Le 11 mars 1944 je fis ma bar-mitzwa, Sidra (section) Ki tissa. Naturellement, chaque année elle revient, mais à chaque fois je repense à l'époque où je l'ai lue.
C'était pendant la guerre, à Limoges, rue Cruvelier où il y avait les offices. En semaine il y avait les offices rue Manigne, mais c'était assez petit. Nous étions deux à lire la Sidra: mon ami Guy Deutsch, fils du grand rabbin Deutsch za"l et moi-même. Naturellement, Guy en a lu une bonne partie. Moi, je ne m'en suis pas mal tiré avec ce que j'ai lu.
Dès la fin de l'office, mais famille est rentrée rapidement avenue Baudin où nous habitions cachés, en retrait par rapport à la rue. C'était l'époque des cartes d'alimentation. Nous n'avions pas grand-chose à nous "mettre sous la dent" comme on dit, mais ma mère avait fait des prodiges pour que nous ayons un repas sortant de l'ordinaire. C'était une vraie se'ouda (repas de fête).
Bien que nous soyons cachés, j'ai reçu 65 cadeaux, en grande part par l'intermédiaire de l'oncle Achille qui était secrétaire de la communauté de Limoges ; les gens les déposaient à son bureau. C'était devenu une période extrêmement dangereuse. Les gens rentraient rapidement chez eux.
Nous avons eu, peu de temps après, la visite de la Milice qui voulait arrêter mon père. Par bonheur il était absent à ce moment-là. Les agents de la Milice prirent le linge de maison : draps, nappes, les tickets de rationnement, l'argent que nous avions à la maison, ainsi que les 1000 francs que mon grand père non-voyant avait sur lui, et partirent en disant : "lorsque Monsieur Blum passera au commissariat, on lui remettra tout çà"..
Comme nous avions appris que d'autres perquisitions s'étaient terminées par l'arrestation des hommes (dans un premier temps), nous sommes partis de nuit chez des fermiers, les Hebras dont Maman avait fait la connaissance au marché, et qui lui avaient dit : "s'il y a du danger pour vous, venez à la ferme".
Nos parents se mirent en contact avec l'OSE pour me faire passer en Suisse par une filière.
C'est ainsi que le 17 avril 1944, le groupe de 26 personnes, principalement des jeunes de 13 à 18 ans, franchit les barbelés et arriva en Suisse ; soit un mois après ma bar-mitzwa. Ma sœur Astrid, plus jeune de 6 ans, m'a rejoint peu de temps après.