La déconfiture de l'Imprimerie-Librairie Istra, la vente de
l'immeuble à des promoteurs provoqua une vive inquiétude
dans la communauté juive de Strasbourg.
Robert Weyl en
tant que secrétaire général de la Société
d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine en appela au
Ministre de la Culture, Monsieur Jack Lang. A la suite de quoi, le "bain
rituel juif présumé" fut inscrit à l'inventaire
supplémentaire (15 novembre 1985). Une convention entre les acquéreurs
et les pouvoirs publics permit l'ouverture d'une campagne archéologique
de six mois sur tout l'espace voué à la démolition ou
à la rénovation. Le bain juif était sauvé.
Avant le début des fouilles, le "présumé bain juif" se présentait sous l'aspect d'une cave de forme carrée d'environ trois mètres de côté, voûtée en berceau. La voûte était percée en son centre d'une ouverture circulaire de 90 centimètres de diamètre. Aux quatre angles des consoles de pierre (corbeaux) de facture romane, consoles déroutantes puisque architecturalement leur présence ne se justifiait pas. La cave montrait à la base de ses murs deux assises de pierre en grand appareil. A première vue, le sol était en terre battue.
Monsieur François Petry, directeur des Antiquités historiques d'Alsace confia la direction des fouilles à Madame Marie Dominique Waton. En plus de la collaboration de M.J.P.Legendre, et d'une équipe de vacataires, Madame Waton s'entoura de l'avis de M.Hans Zumstein, conservateur du Musée de l'Oeuvre Notre-Dame, et comme il s'agissait d'un monument juif, de celui de M.Robert Weyl, secrétaire général de la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine et du professeur Gunther Stein, conservateur du Musée du Palatinat et du bain rituel de Spire.
Après dégagement d'un sol en terre battue, d'un premier pavage de briques, puis d'un second dallage fait de briques, de dalles de grès, carrées ou rectangulaires, on mit à jour l'orifice d'un puits comblé. Il faut noter que l'ouverture du puits est décentrée par rapport à l'orifice zénithal de la voûte de la cave, ce qui ne manque pas de provoquer des questions. La partie supérieure du puits était constituée de onze blocs de pierre quadrangulaires de remploi pesant chacun 70 Kg. La partie médiane du puits était circulaire composée de matériaux divers. Quant à la base du puits, elle formait un bassin carré constitué par quatre grandes dalles ayant environ 1 mètre de large, 1,30 mètre de haut, et 12 cm d'épaisseur. Ce puits semble avoir peu servi et fut comblé quelques années après sa construction.
Le puits fut déposé et la fouille continuée jusqu'au dégagement total du "bain". Malheureusement la terre de remblai ne livra qu'un mobilier pauvre et de peu d'intérêt. Mais le dégagement total permit de mettre en évidence les restes d'un escalier s'ouvrant au niveau du sol de la cave et aboutissant au niveau de la nappe phréatique. On peut mettre la démolition de cet escalier en relation avec la construction du puits, les ouvriers trouvant là une carrière de pierres à bon marché. L'existence de cet escalier nous conforte dans notre conviction d'avoir trouvé les vestiges du bain juif médiéval.
Au niveau de la dernière marche de l'escalier s'ouvre la piscine proprement dite. Or à ce niveau les archéologues mirent à jour un aménagement en bois délimitant un espace de 1 m 70 sur 1 m 50.
Il est difficile de se prononcer avec certitude sur le rôle de cet aménagement en bois, dont l'emboîtage aux angles est caractéristique pour le 11ème ou le 12ème siècle. Il s'agit vraisemblablement d'un coffrage de soutènement, associé à la construction du bain rituel et délimitant le pourtour de la piscine. L'étude du bain rituel de Bischheim, datant des environs de 1580, a montré que les marches de pierre reposent sur un support en bois, ce que l'on accepte beaucoup plus facilement que le lambrissage des parois de la piscine, qui est une des caractéristiques du bain de Bischheim. Une étude dendrochronologique et de datation par carbone 14 est en cours. Ainsi, en dépit des graves dommages subis, il demeure assez d'éléments permettant d'identifier un bain juif et d'en restituer la forme, qui n'est pas sans analogie avec la partie basse du bain rituel de Friedberg (Hesse).
Il convient d'insister sur le fait que ce bain est le seul édifice
juif appartenant au moyen âge strasbourgeois qui soit parvenu jusqu'à
nous, ce qui ne manque pas de soulever quelques problèmes.
Problème de la propriété : Il serait souhaitable que
la ville de Strasbourg se porte acquéreur de ce site historique qu'elle
pourrait gérer par l'intermédiaire de la direction des musées.
Problème de la remise en état : Est-il souhaitable de faire
une restauration en l'état primitif, quitte à détruire
des vestiges, peu spectaculaires certes, mais certains, pour les remplacer
par des éléments hypothétiques, comme l'aurait fait un
Viollet-le-Duc ou un Bodo Ebhardt (1) ? Ne vaudrait-t-il
pas mieux consolider simplement les vestiges, placer judicieusement une passerelle
métallique de manière à avoir une vue générale
du bain, en même temps que l'on présenterait une maquette réduite,
une reconstitution miniature du bain tel qu'il devait se présenter
au 13ème siècle. Le tout accompagné de photographies
des diverses phases de la fouille, ce qui aiderait à la compréhension
du site.
Les fouilles interrompues par la mauvaise saison nous livreront peut-être d'autres éléments de ce passé strasbourgeois si riche.