Souvenirs d'un médecin d'enfants à
l'O.S.E.
par le Docteur Gaston Lévy (suite)
La Pouponnière de Limoges
la Pouponnière de Limoges
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Cette dernière était située rue Eugène Varlin,
installée dans une très belle maison privée au milieu
d'un parc.
Malheureusement les installations de cette maison comme Pouponnière
laissaient beaucoup à désirer. Quelques grandes chambres servaient
comme dortoirs. Il y avait un bureau et une secrétaire d'administration.
Une cuisine unique servait à la préparation de la nourriture
des grands et des petits. Mes premiers soucis étaient l'installation
d'une cuisine spéciale pour les enfants, une biberonnerie, une infirmerie
boxée, la création de paravents vitrés à glisser
entre deux lits afin de séparer un enfant légèrement
malade de son voisin bien portant.
J'ai parlé plus haut de l'organisation ORT qui préparait ses
élèves dans les différentes branches du travail artisanal
Or la symbiose OSE-ORT facilitait énormément mon travail de
transformation entrepris dans la Pouponnière. Dans un de nos homes,
celui de Montintin, fonctionnait un atelier de menuiserie sous la direction
d'excellents maîtres-menuisiers. Maîtres et élèves
transformèrent une grande pièce du rez-de-chaussée de
la Pouponnière en infirmerie à boxes individuels, fabriquèrent
de très beaux lits d'enfants, des paravents vitrés, etc. Ces
paravents ont aussi été introduits, sur ma demande, dans les
différents homes d'enfants, et ont maintes fois permis d'endiguer la
propagation de maladies infantiles. Nos gens de l'ORT me fournirent également
une table spéciale pour préparer les biberons des touts-petits,
et de petits casiers individuels contenant des compartiments pour six biberons.
Le personnel de la Pouponnière comprenait une infirmière-chef,
Melle Germaine Lévy, qui était déjà en place depuis
sa création en 1940. Je trouvai en elle une collaboratrice compétente
dévouée aux enfants, vivant en bonne entente avec le personnel
soignant et les auxiliaires des services. Les soignantes étaient recrutées
généralement parmi les jeunes femmes et jeunes filles des familles
juives réfugiées à Limoges et dans les environs ; cuisinière,
et aide-cuisinière venaient aussi de ce milieu. Il n'était pas
toujours facile de façonner un personnel soignant d'amateurs, recrutés
de bric et de broc. Les règles d'hygiène et de soins
minutieux, qui sont la loi de la puériculture, sont souvent difficiles
à faire comprendre aux jeunes femmes et jeunes filles qui, dans leurs
familles, ont vu grandir des enfants avec un minimum de soins. Mais grandir
entouré de l'amour maternel, avec un moins grand luxe de soins et de
précautions, n'est pas la même chose que le développement
d'un petit bonhomme ou d'une petite bonne femme en milieu collectif d'une
pouponnière.
C
la Pouponnière de Limoges
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ependant la bonne volonté de tout le personnel, un sentiment renforcé
de solidarité ont permis très vite de faire marcher cette Maison
pour petits et touts-petits enfants, dans les règles les plus strictes
de la puériculture moderne. Une visite de M. Thelin, Directeur de l'Union
internationale de Secours aux Enfants, au mois de mai ou juin 1942, m'a valu
une lettre de félicitations pour l'installation et le fonctionnement
de la Pouponnière. Car, écrit M. Thelin, je sais
par expérience, moi aussi eue dans une institution, que c'est le travail
de tous, qui permet d'obtenir de bons résultats. Mais parfois l'impulsion
- et c'est votre cas - d'un animateur est déterminante."
En ce qui concerne le ravitaillement, le fait d'être dans une région
agricole riche facilitait beaucoup les choses, et cela en dehors du rationnement
par les cartes d'alimentations et en dehors du "marché noir".
Plus tard, lorsque toute la France fut occupée, les circonstances changèrent
du tout au tout.
Les Homes d'Enfants
Les Homes d'Enfants dont j'assumais la charge en tant qu'inspection et surveillance par un spécialiste pédiatre, se trouvaient, j'en ai fait mention plus haut, en Creuse : le Masgelier près de Guéret, Chaumont près d'Aubusson, Chabannes près de la Souterraine. Dans cette dernière maison l'ORT avait installé un atelier de maroquinerie. En Haute-Vienne, il y avait, en dehors de la Pouponnière de Limoges, la Maison de Montintin avec les ateliers de menuiserie de l'ORT, et en plus un atelier de réparation de chaussures.
Couret hébergeait des adolescentes, et l'ORT y avait installé
un cours de couture. En plus, il y avait un Home à Brout-Vernet, dans
l'Allier, et une Maison à Ussac, dans la Corrèze.
Plus tard dans l'année 1942, peu de temps avant l'occupation de toute
la France, on a encore ouvert une Maison à Poulouzat, près de
Limoges. Dans une demande que j'ai adressée le 17 juin 1942 au Préfet
de la Haute-Vienne, je lui demande de permettre l'ouverture à Poulouzat
d'un home pour l'enfance préscolaire, étant donné le surpeuplement
de nos homes en Haute-Vienne et en Creuse. En même temps, je lui demande
de pouvoir engager, comme stagiaires puéricultrices, quelques jeunes
filles juives étrangères pour les services de la Pouponnière.
Une réponse favorable me parvenait datée du 17 juillet 1942, donc
cinq semaines avant les évènements tragiques des raffles de fin
août 1942. Comme on le voit, la poigne hitlérienne sur Vichy n'avait
pas encore pu exercer ses pressions sur tous les fonctionnaires des préfectures.
la Pouponnière de Limoges
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Toutes les maisons d'enfants dont je viens de parler comportaient, en dehors
du Directeur, tout un staff de surveillants et de chefs des différents
services fonctionnels que nécessitent de telles maisons, et aussi de
médecins résidents, des instituteurs, des infirmières.
L'exclusion des juifs des postes publics et universitaires avait rendu le
recrutement de gens de qualité pour ces postes assez aisé.
L'Inspecteur général, véritable cheville ouvrière
de toute l'organisation des maisons d'hébergement d'enfants, était
le Professeur Jacques Bloch
(2).
Il résidait avec Madame Bloch au Masgelier dont il assumait en même
temps la direction. Une profonde amitié me liait à cet homme de
bien. Il m'a beaucoup facilité mon travail dans l'ensemble des maisons
pour lesquelles j'étais chargé de l'inspection et de la surveillance
médicale. A côté de Jacques Bloch, au Masgelier; il y avait
le Dr Jean Cogan, son adjoint s'occupant de l'organisation matérielle
des homes. Lui aussi m'a donné toute l'aide possible pour l'amélioration
des installations de la pouponnière et des homes.
Chabannes avait un Directeur non juif, M. Chevrier, extrêmement dévoué
et fidèle à la cause juive et à l'OSE. Montintin était
dirigé par Melle Bernheim - Chaumont par Mme Lotte Schwarz - La Maison
du Couret, pour grandes jeunes filles, provenant en général de
familles orthodoxes, était dirigée par Madame Krakowski Grande
intellectuelle, versée aussi bien dans les sciences religieuses que laïques,
elle dirigeait sa maison un peu à la façon d'une
Stifts
- dame. Son mari, grand savant talmudiste était chargé
des travaux administratifs.C'est le frère du Dr Jean Cogan du Masgelier
qui dirigeait la Maison de Brou-Vernet, dans l'Allier. Malheureusement, lui
et ses deux enfants ont été arrêtés en février
1944 par la Gestapo, et ne sont pas revenus de déportation. Sa femme
hospitalisée à ce moment, a échappée au sort tragique
des siens. La maison de Poulouzat que nous avons ouverte plus tard a été
dirigée par Mr Robert Job, dont il sera encore parlé plus loin
dans ce récit.
Mes confrères médecins des homes
Q
uelques mots maintenant des différents médecins que j'ai rencontrés
dans les Maisons. Au moment où j'ai pris en charge les Homes du Centre
de la France, il y avait au Masgelier le Dr Blumenstock et sa femme Gertrude.
Cette dernière était éducatrice dans la maison. Le Docteur
était un homme très doux, connaissant son métier. J'ai
encore dans mes dossiers quelques envois mensuels de poids et mesures des
enfants qui montrent sa méticulosité. Il fut fusillé
par les Allemands en mai 1944, et sa femme assassinée par eux un mois
plus tard.
Aussi doux qu'était le Docteur du Masgelier autant le Dr Meiseles à
Chabannes était énergique, voire même casse-cou. Son caractère
lui a d'ailleurs sauvé la vie: ayant dû quitter Chabannes au
moment où l'OSE était obligée de licencier ses médecins
juifs étrangers, Meiseles a rejoint la Résistance française.
Je l'ai retrouvé après la guerre, installé à Paris
comme médecin généraliste, ayant apparemment une belle
clientèle.
Le Docteur Francis Lévy était mon adjoint pour le travail médico-social
qu'on devait organiser en Haute-Vienne et dans les départements limitrophes.
Il était en même temps le médecin attaché à
la Maison de jeunes filles du Couret. Médecin juif français,
il est resté dans ses fonctions jusqu'à la liquidation du Couret.
Je l'ai rencontré après la guerre : lui aussi était
généraliste dans la banlieue parisienne.
Pour clore cette liste des premiers médecins des homes de l'OSE, je
mentionnerai encore le Dr Glück, médecin de la maison de Brou-Vernet,
dans l'Allier. Il a été assassiné par les Allemands en
1944.
Mes fonctions de médecin-inspecteur des homes d'enfants consistaient
en visites régulières des maisons. J'examinais les enfants individuellement
avec le médecin résidant, j'étudiais les courbes de croissance,
donais des conseils de médecin spécialiste d'enfants pour les
déficients et malades, je m'occupais des menus, et des conditions hygiéniques
des maisons. La nourriture dans les maisons, avant l'occupation de la France
entière était excellente. Mais le pillage de la production agricole
de la France à partir de cette occupation (novembre 1942), rendit vite
la nourriture déficiente. A la fin du printemps 1943 les courbes de
croissances se sont infléchies dans toutes les maisons.
S
ous la Direction de mon maître le Docteur Ribadeau-Dumas, j'avais étudié
en 1934 et rédigé pour l'Encyclopédie Médico-chirurgicale
de Paris les articles de Croissance de l'Enfant, et Les maladies
de la croissance. Grâce à ces études qui remontaient
à une dizaine d'années en arrière, j'avais connaissance
des carences alimentaires subies pendant la première guerre mondiale
par les enfants des empires centraux de l'Europe. Cela m'a permis de composer
des menus de ersatz ! Les protéines animales étaient remplacées
par des protéines végétales. Les courbes de croissance
de cette époque de sous-alimentation montrent qu'on ne s'est pas trop
mal tiré d'affaire.
L'Assistance médico-sociale dans les campagnes
En arrivant à Limoges, je trouvai comme je l'ai mentionné auparavant
pour Béziers, un Bureau d'Assistance aux Réfugiés.Les Bureaux
qui existaient à ce moment dans les grandes agglomérations de
la Zone-Sud évoquaient en moi de déjà lointains souvenirs
du Comité National d'Assistance aux Réfugiés à Paris
en 1933, qui avait à ce moment à sa tête mon ami, Monsieur
Raymond Raoul Lambert à côté duquel j'étais un des
médecins s'occupant des nécessiteux habitant dans des hôtels,
situés un peu partout dans différents quartiers de Paris. Il y
avait en plus, dès ce moment une consultation médico-sociale.
Ce Comité National d'Assistance aux Réfugiés (CAR) a
passé par différentes phases. En 1936, le terme National,
a été laissé de côté pour un "Comité
d'Assistance aux Réfugiés dont M. Albert Lévy a été
le président, et M. R.R.Lambert le secrétaire général.
Au début de la guerre, ce CAR, financé depuis 1935/36 par le Joint
dont j'ai parlé plus haut, prit en charge les réfugiés
de la zone des armées et des départements évacués.
Entre autres les familles alsaciennes de Strasbourg et des populations, derrière
la ligne Maginot.
C'est un tel Bureau d'aide qui fonctionnait à Limoges. Durant les premiers
mois de ma présencedans cette ville, il était surtout nécessaire
d'installer un service médico-social dans les campagnes, dans les villages
où vivaient beaucoup de familles juives de Belgique, de Hollande. Le
début de ce travail de surveillance et d'aide était facilité
par l'existence des homes partir desquels on pouvait rayonner dans les villages.
Mais le véritable travail, beaucoup plus social que médico-social,
commença après les rafles et déportations d'août
et septembre 1942. Là il ne fut pas question de porter des médicaments
et de la nourriture ou de conseiller une hospitalisation. C'était la
période où les réfugiés juifs en danger devaient
être cachés, munis de fausses cartes etc. etc. Nous en parlerons
plus loin.
Mais avant de quitter cette période relativement tranquille, je veux
quand même mentionner mes visites dans les villages autour de nos Maisons
du Masgelier et de Chaumont. Mon assistante sociale pour cette région
était la Doctoresse Bernstein qui résidait au Masgelier. Je tiens
ici à rendre hommage à son dévouement et à son courage.
Même pendant la période des rafles, où je ne pouvais pas
l'accompagner, elle a porté aide et conseils aux gens en danger. A Aubusson
fonctionnait un Bureau d'Assistance du CAR. Une jeune femme, dont malheureusement-je
ne me rappelle plus le nom, m'a efficacement aidé, et l'organisation
de son service social était un modèle du genre.
L'Union Générale des Juifs de France
L'UGIF Il est nécessaire de parler ici d'une transformation profonde
qui s'était faite dans l'aide sociale juive, dès le mois de novembre
1941. Auparavant, nous l'avons vu, derrière le rideau des différents
comités et associations juives, le Joint avait soutenu par ses fonds
les organisations d'entraide. Malgré l'opposition de tous les dirigeants
des oeuvres juives de ce moment, le commissaire aux Affaires juives de Vichy,
Xavier Vallat, imposa la réunification des différentes oeuvres
juives en une seule Union Générale des Juifs de France - UGIF.
Dans l'esprit de ce commissaire, chef de file des antisémites en France,
cette Union devait plutôt servir à mettre toute la collectivité
juive, avec ses ressources financières sous la tutelle de fonctionnaires
du gouvernement de Vichy. Par des manoeuvres habiles on était arrivé
à éviter le pire, et l'Union vit le jour par une loi du 29 novembre
1941. Les dirigeants du Comité d'Assistance aux Réfugiés
de l'ancien CAR en assumaient la Direction. M. Albert Lévy en fut le
premier pPrésident, et M. Raymond Raoul Lambert, son secrétaire
général, c'est-à-dire sa vraie cheville-ouvrière.
Cette Union Générale était d'ailleurs elle-même divisée
dans une partie Nord à Paris qui a fonctionnée très mal
sous la férule hitlérienne. La plupart de ses dirigeants ont disparus
très tôt déjà en déportation. Je ne parlerai
ici que de la Zone-Sud avec son siège à Marseille rue Sylvabella
. Une division très astucieuse permettait d'intégrer dans l'Union,
sous la désignation de Directions les oeuvres d'aide existantes
avec leurs cadres. C'est ainsi que l'OSE devint la
3ème Direction
- Santé de l'U.G.I.F.