y introduire les réformes en honneur dans certaines communautés allemandes. Les rabbins, en grande majorité, partagèrent ce sentiment. Ils reprochèrent, en outre, au Consistoire central de vouloir les dépouiller, à son profit, de l'autorité religieuse et réduire leur rôle à celui d'humbles subordonnés privés de toute indépendance. Les grands rabbins de Marseille, de Nancy, de Strasbourg, de Colmar et le rabbin de Mulhouse se firent successivement les interprètes énergiques de ce grief. Mais le plus indigné de tous fut Lyon-Mayer Lambert, grand rabbin de Metz, dont la protestation virulente était contresignée par Mayer Lazard et Louis Morhange, respectivement directeur et professeur à l'Ecole centrale rabbinique.
En ce qui concerne cet établissement, voici quelles étaient les principales propositions de réforme du Consistoire central :
L'Ecole centrale rabbinique de Metz prendra le titre de : Ecole centrale religieuse des Israélites. Le gouvernement sollicitera des Chambres les ressources indispensables pour lui donner les développements nécessaires. | |
§ 66. | Aux études profanes prescrites par l'article 15 du règlement du 21 août 1829, devront se joindre l'étude de la langue allemande, les éléments de physique et de chimie, d'arithmétique, les éléments de l'algèbre et l'étude du chant. |
§ 67. | Le Directeur et les professeurs de l'Ecole centrale religieuse seront nommés par le Consistoire central (18) et devront être agréés par le Ministre des Cultes. |
§ 68. | Enfin voici la grande innovation : Il sera porté au budget du culte israélite une somme annuelle de cinq mille francs destinés au traitement de prédicateurs. Ces prédicateurs, désignés par le Consistoire central, porteront la parole sacrée et les instructions morales et religieuses dans la population israélite. Ils correspondront avec le Consistoire central. Chaque année le Consistoire central adressera au Ministre des Cultes un rapport détaillé sur les résultats de ces prédications. |
Le grand rabbin de Metz s'éleva avec force contre ces deux derniers articles. "Ainsi, écrivait-il dans sa protestation, le Consistoire central se réserve, par les articles 67 et 68, la surveillance de l'impulsion donnée à l'école religieuse et le choix des prédicateurs auxquels les rabbins seront tenus d'ouvrir les temples ; ce qui signifie très clairement: que le Consistoire réserve pour lui seul l'impulsion à donner à l'école religieuse, que la direction des études rabbiniques ne doit plus être du ressort des rabbins, et que les missionnaires, ardents à propager les principes de la nouvelle école, viennent provoquer un schisme et insulter à la conscience des croyants."
Le grand rabbin de Marseille ne fut pas moins ferme. "On cherche, dit-il, à entourer les rabbins d'une active surveillance, à détruire le prestige de leur ministère dans l'opinion de leurs ouailles..., à subordonner leurs fonctions à l'éloquence, ou pour mieux dire, à l'inspection de missionnaires appelés prédicateurs, qui seront entièrement libres dans leurs exercices, et choisis parmi ceux qui auront renoncé à la carrière rabbinique."
Citons encore les réflexions de Arnauld Aaron, grand rabbin de Strasbourg. Le Consistoire central voudra-t-il créer des missionnaires ? Quant à moi, je proteste de toutes mes forces contre cet article dont le principe laisse prévoir les dangers les plus graves. Le seul moyen d'influencer avec bonheur les consciences, c'est de porter la parole sacrée dans le temple, et vous voulez paralyser cette arme entre les mains des ministres du culte par la nomination de prédicateurs étrangers, espèces de rabbins ambulants, qui ne tiendraient leur mission ni des notables, ni même du Consistoire départemental, mais du Consistoire central qui ne connaît pas toujours les besoins moraux des communes dans lesquelles ces prédicateurs doivent exercer. Et où prendrez-vous ces prédicateurs ? Les choisirez-vous parmi les avocats, ou bien seront-ils docteurs en médecine ? Car vous n'avez pas même défini les garanties de science et de moralité que doivent présenter ces prédicateurs. Représentez-vous, Messieurs, les fidèles réunis dans le temple, les jours des fêtes solennelles ; le Kippour, par exemple : ils prient avec ferveur, et s'attendent à une exhortation religieuse, tout à coup ils entendent la voix d'un étranger, prêchant des principes en opposition avec ce que prêche leur pasteur légal... ; n'est-ce pas là jeter gratuitement le brandon de la discorde, le germe de désordres graves dans les coeurs les plus religieux !..."
Le Consistoire central chargea son vice-président, Adolphe Crémieux, de réviser le projet d'ordonnance en tenant compte des observations et critiques raisonnables qu'il avait provoquées. Crémieux présenta son rapport dans la séance du 28 avril 1840. C'est l'oeuvre d'un homme politique avisé qui cherche à maintenir l'union dans le judaïsme tout en le poussant dans la voie de l'ordre et du progrès. Voici ses propositions relatives à l'Ecole rabbinique.Rapport d'Adolphe Crémieux
au Consistoire central.
de l'école centrale de metz
Metz et Paris désirent que l'Ecole de Metz conserve son titre actuel, qu'on l'appelle Ecole centrale de théologie israélite. Nous ne voyons plus aucun motif de changer le titre. Art. 66: Le Consistoire de Colmar demande que, vu l'augmentation des études, on en prolonge la durée à huit ans. Il réclame une école préparatoire dans le Haut-Rhin. Cette mesure si utile ne nous paraît pas de nature à être accueillie par le gouvernement, mais plus tard, il sera possible de la solliciter. Metz ajoute à l'article 67§ 1 : "sur la présentation du Consistoire de Metz". Nous adoptons cette addition (19). Colmar voudrait que les aspirants à la place de directeurs ou de professeurs fussent pourvus d'un certificat du grand rabbin des Israélites, ou de trois grands rabbins au moins. Les précautions exigées par l'article nous semblent suffisantes. MM. Caën et Lévilié de Nancy proposent une addition que vous approuverez sans doute : c'est le droit aux membres de tous les Consistoires d'être admis, quand ils le désirent, dans l'Ecole centrale rabbinique, et de consigner dans un registre spécial leurs observations sur la tenue de l'école et sur l'instruction qu'on y donne. Marseille demande que les professeurs traduisent en français, non en allemand, qu'on adopte une bonne prononciation hébraïque dans l'examen pour le rabbinat ; Marseille voudrait que l'on n'admît que les aspirants qui prononcent et lisent l'hébreu correctement. Les rapports annuels devraient être imprimés et envoyés à tous les Consistoires. M. Cohen voudrait une école spéciale de prédication qui dépouillât les candidats ou les élèves de cet accent senti-tudesque, intolérable surtout dans les contrées méridionales de la France. Toutes ces mesures pourront faire l'objet d'une addition au règlement de l'école. des prédicateurs spéciaux Les Consistoires de Colmar, de Metz, de Bordeaux, de Nancy, de Strasbourg,
et M. David Crémieux de Marseille demandent la suppression de
l'art. 68. Je pas besoin de vous dire que plusieurs Consistoires regardent
ces prédicateurs comme des missionnaires qui pourraient jeter
le désordre, exciter des haines, enlever toute considération
aux rabbins du siège. |
Le rapport Crémieux accorda enfin aux professeurs et aux élèves
de l'Ecole centrale rabbinique quelques privilèges dont il n'était
pas question dans le projet consistorial primitif. C'est ainsi :
1° qu'au concours ouvert pour l'élection du grand rabbin du Consistoire
central étaient seuls autorisés à être candidats
les grands rabbins consistoriaux et les professeurs de l'Ecole centrale rabbinique
et que,
2° au concours ouvert pour le choix d'un titulaire d'un grand rabbinat
départemental pouvaient seuls être candidats : a) les grands
rabbins consistoriaux ; b) les rabbins sortis de l'école de Metz (21)
; c) les autres rabbins qui auront dix ans d'exercice à compter de
la promulgation de la présente ordonnance ; d) les rabbins déclarés
inamovibles (22)
; e) les places de rabbin appartiendront de droit aux élèves
de l'Ecole rabbinique.
La publication du nouveau projet d'ordonnance, amendé en grande partie selon les vues de M. Crémieux, eut pour effet de calmer les esprits. Toutefois les faveurs accordées aux élèves de l'Ecole de Metz mécontentèrent un grand nombre de rabbins n'ayant pas fait leurs études dans cette maison. On trouvera l'expression de leurs doléances dans la lettre suivante adressée par des rabbins du Haut-Rhin au président et aux membres du Consistoire central, lettre signée également par S. Dreyfus, ancien élève de l'Ecole, rabbin de Mulhouse. "... Quant aux dispositions contenues dans les articles 57 et 58, de décerner, en cas de vacance, la place de grand rabbin au concours, et d'en exclure les rabbins non sortis de l'école de Metz, qui n'auraient pas encore dix ans d'exercice, à compter de la promulgation de la présente ordonnance, et d'accorder de préférence toutes les places de rabbin aux élèves de l'école de Metz, elles ont semblé aux soussignés attentatoires aux droits acquis. Car tout privilège doit se justifier, soit par le mérite personnel, soit par l'utilité générale qui en résulte. Dans le projet primitif, ce privilège n'était accordé qu'à ceux d'entre les élèves qui étaient parvenus à obtenir le diplôme de bachelier ès-lettres. Cette mesure pouvait en quelque sorte se justifier, mais le nouveau projet étend cette faveur à tous les élèves de l'école de Metz ; les soussignés ne peuvent y voir qu'une faveur injuste accordée au plus petit nombre aux dépens du plus grand nombre. C'est même plus : c'est étouffer tout génie naissant, auquel le hasard n'aurait pas permis de faire ses études à l'école de Metz. D'ailleurs, pourquoi les soussignés, qui pour la plupart n'ont pas été élevés à Metz, devraient-ils être arrêtés dans leur carrière ? Pourquoi tout espoir d'avancement leur serait-il à tout jamais ravi, malgré les peines que depuis la création de l'école de Metz ils se sont données pour se perfectionner dans les connaissances profanes ? Et se verront-ils préférer des jeunes gens par cela seul que ceux-ci auront été à Metz ? La carrière des rabbins n'est pas si brillante, pour leur ôter le seul espoir qu'ils avaient encore de voir tôt ou tard leur sort amélioré par un avancement honorable..."
Le projet de règlement du Consistoire subit encore bien des modifications, qui en retardèrent l'adoption. C'est ce projet qui devait former la base de l'ordonnance royale du 25 août 1844, réglementant pour de longues années l'organisation du culte israélite en France (23).
enquête ministérielle
C'est en 1840 que le Consistoire central soumit à l'approbation ministérielle
son nouveau projet de Règlement du Culte, dont un chapitre tout entier
était consacré à la réorganisation de l'Ecole
rabbinique. Le ministre ordonna aussitôt une enquête sur la situation
de l'établissement de Metz et consulta en premier lieu la Commission
de l'Ecole et le préfet de la Moselle.
Nous n'avons pu mettre la main sur le rapport de la Commission ; mais
il résulte de plusieurs documents qui y font allusion que celle-ci
se plaignit du recrutement défectueux des élèves, généralement
insuffisamment préparés aux études supérieures,
ainsi que de la pénurie des ressources matérielles mises à
sa disposition.
Le préfet, lui, proposa une intervention plus régulière
et plus vigilante de la part de l'Administration dans les affaires de l'Ecole.
Ces deux rapports inspirèrent les deux notes suivantes, rédigées
par un haut fonctionnaire du Ministère à l'intention du ministre
:
note faite au ministère
sur le rapport de la commission de metz (24) …Aujourd'hui que les rabbins sont salariés par l'Etat, il lui importe et il a le droit d'exiger qu'ils soient pourvus des connaissances nécessaires pour exercer utilement leurs fonctions. Le meilleur moyen d'arriver à ce but, c'est de prendre des mesures nécessaires pour que les élèves de l'Ecole rabbinique y reçoivent, outre une saine éducation morale, une instruction solide et variée qui les mette à même d'exercer sur leurs coreligionnaires une salutaire influence. Les dépenses de l'établissement sont d'ailleurs actuellement à la charge du Trésor et il est du devoir de l'administration de ne rien négliger pour qu'il produise tous les résultats qu'on est en droit d'en attendre; les études y laissent beaucoup à désirer ; c'est un point sur lequel tout le monde est d'accord. (Suit un résumé du Règlement de l'Ecole.) Après l'examen de ces dispositions, on ne peut s'étonner que la Commission administrative de l'Ecole ait à signaler l'insuffisance et l'infériorité des études ; les candidats aux fonctions rabbiniques, comme les israélites en général, continuent à se tenir éloignés des établissements d'instruction publique et semblent vouloir se borner exclusivement à l'étude du Talmud et négligent même la langue nationale (25). On exige peu ou point d'études préliminaires des aspirants au rabbinat ; il semble tacitement admis que leur jeunesse doit s'écouler dans l'oisiveté ou dans des travaux étrangers à leur future profession. Ils entrent à l'École, quelques-uns avec un léger bagage de connaissances ; d'autres ne sachant rien, peut-être tout au plus lire et écrire. Comme le fait remarquer la Commission, il faut les initier préalablement aux premiers enseignements des sciences les plus élémentaires et l'Ecole rabbinique, de l'aveu de ses administrateurs, ressemble plutôt à une école primaire qu'à un établissement de haute instruction religieuse (26). On objecte que la plupart de ces jeunes gens appartiennent à des familles pauvres ; il en est de même dans les séminaires catholiques. Les difficultés seraient levées si les israélites voulaient s'y prêter, puisque le gouvernement a déjà fait connaître qu'il était disposé à provoquer les mesures nécessaires pour faciliter aux aspirants rabbins l'accès des collèges et, au besoin, à leur faire la remise ou la modération des droits universitaires. Le culte israélite ne doit pas seulement être assimilé aux cultes chrétiens sous le rapport des avantages, il doit aussi être tenu de fournir les mêmes garanties d'instruction... Il me semble donc que, s'il ne paraît pas possible d'exiger, dès à présent, le diplôme de bachelier ès-lettres comme condition d'admission, il serait au moins juste et convenable d'exiger que les candidats eussent fait leurs humanités soit dans un collège, soit dans une institution particulière. On dit sans doute que dans ces établissements les aspirants au rabbinat ne pourront acquérir toutes les connaissances actuellement requises, qu'ils ne pourront apprendre les principes de la langue hébraïque ni le Talmud. Il n'y a aucun inconvénient. C'est pour ces études spéciales que doit être réservée l'Ecole rabbinique. De l'insuffisance des connaissances des élèves lors de leur entrée à l'Ecole résulte l'impossibilité pour eux de profiter de l'enseignement qui y est donné. Il faudrait autant de cours qu'il y a d'élèves, ce qui peut être à la portée de l'un n'est pas à celle de l'autre et, en somme, ils ne reçoivent qu'une instruction tronquée, sans but déterminé et qui ne les rend complètement propres ni à l'enseignement, ni au rabbinat, ni même à aucune profession habituelle. La première chose à faire, c'est de bien régler les conditions d'admission. Exiger le diplôme de bachelier ès-lettres au moins des grands rabbins, fonctionnaires ecclésiastiques largement rétribués. En somme, s'il m'était permis de dire toute ma pensée sur l'Ecole rabbinique, je n'hésiterais pas à exprimer l'avis qu'il serait utile et juste de la réorganiser sur des bases plus en rapport avec la législation qui régit le culte chrétien. Il suffirait d'instituer soit à Metz, soit préférablement dans une ville, où il y aurait une Faculté des Lettres, une chaire de dogme et de morale hébraïque, dans laquelle on enseignerait tout ce qui est nécessaire de savoir pour remplir les fonctions de rabbin : on pourrait même attacher au professeur titulaire un répétiteur chargé de le suppléer au besoin et principalement de diriger conjointement avec lui les élèves dans l'étude des sciences profanes ; après cela, rien ne s'opposerait à ce que les élèves fussent, comme par le passé, séminarisés près de leurs maîtres et sous leur direction. Mais au lieu de laisser aux Consistoires le soin d'envoyer qui bon leur semble étudier aux frais de l'Etat, je ne vois pas pourquoi on n'établirait pas un certain nombre de bourses et de demi-bourses en proportion des besoins du service et en réservant au gouvernement le droit d'y nommer, sur la présentation des Consistoires, et à telles conditions qu'il jugerait convenables de fixer préalablement. Une mesure de ce genre ferait rentrer, sous ce rapport, le culte israélite dans le droit commun. |
En résumé, le rédacteur de cette note, si nous comprenons bien, propose la création d'une chaire d'hébreu et de morale juive dans une Faculté où les élèves, à leur sortie des classes de grammaire des collèges et lycées, viendraient compléter leurs études classiques, en même temps qu'ils y acquerraient les connaissances sacrées exigées par l'examen d'admission à l'Ecole rabbinique.
La seconde note, émanant également des bureaux du Ministère
et commentant un rapport du préfet de la Moselle (27),
reprocha au gouvernement de trop s'effacer dans tout ce qui concerne le culte
israélite.
"C'est à peine, y lit-on, si l'on réserve à l'administration
un droit de surveillance pour l'Ecole rabbinique, ce qui est d'ailleurs fort
vague ; elle n'intervient ni dans la nomination de la Commission administrative,
ni dans celle du directeur et des professeurs, ni dans le choix des élèves
entretenus à ses frais".
Le même document propose d'abaisser l'âge d'admission à
quatorze ans et s'occupe enfin de la langue à employer dans l'enseignement
du Talmud :
"La Commission administrative propose une addition qui aurait pour objet de
prescrire que l'enseignement et l'examen du Talmud se fissent en langue française.
Le préfet trouve cette addition peu conciliable avec le projet de fortifier
l'étude de la langue sacrée, le Consistoire est divisée
sur la question (28)....
Dans les Ecoles de Droit, on a renoncé à l'enseignement du droit
en latin, l'usage contraire dégénerait en ridicule et rappelait
trop souvent le latin des comédies de Molière. N'en peut-il
pas être de même pour l'hébreu ?
L'addition proposée me semble donc acceptable, mais je pense comme
le rabbin de Metz (M. Lambert) que c'est là un détail d'intérieur."
la campagne des archives israélites et du parti réformiste
L'enquête ministérielle traîna en longueur et ne donna
aucun résultat pratique immédiat.
Pendant ce temps, l'Ecole était en butte à des critiques nombreuses
et toujours plus vives. Parmi ses censeurs, il faut citer, en première
ligne, deux écrivains originaires de Metz : Terquem et Samuel
Cahen (29).
Celui-ci avait fondé en 1840 le journal les Archives israélites
et y défendait avec ardeur la cause de la réforme de notre
culte. Terquem était son principal collaborateur. Les idées
préconisées par les Archives, empruntées aux réformateurs
allemands, n'avaient rien d'original. Samuel Cahen et Terquem, celui-ci dans
un style mordant et souvent plein de verve, réclamaient la suppression
de toutes les poésies synagogales du moyen-âge (Pioutim),
l'introduction dans nos temples de l'orgue, l'institution d'une prédication
régulière, le remplacement de beaucoup de prières hébraïques
par des prières françaises, la réforme de la lecture
de la loi, la disparition de nos Rituels de toutes les allusions aux sacrifices,
au Messie, à la restauration de la Palestine et l'abolition d'une foule
de pratiques et d'usages vénérés depuis de longs siècles.
Les tendances des Archives avaient l'approbation ouverte ou tacite de beaucoup d'intellectuels et de fonctionnaires juifs et aussi de quelques familles parisiennes riches et distinguées dans lesquelles se recrutaient généralement les membres des deux Consistoires ; mais elles étaient combattues avec passion par les juifs pratiquants, surtout par ceux d'Alsace, de Lorraine et d'une partie du midi de la France (30) dont tous n'appartenaient pas au parti qualifié avec mépris par les Archives de "stationnaire".
Les raisons de l'opposition de ces derniers ont été données
dans un article remarquable dû à la plume d'un avocat aixois,
Joseph Cohen. Après s'être déclaré partisan de
certaines modifications de notre culte suggérées par l'étude
consciencieuse de l'histoire et de la tradition juives, mais non pas par un
esprit d'imitation servile de ce qui se fait au dehors, il continue :
"Je blâme nos réformateurs modernes de tendre, à leur
insu sans doute, à l'assimilation chrétienne et à introduire
dans nos temples des usages étrangers. Je les blâme d'enlever
au judaïsme sa couleur locale, son type caractéristique. Je les
blâme de substituer un langage profane à cette belle langue hébraïque
que les chrétiens eux-mêmes étudient avec tant d'ardeur...
Je les blâme, en un mot, de méconnaître la splendeur et
la beauté originelles de notre Loi, d'oublier que sa puissance propre
doit être maintenue identique pour faire tôt ou tard explosion
dans le monde, dans l'intérêt des hommes et de la vérité
(31).
Le grand rabbin de Metz se signalant parmi les adversaires les plus résolus
de toute réforme religieuse, l'Ecole, placée sous son autorité,
devait naturellement encourir avec lui l'animosité et la réprobation
des Archives israélites. Celles-ci en effet reprochèrent
à l'Ecole, et pour ainsi dire à jet continu, de n'avoir ni de
cours d'exégèse biblique, ni de chaire de théologie,
d'être placée dans le quartier le plus misérable et le
plus arriéré d'une ville militaire sans ressources intellectuelles,
de se confiner trop volontiers dans de stériles études talmudiques
et de ne former que des esprits médiocres et bornés. Qu'on en
juge !
C'est à Metz, siège rabbinique de M. Lambert, qu'est placée
l'Ecole rabbinique. Ce sont ses assertions tranchantes que les jeunes gens
entendent tous les jours. L'avenir du rabbinat est compromis sous une telle
direction. Que peut-on espérer d'une école où il n'y
a ni chaire d'exégèse biblique, ni chaire de théologie,
où l'on ne s'occupe que de casuistique ! N'est-il pas à craindre
que dans vingt ou trente ans, les rabbins français ne soient encore
au-dessous de ceux de nos jours ? La première mesure qui s'impose,
c'est d'établir à Paris cette pépinière" (32).
Déjà antérieurement, à propos du projet de construction du nouveau temple, Terquem avait appelé l'attention publique sur le quartier où était établi l'Ecole rabbinique : "Les rues de l'Arsenal, les ruelles adjacentes et la rue St-Ferroy contiennent une population de 1331 juifs et de 598 catholiques. Sur ces 1929 habitants, 1462 sont dans la misère ou dans un état qui en est très proche. Le quartier renferme 12 cabarets de bas étage et 5 maisons publiques" (33). Ce n'était évidemment pas la résidence rêvée pour de futurs pasteurs d'Israël.
Pour répondre à ces attaques, le grand rabbin et la Commission de Metz citèrent les noms de jeunes pasteurs formés dans leur établissement et déjà très appréciés dans leurs communautés respectives (34) et firent appel au public pour le rendre juge du mérite de ses pensionnaires. L'Ecole en possédait justement quelques-uns ne ressemblant en aucune façon au triste portrait qu'on avait tracé de ses élèves. Lazare Wogue (35), Isaac Trénel (36), Benjamin Lipman (37), Eliézer Lambert (38) étaient des jeunes gens instruits, dont les qualités intellectuelles et morales inspiraient à leurs maîtres de belles espérances. L'un après l'autre prononcèrent, à l'occasion de solennités religieuses, des sermons qui eurent les honneurs de l'impression.
Celui de Lazare Wogue sur "la Tolérance" fit sensation, malgré le débit saccadé et précipité du jeune prédicateur. Jamais, semble-t-il, on n'avait entendu dans une maison de prière juive un discours mieux charpenté, écrit dans une langue plus chaleureuse et plus élégante. Mais ces manifestations oratoires remarquables ou pleines de promesses n'imposèrent pas silence aux adversaires de l'Ecole qui enregistrèrent, non sans quelque mauvaise humeur, les progrès accomplis... pour en tirer de nouveaux arguments en faveur de leur thèse relative au transfert de l'Ecole dans la capitale. A propos du sermon de Lazare Wogue, prononcé en 1841, les Archives écrivaient en effet : "Si dans une position aussi ingrate, au milieu de circonstances aussi défavorables et si anti-littéraires, notre communion produit des élèves si distingués, que ne pourrions-nous pas espérer s'ils étaient environnés des sources d'instruction et de culture qu'offre avec tant d'abondance, tant de générosité, la capitale de la France. Ce serait une pépinière, n'en doutons pas, de rabbins à la hauteur du siècle, mais encore d'orientalistes figurant avec honneur dans la carrière des Sacy, des Quatrenière et des Munk."
l'élection du grand rabbin du consistoire central
En possession de ce statut, le Consistoire Central procéda à des élections pour le renouvellement de ses membres et ceux des Consistoires départementaux, ainsi que pour la désignation des délégués appelés à prendre part à l'élection du grand rabbin. Ce fut l'occasion d'une lutte, plus violente encore que dans le passé, entre partisans et adversaires des réformes cultuelles, et où l'Ecole ne fut pas oubliée.
A vrai dire, dès la mort de Deutz, un seul candidat semblait s'imposer aux suffrages des électeurs. C'était Marchand Ennery, grand rabbin de Paris. Mais les "réformistes" avaient juré de le faire écarter, en lui contestant tout talent oratoire et surtout en lui faisant grief de son caractère timoré. A maintes reprises, il avait, en effet, eu l'occasion au Consistoire de Paris de manifester contre leurs idées une opposition douce, mais obstinée. Déniant aux laïcs toute compétence dans les questions religieuses, il affirmait, en toute circonstance, que, seul, un synode de grands rabbins aurait l'autorité et les connaissances voulues pour introduire certaines modifications dans notre culte et qu'en attendant la réunion de ce synode, il avait le devoir de veiller au maintien intégral de nos services divins traditionnels.
Mais, en dépit des opinions bien connues de son grand rabbin, le Consistoire de Paris nomma, en 1844, une commission chargée de procéder à la révision du Rituel. Marchand Ennery, qui devait présider cette commission, refusa d'y siéger et Lazare Wogue, récemment sorti de l'Ecole rabbinique, et déjà connu à Paris par quelques sermons et articles de polémique, déclina également l'honneur d'en être membre (39). La conduite de ce jeune rabbin indigna particulièrement les "réformistes" et fut entre leurs mains un nouvel argument contre l'esprit rétrograde de l'établissement de Metz. Ces incidents étaient encore tout récents lorsque s'ouvrit la période électorale devant aboutir à la nomination d'un nouveau grand rabbin de France. Faute d'un candidat représentant leurs tendances, les réformistes réclamèrent l'ajournement de cette nomination à cinq ans, espérant que, dans ce laps de temps, l'Ecole, transférée à Paris, produirait quelque jeune rabbin répondant à leur idéal ; d'autres proposèrent d'élever à la dignité de grand rabbin de France le très modeste, mais très savant secrétaire du Consistoire Central, Salomon Munk.
Le document suivant, extrait d'un long article-manifeste paru dans les Archives sous la signature de Michel Lévy, membre du Consistoire de Paris, expose bien le programme des "réformistes" soumis aux suffrages des israélites de France et montre la place importante qu'occupait dans les polémiques d'alors l'Ecole rabbinique.
article de michel lévy, membre du Consistoire de Paris
...Il faut que le Consistoire Central ouvre l'ère de la nouvelle
administration du culte israélite en France par une enquête
sur la situation des temples, sur l'ensemble de nos prières,
sur les détails de la liturgie, sur les conditions de décence
et de recueillement que présentent nos synagogues, sur la superfétation
des fêtes, sur la forme, l'esprit et le progrès de la prédication…
Mais il est une question dont la solution est urgente et qui devra primer
toutes les autres : c'est la création d'un séminaire israélite
de France à Paris. L'Ecole de Metz est jugée par ses résultats
: nous reconnaissons qu'elle a fourni des rabbins instruits, lettrés,
diserts et, pour peu qu'on y tienne, éloquents. Mais l'esprit
même de leur éducation théologique est en opposition
avec l'idée de réforme et les besoins de notre époque
: on enseigne à Metz l'inviolabilité, la sainteté
du Talmud à l'égal du livre de Moïse ; on place à
Metz sous la sanction auguste de la divinité toutes les niaiseries
et tout le commérage rabbinique dont la compilation volumineuse
sert de base unique à l'instruction religieuse des élèves-rabbins.
Un tel état de chose ne peut se prolonger sans compromettre la
responsabilité du Consistoire Central envers ses coreligionnaires
et envers l'Etat lui-même, qui compte sur une pépinière
de pasteurs éclairés, alors que l'on fabrique en son nom
et à ses frais des jérusalémites ou des rabbins
babyloniens (40).
Paris réunit tous les éléments d'une excellente
fondation pour former des ministres du culte israélite en France,
fonctionnaires publics rétribués par l'Etat, ayant mission
de pousser leurs ouailles dans les voies d'une civilisation généreuse
et féconde en bienfaits, en même temps que de veiller sur
le dépôt de leur foi ; les disciples de cette institution
trouveront au Collège de France et à l'Ecole royale des
langues orientales tous les moyens d'instruction philologiques ; l'enseignement
du dogme sera l'une des meilleures tâches du futur grand rabbin
de France, qui ne voudra céder à personne le privilège
d'interpréter auprès d'eux la substance et l'esprit de
notre religion ; des hommes tels que MM. Franck,
Munk, Cahen s'empresseront d'offrir le brillant concours de leurs services
; M. Léon Halévy ne serait-il pas bon professeur de littérature
? Le chant religieux pourra leur être enseigné par un israélite,
membre de l'Institut, nous garantissons qu'il se trouvera un médecin
pour les initier aux notions d'une hygiène scientifique, qu'ils
compareront ensuite aux prescriptions hygiéniques du Talmud,
et dont ils pourront eux-mêmes propager plus tard les salutaires
principes parmi tant de nos coreligionnaires, hélas ! presqu'aussi
ignorants des conditions de santé que des véritables besoins
de la vie morale…
Michel Lévy Membre du Consistoire de Paris. |
Les élections eurent lieu au milieu d'une vive agitation. Dans certaines circonscriptions, on se préoccupa de l'avenir de l'Ecole rabbinique. C'est ainsi que dans le Haut-Rhin, Lehmann Raphaël, propriétaire à Sierentz, demanda la création de deux écoles préparatoires dans les deux départements d'Alsace, "par crainte que, dans dix ou vingt ans, il ne se trouvera plus de candidat à envoyer dans l'établissement de Metz et que l'Alsace ne se trouve dans le cas d'un Consistoire de l'intérieur de la France qui a été obligé d'aller à la recherche d'un candidat étranger". D'une façon générale, les objurgations grandiloquentes de Michel Lévy eurent peu de succès près des électeurs. Une forte majorité de délégués traditionnalistes sortit des urnes. Le 16 juin 1846, Marchand Ennery fut élu grand rabbin du Consistoire Central par 17 voix sur 18 votants. Il n'avait d'ailleurs pas de concurrent.
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