Gilbert May, janvier 2013 - © Claude Truong-Ngoc |
En 1939 il fuit l'Alsace pour échapper à l'incorporation de force, et s'inscrit la faculté de droit de Clermont-Ferrand. Sa famille se réfugie dans le Cher en 1940.
Il rejoint le mouvement "Libération Sud" en 1943 et intègre un maquis du département de la Creuse. En 1944, il est membre du maquis "Cher Sud ", "compagnie Surcouf".
Blessé lors d'un combat en juillet 1944, il est fait prisonnier par la Gestapo ; il se fait alors appeler Jean Michot, et les nazis ne remarquent pas qu'il est juif. Il arrive au Struthof vers le 20 août 1944. En guise d'accueil, on leur annonce : "Vous entrez par la porte, vous sortirez par la cheminée…"' Mais c'est par la porte qu'il en ressort une quinzaine de jours plus tard, direction Dachau. Il ne sera définitivement libéré qu'en avril 1945.
Son père est fusillé par la Milice à Saint-Amand-Montrond (Cher), son frère est arrêté puis abattu dans une prison près de Cologne.
Après son retour de déportation, en 1945, il se tait pendant une quinzaine d'années. Il était vital de passer à autre chose. Ensuite, il est devenu tout aussi vital de témoigner ; désormais, il raconte inlassablement sa déportation, aux journalistes et, surtout, aux scolaires.
"Je me rends dans une dizaine de collèges par an, sans compter les visites sur le site du Struthof. C'est douloureux, il y a toujours quelque chose qui remonte. Mais il faut le faire, c'est indispensable. Il faut se battre pour dire aux jeunes que leur liberté, ils la doivent à des personnes qui sont mortes pour elle. Et ça les intéresse… Quand je sors d'un collège, je suis regonflé !".
Six mois avant son décès, déjà atteint par la maladie, il continue à se rendre inlassablement dans les collèges et sur le site du camp, afin de témoigner de la barbarie nazie auprès des jeunes générations.
Gilbert May a exercé des fonctions importantes, au niveau national, au sein de l'UNADIF (Union nationale des associations de déportés, internés et familles de disparus) et de la Fédération nationale des déportés internés de la Résistance (FNDIR). Il était officier de la Légion d'honneur et commandeur de l'Ordre national du mérite.
Marié, il était père de deux fils, quatre fois grand-père et huit fois arrière grand-père.
Décédé le lundi 14 octobre 2013, Il a été inhumé le mercredi 16 octobre à 11 h au cimetière de Strasbourg-Cronenbourg.
A l'annonce de sa disparition le maire de Strasbourg, Roland Ries, a publié la réaction suivante :
Ce texte constitue le contenu d'une allocution, prononcée au cimetière de Cronenbourg à l'occasion de la cérémonie de commémoration de la Déportation, le premier jour des Selihoth (23 septembre 2000). Il est publié ici avec l'aimable autorisation de son auteur.
Il y a maintenant 55 ans que nous avons été libérés
par les Alliés de ces camps de la mort qu'on appelait "camps de
concentration".
Chaque année, mes compagnons de misère ont évoqué leur
martyrologe, et je voudrais ce soir rappeler quelques événements
de mon parcours, allant du Maquis de la Creuse jusqu'à Dachau.
J'ai été arrêté à Saint-Dizier Leydennes près
de Bourganeuf, où nous avons été accrochés par un régiment
de la Division Das Reich qui montait vers la Normandie. Nous étions un
groupe de 60 contre 1200 SS armés de mitrailleuses lourdes et de mortiers.
Neuf blessés dans le groupe dont moi, une balle m'ayant traversé
la gorge, mon frère Jean-Pierre, présent à mes côtés
m'a mis un pansement autour de la gorge et tous les blessés étions
allongés dans l'herbe. Quand les SS ont foncé sur nous, mon frère
m'a mis debout, les huit blessés restant allongés ont été
abattus d'une balle dans le crâne.
Après de multiples événements, j'arrive à la Prison de Clermont-Ferrand sous le nom de Jean Michot. Devant l'avance des Alliés, toute la prison part sur le Struthof. Nous sommes entassés par cent par wagon de bestiaux et voyageons soixante heures dans des conditions d'hygiène épouvantables et sans rien boire ni manger.
Ne pas boire soixante heures, c'est très dur, et à chaque fois que je flanchais, me venait à l'esprit Chameau et la troupe E.I. Cerf Beer dont je faisais partie. Or, à chaque sortie du dimanche, nous emportions à manger et à boire, et arrivés au lieu d'excursion il nous visait nos gourdes, disant "si vous avez soif, sucez des cailloux", et chaque fois je me disais "tiens le coup sinon tu te feras gronder par Chameau".
Je me rappelle également qu'étant dans un commando à Augsbourg où nous creusions une usine souterraine pour Messerschmitt, j'ai attrapé une double pneumonie. Au camp, pas question d'aller à l'infirmerie si on n'avait pas quarante de température. Je me suis écroulé au travail et retrouvé à l'infirmerie, couché sur une paillasse infecte. Pas de médicaments ; j'étais en train de mourir quand dans mon semi-coma j'ai entendu une voix qui venait probablement du ciel et qui me disait : "tu n'es pas seul, je t'aiderai, serre les dents". Et deux jours plus tard je me suis retrouvé à Dachau dans un bloc de quarantaine où j'ai pu récupérer.
Puis un jour, appel dans les blocs de quarantaine, et 1014 déportés non-juifs sont enregistrés pour partir en commando. J'apprends par un secrétaire lorrain du Secrétariat au Travail que ce convoi part pour Auschwitz. Je dis à ce camarade, également résistant, que je ne peux pas partir pour Auschwitz, et il arrive à me rayer de la liste, me faisant partir pour un autre commando.
Je signale qu'environ 4500 français non-juifs ont été tatoués à Auschwitz.
Je suis donc parti à mon grand soulagement au commando de Kaufering
Landsberg, situé en pleine forêt. Notre camp de non-juifs était
entouré de sept petits camps de Juifs. Honfroisckle, le chef SS des huit
camps était un ancien responsable des chambres à gaz d'Auschwitz.
Nous étions en train d'installer une nouvelle baraque quand je l'entends
dire à haute voix au kapo qui nous surveillait : "Ich riche das
Juden hudert meter weit" ("je peux sentir un Juif à cent
mètres", et j'ai prié, disant "pourvu qu'il ait un rhume
et ne sente plus rien".
Puis, vers le 15 avril, départ en marche forcée deux jours, où les traînards étaient abattus immédiatement. Nous arrivons à Dachau où il y a une terrible épidémie de typhus. Nos camarades meurent par centaines et les crématoires n'arrivent plus à suivre. Les cadavres sont entassés devant les blocs et nous devons marcher sur eux pour rentrer dans nos chambrées.
Enfin, 29 avril, on entend des coups de canons et de fusils, et à 17h les troupes américaines rentrent dans le camp. Enfin nous pourrons revivre.
Mais je voudrais ce soir, associer également dans le souvenir du martyr du peuple juif, durant cette période de 1940 à 1945 tous nos coreligionnaires fusillés en France par les nazis.
Je voudrais rappeler aux jeunes ici présents qu'au début du combat nous n'avions pas d'armes, et que les armes il fallait les prendre aux Allemands, et donc les attaquer pour leur prendre leurs revolvers et cartouches, il fallait également saboter les usines qui travaillaient pour l'armement du Reich nazi. Or à chaque action les nazis prenaient cinquante ou cent otages qui étaient soit désignés par les autorités françaises, soit raflés dans les rues des villes où ces attentats étaient commis, et l'on arrêtait plus particulièrement des Juifs.
Nombre d'entre eux ont été fusillés, et souvent leurs noms ont été placardés pour l'exemple. D'autres ont été exécutés par la Milice, cette Gestapo français, et je voudrais rappeler le souvenir de la tragédie du Puis de Guerry dans le Cher.
Fin juillet 1944, les Allemands et la Milice ont arrêté à
Saint-Amand-Montrond une centaine de Juifs, femmes, hommes, enfants, vieillards,
et les ont transportés à la prison de Bourges, où la Milice
est venue prendre les hommes et les femmes, les entassant à coups de crosse
dans une camionnette où pouvaient prendre place quinze personnes.
Arrivés dans un endroit perdu tout près de Bourges, au domaine
de Guerry, les femmes sont séparées des hommes. Puis les miliciens
français font descendre les hommes par groupes de six, refermant à
chaque fois la bâche du camion, interdisant toute vue sur ce qui se passait
à l'extérieur.
Quand vint le tour du dernier groupe, en sautant du camion, un détenu
arrive à s'enfuir, évitant les coups de feu tirés par les miliciens
qui le recherchent une partie de la nuit.
Epuisé, les vêtements déchirés car il avait rampé
entre les broussailles, il trouve refuge dans une ferme où malgré
les risques d'un contrôle de la région par les miliciens, on l'héberge
pendant trois jours. Puis il se rapproche de ferme en ferme jusqu'à
Saint-Amand, où le 15 août, après la Libération, il
alerte les autorités leur racontant ce qu'il avait vécu. Son exposé
un peu chaotique n'est pas pris au sérieux, on le traite de fou.
Le 6 septembre, Bourges étant libérée, quelques familles juives partent, accompagnées du rescapé à la recherche de la ferme abandonnée, mais le survivant Kramerson ne reconnaît pas l'endroit d'où il s'est sauvé. Peu après l'on retrouve le fermier qui avait hébergé Kramerson, et après de longues recherches on trouve au fond d'un premier puits, après avoir enlevé des kilos de pierres et de sable, les corps de 25 hommes qui ont été jetés vivants dans ce puits. Continuant les recherches, on trouve dans un deuxième puis les corps des huit femmes, également jetées vivantes dans le puits, et mortes étouffées sous les pierres et les gravats jetés par la Milice française.
Ce sont ces mêmes miliciens qui ont exécuté mon père Félix May d'une balle dans le crâne, et dont le corps a été retrouvé flottant dans le canal de Saint-Amand-Montrond.
Oui, je voulais associer le martyr de ces Juifs, résistants ou non, morts en France, qui n'ont pas leur nom à Yad Vashem ou au Musée de l'Holocauste à Washington, parce qu'ils n'ont pas été déportés, mais je pense que leur mémoire et leur souvenir doit être joint à celui de toutes les victimes de la Shoah.
Enfin je voudrais lancer un appel à tous les enseignants des
écoles juives et à tous les responsables des mouvements de jeunesse
de cette ville :
Dans très peu de temps, il n'y aura plus de survivants pour témoigner,
alors il faut que ce soit vous qui preniez l'engagement que chacun de vous
emmène l'année prochaine une délégation de chaque école
et de chaque mouvement de jeunes, afin que dans cette salle remplie de jeunes
nous puissions leur transmettre notre message : "Zakhor",
"n'oubliez jamais". Car si par malheur vous ne continuiez pas
à rappeler le souvenir de cette tragique période, six millions
de nos frères juifs, victimes du nazisme, seraient morts pour rien.
Gilbert May
Président départemental de l'U.N.A.D.I.F.
Vice-président national de Dachau