Pour avoir depuis longtemps adopté la nationalité israélienne, on est en droit, semble t-il, de ne pas posséder à fond la carte juive de la France. En apprenant en l'an 2000 que la synagogue de Trappes avait été incendiée, on a cherché Trappes dans le dictionnaire et à l'aide du guide du Consistoire de Paris, on a découvert des dizaines de noms nouveaux.. De jolis noms, en vérité : Blanc-Mesnil, Saint-Brice-sous-Forêt. Dont acte, il faut un guide pour s'y retrouver.
Mais, il y a une cinquantaine d'années, il y avait en premier Paris, la capitale et l'Alsace avec Strasbourg en tête pour le judaïsme traditionnel. En regardant une photo de 1947, celle de la troupe des E.I.F. d'Alsace, envoyée au Jamboree, on pouvait déjà se rendre compte de la toute puissance de Strasbourg. Le chef de camp était Elie Weiler, et son adjoint le futur leader du judaïsme français, Jean Kahn. Nous autres de Colmar, Mulhouse on était à peine représentés.
Dans les années l950, Strasbourg était incontestablement le grand centre juif, peut-être plus qu'aujourd'hui. C'était avant l'arrivée d'Albert Hazan , d'Armand Abecassis et des Juifs d'Algérie. Le rabbin Warschawski n'était pas encore rabbin de Strasbourg et Charles Friedeman n'était pas encore celui de Bischheim. En fait, il y avait trois synagogues sans compter le Merkaz, Broglie, Kageneck et Adath Israël avec chacune son style. Joseph Weill était au Consistoire ce que le Grand Rabbin Deutsch était à la communauté. Un personnage incontournable à coté d'une présence quasi épiscopale, redoutée mais combien efficace. Pour celui qui venait par exemple de Colmar, une communauté où il était agréable de vivre, Strasbourg était la grande organisation. Dans l'ombre, Charles Ehrlich et son équipe administrative préparait la construction de la grande schoule aux dimensions exagérées, pensées en fonction des juifs des grandes fêtes.
Strasbourg, c'était le Merkaz de la rue Oberlin, un office vivant et plein. C'était l'ORT, l'école Aquiba, les institutions de la maison Blum, du Home, en passant par les Violettes C'était le Bulletin de nos Communautés , un lien chaleureux pour tous les lecteurs. Il est vrai que toutes ces institutions mériteraient un chapitre special tant elles ont joué un rôle primordial, non pour les Juifs de Strasbourg, mais pour tous ceux venus de l'extérieur pour des raisons diverses : Le home de Jeunes Filles de Fanny Schwab n'avait pas toujours la même fonction que les Violettes dirigées par Mme Israël oule Foyer par M. et Mme Alfred Blum. Nous y reviendrons un jour.
C'était surtout les acteurs qui animaient l'ensemble : d'abord, il y avait André Neher le guide incontesté, un intellectuel qui savait s'adresser aux étudiants, attirant un vaste public et affichant complet pour ses cours à domicile. Une éloquence au service du savoir. C'était un style nouveau pour un contenu inhabituel. Manitou allait faire de même à Orsay.
Il y avait
Lucien Lazare qui transrforma la vie des étudiants en créant un Moadon
bien à eux et des tickets repas comme au FEC ou à la Galia.
Il y avait Benno Gross, déjà Directeur d'école,
professeur, conférencier à l'enthousiasme contagieux, qui ne
s'est jamais démenti.
Il y avait aussi, déterminés et actifs, Loup
et Colette Meyer-Moog maintenant les E.I. à haut niveau, créant aussi
la J.J.E. de Nancy à Belfort.
Il faudrait ajouter beaucoup d'autres noms, ceux qui ont fait de Strasbourg un véritable pôle d' attraction. Bien sur, à chacun ses souvenirs et ses maîtres, les uns n'excluant pas les autres. Heureux celui qui avait un maître !
Au demeurant, il reste encore bien des questions en suspens. Comment ce dynamisme, cette vitalité du judaïsme ont-ils pu se développer alors qu'on sortait à peine de la Shoah ? Peut-être à cause d'elle, ou parce qu'on voulait à tout prix l'occulter. Mais les cadres issus de la guerre ont bien fait de réagir aussi vite. Les questions sont venues par la suite.
Quant à la guerre de 1948, la guerre d'Indépendance d'Israël, une minorité de volontaires seulement a eu le courage de se lever et de partir. Difficile à comprendre aujourd'hui. En fait, l'Alsace juive profonde n'était pas sioniste. Israël, c'était pour les autres, ceux qui n'avaient pas de patrie ni de Messie à attendre. Refrain connu. L'Alsace juive, yeke, qui n'avait pas su accueillir les Juifs polonais a essayé de se rattraper en accueillant les Juifs d'Afrique du Nord. Mais là aussi, ce sont les mêmes acteurs qui animèrent la scène, en se relayant quelquefois !