Bien sûr , il y a des enfances heureuses et celles qui le sont moins.
Dans son dernier livre Michel Drucker "Une année pas comme les autres" pour se débarrasser, aussi, d'une contrevérité qui le poursuivait depuis longtemps déclare qu'il est juif ; annulant en quelque sorte le baptême que son père avait imposé. L'histoire de Michel Drucker n'est pas notre problème mais il y a beaucoup d'artistes qui assument aujourd'hui mieux qu'avant !! de Pierre Arditi à Francis Huster, de nombreux autres qui n'ont pas peur d'affirmer leur judaïsme de papa! On aimerait que des Gad Elmaleh et autres humoristes ne se présentent pas comme des Marocains, mais qu'ils disent : "nous sommes des Juifs Marocains". Point.
Et si les Grands portent leur judaïsme dans le cœur et dans leur manière de voir les choses: disons les Intellectuels, nous les anonymes du judaïsme portons en nous des souvenirs qui restent vivants : bons ou mauvais. Les antisémites ont toujours existé et remonter la rue des Têtes, dans les années 50 à Colmar coiffé d'un béret suscitait des commentaires et quolibets !
Et nous autres, nous avons des souvenirs qui reviennent à des moments précis.
En revenant à Colmar en 1945, sains et saufs : c'était déjà un bon souvenir ! on ne parlait pas tant de la Shoah (difficile à le croire, bien que les familles comptaient leurs disparus), beaucoup découvraient alors le judaïsme à Colmar ou ailleurs!
Mais restons à Colmar.
C'était l'époque où les Sidourim manquaient ; on utilisait ceux du Joint parcimonieusement distribués.
Les EI, entre autres, n'avaient pas de local : on se réunissait dans un réfectoire des pauvres de la ville Une mauvaise odeur de repas au rabais nous saisissait.
On se réunissait pour les conférences à la garkish Metzger. Déjà des conférences de Benno Gross ou Henri Smolarsksi
Mais tout ceci sont des souvenirs collectifs.
Il y a un souvenir qui m'a toujours marqué et aux Grandes fêtes il revient chaque année avec la même émotion. Sans doute, ce souvenir a été partagé.
Je me souviens toujours de M. Rowinsky , ministre officiant, aux Grandes Fêtes se prosternant à Oleinou : il chantait de toute son âme, de longs moments, prosterné à terre Et nous autres les juifs de Tishri chaque fois bouleversés On se disait "il pense à ses trois fils disparus dans la tourmente".
Toute une génération se rappelle ce petit homme, 'hazan , chohet apprécié, figure de Hassid: une grande kippa noire, une abondante barbe, sans âge, unique en son genre, pour l'époque ! ..à Colmar.
C'est celui qui a enseigné le petit morceau de parsha de bar miztwa à tant d'ignorants en nous pinçant la joue quand on déraillait.
Colmar, "petit yishouv "en Alsace : je l'ai décrit il y a longtemps déjà ici même sur ce site.
Ce Colmar sans centre communautaire était vivant, bien vivant.
Dans les années de l'après-guerre, la communauté de Colmar vivait, nous semble-t-il aujourd'hui, dans une certaine euphorie.
Une petite communauté, sans grands moyens matériels. La schule était intacte, mais salle de réunion, des locaux pour E.I., Yechouroun ou Bné-Aquiba, inexistants. Alors, on se réunissait tout en haut, dans la "Garkirsh Metzger" pour des cercles d'étude.
C'est là que la jeune génération montante a entendu pour la première fois Benno Gross dans un laïus sur Saint-Exupéry ou Tchernikovsky, Henri Smolarski et d'autres (dans le cadre de la J.J.C., Jeunesse Juive de Colmar). Les oneguim (mixtes eh oui !) se déroulaient dans une salle de la ville qui accueillait d'ordinaire plutôt les vieillards. De même pour les réunions E.I.. Il y avait aussi les excursions du dimanche. On passait allègrement du Markstein à Guebwiller.
Théo et Edith Klein, la maison chaude et accueillante , le vendredi soir, ils nous ont appris le judaïsme, la Thora, Eretz Israël . C'était l'époque où un maître (car Théo était un maître) se permettait de nous lire des passages… du Sapeur Camembert !
Colmar d'après-guerre, un petit yishouv agréable à vivre.
Quand on a 15 ans, tout semble définitif. C'est ce qu'on ressentait alors, dans la Communauté de Colmar, petit "yishouv" d'Alsace. Les personnages, eux aussi, semblaient pour toujours en place. Parmi eux, il y avait le premier ministre officiant, Monsieur Rowinsky, à la voix profonde, excellent sho'heth (boucher rituel) aussi, aux dires des marchands de bestiaux, nombreux à la schule, indisciplinés, chahuteurs, emmenés par mon oncle Gabele.
Et pourtant, M. Rowinsky faisait peur. Apprendre avec lui sa "parsha", soit un petit morceau de la Torah qu'on déclamait sans rien comprendre tenait du courage ! Constamment, il pinçait la joue à faire crier. M. Rovinsky inspirait la crainte, à cause de sa grande barbe, phénomène assez rare alors. Mais il y avait plus. Quand on le croisait, quand on l'entendait prier aux grandes fêtes, surtout dans ses interminables prosternations à genoux, on ne pouvait oublier qu'il avait perdu trois fils, tous ses fils, pendant la guerre. En le voyant, on pensait à la tristesse qu'il portait en lui à jamais.
Dans cette communauté, il y avait les "puissants", assis dans de confortables fauteuils rouges, le président du Consistoire, M. Gaston Picard, Messieurs Jules Cahn, Oscar Roth, président de la Communauté. Et puis, les puissants économiquement parlant, à croire qu'ils faisaient tous dans les fruits : Henri Lévy fruits et Arthur Dreyfuss primeurs.
Mais dans ce Colmar dont on garde une certaine nostalgie, il y avait une figure, connue pour son savoir juif et sa modestie. Ils n'étaient pas nombreux, les savants juifs, ni les familles pieuses : M. Robert Samuel, professeur de physique-chimie, au Lycée, comme Théo Klein, ministre officiant en second, toujours prêt à enseigner une page de Guemara.
On pourrait continuer la liste des "valeureux". Il y en a un, qui reste gravé dans notre mémoire de gosse. M. Amster, qui n'avait pas besoin de rituel de prières (du reste, il n'y en avait plus, après la guerre, à part ceux du Joint) impressionnant pour ceux qui ne savaient rien. Lui, il savait tout par cœur.
Dans cette schule de Colmar, monument historique, il y avait le coin des Polonais, celui des marchands de bestiaux, et les autres fidèles, chacun fidèle ou plus ou moins fidèle aux traditions.
Dans l'après-guerre, la Communauté de Colmar, qui avait retrouvé son Temple intact, se regroupa tout de suite autour de l'ancien rabbin de Wintzenheim, le grand rabbin Fuks et d'une figure légendaire, M. Gaston Picard alors que l'ombre du grand rabbin Weill planait encore ici et là, sur certains milieux. M. Robert Samuel déjà cité était certainement son plus fidèle représentant par son humilité et sa rigueur. Comme toutes les communautés d'Alsace, les juifs de Colmar n'étaient guère sionistes. Israël, c'était pour les autres. Quand mon père voulut "Schnoderen" (faire une collecte) pour la Hagana, la réaction fut violente et hostile. Montèrent pourtant à cette époque quelques jeunes dont Isi Amster, Elie Samuel, Jean-Jacques Samuel son frère trouva la mort au combat.
La communauté de Colmar prit rapidement un bon départ, mais il faut bien admettre aujourd'hui que ses dirigeants, administratifs en premier lieu firent montre d'un certain immobilisme. Ainsi, les mouvements de jeunesse se développèrent dans l'indifférence, sans locaux, sans budget. Les E.I. trouvèrent asile au gré des circonstances dans la maison du grand rabbin, dans une salle de la ville ou dans les entrepôts de la limonaderie Katz. L'euphorie continua jusqu'à ce qu'hélas, survienne une vague de mariages mixtes ! sur laquelle personne n'avait compté.
Pour clore ce chapitre, il faudrait citer des noms par dizaine. Madame Fuks, la grand rabbine présidente de la Société des Dames connue sous le nom d’Etincelle. Tout commeMadame Bernheim dite Pivert. Elles avaient créé les EI à Colmar, et puis il y avait aussi Georges Bernheim, son mari, mort récemment à l’âge de cent ans. Il fut l'animateur du Bal du KKL Jusqu'au bout, il a gardé son humour judéo alsacien de poète. Il y a tant de noms à rappeler, d’Oscar Roth, Robert Levy à Armand Picard, Jules Cahn et René Schwab sans oublier le taciturne secrétaire de la communauté Schlomo Picard, qu'il est préférable pour en savoir plus de se procurer l'excellent livre sur la communauté de Colmar paru en 1993 pour le 150e anniversaire de la Synagogue.
Colmar, petit yishouv d'Alsace était, et est certainement encore, une communauté aux relations humaines cordiales et agréables. Une communauté encore bien vivante.
C’est la rue des cimetières de la ville : une allée bordée d’arbres formant une voûte presque céleste. L’homme venu d’ailleurs pousse la grille du cimetière et s’avance sur le gravier. Personne pour le déranger quand il s’approche des tombes connues de lui seul . On pourrait penser qu’il s’agit d’un début de roman policier ..on pourrait , bien sûr l’imaginer ainsi. Non , c’est la démarche que beaucoup font et pas seulement à Colmar ; l’Alsace est faite de nombreux cimetières du passé. Mais la tristesse n’est plus au rendez vous ; les parents, les oncles, les tantes et tant d’autres auraient cent ans et plus. L’émotion toujours, évidemment. Alors , on a le temps de se promener dans les allées du cimetière si bien entretenu. C’est le cimetière de notre jeunesse. La tristesse n’est plus au rendez vous à moins qu’au hasard des alléees et venues on découvre la tombe d’un ami, d’un cousin d’une vieille connaissance qui pourrait être encore parmi nous.
C’est vrai qu’il en impose ce temple vu de la place Jeanne d’Arc ; Peut être parce qu’il est grand et haut de plafond : peut être aussi parce qu’il range les fidèles sur les côtés laissant une grande allée centrale. Avant la guerre, paraît-il , il y avait des bancs au milieu . je me souviens d’avoir été impressionné par l’entrée digne des Notables dont Messieurs Gaston Picard, Jules Cahn ou Oscar Roth que nous avons déjà évoqués : ceux du Consistoire ou de la Communauté : Il faudrait pour être juste en évoquer d’autres encore comme Maître Robert Lévy , humain dans son approche , Mr Robert Samuel , un saint Homme ou Maître Dreyfus May , sachant ou voulant prouver qu’on pouvait être au Consistoire et aussi membre du très laïc club Jean Massé sans oublier le secrétaire si discret Schlomo Picard , sioniste dans l’âme Je voudrais évoquer aussi une figure d’avant la guerre : connue des Colmariens . Il avait donné son nom à un stade, hélas débaptisé quand le football professionnel a cessé d’exister. Le mécène n’étant plus là. Joseph Lehmann était membre du Consistoire. L’odeur de ses tanneries arrivait jusqu’au Portes de la Synagogue ! ! les fauteuils rouges du Consistoire attiraient les regards ! !
Tous ces souvenirs me reviennent en me promenant dans le cimetière de mon enfance. Mais la vie continue. J’aimerais parler de l’activité de mes amis Présidents, Jean Claude Katz, trop vite parti , Pierre Dreyfus et d’autres comme Ivan Geismar , Jean Jacques Roth ou Mimo Maimaran, hélas déjà disparu. J’en oublie et ne respecte pas l’ordre car l’ignorant Mais est ce important ? Certes on m’en excusera, de loin on ne sait pas tout, même si on descend du train de temps à autre. Colmar, Colmar. Une minute d’arrêt … En tout cas, les nouveaux venus ont su insuffler cette esprit "com" que les Anciens n’imaginaient même pas ! ! Ils ont bien travaillé.
Pour se rendre compte de tout ça, il faut tout simplement descendre du train sans forcément prendre un taxi pour l’allée du Ladhof. Mais une rencontre avec le passé aide à se souvenir. Le Temple est classé monument historique mais à l’intérieur et dans les bâtiments annexes, il y a des activités et du mouvement . Le lien avec le passé, et bien on le ressent en rencontrant le Grand Rabbin Fuks : celui qui nous a fait aimer Israël d’hier et d’aujourd’hui : la Bible et l’Etat d’Israël. C’est peut-être un peu pour cela que beaucoup de Colmariens ont choisi de vivre en Israël.