I. — LES ORIGINES
Les chroniqueurs des siècles suivants ne font pas davantage allusion à des Israélites strasbourgeois. Ils ne savent même rien de persécutions qui auraient sévi contre eux pendant la première Croisade. Un tel silence prouve sûrement qu'aucune communauté n'existait encore à cette époque.
On a cru pouvoir dater la plus ancienne de l'an 1146, en s'appuyant sur l'autorité d'Otto von Freising. D'après cet auteur, le moine Radulph était en cette année à Strasbourg. Or les chroniqueurs disent que dans toutes les villes où il passa il y eut des persécutions contre les Juifs (3). Ceci donne à penser qu'il s'en trouvait dans toutes. Il serait pourtant un peu risqué de l'affirmer péremptoirement pour chacune sur la foi d'une déclaration aussi vague, Aucun auteur de l'époque ne dit rien de pareil.
Il est pourtant incontestable que des Juifs vinrent s'établir vers ce temps à Strasbourg. Sans doute y cherchaient-ils un refuge contre les persécutions endurées en France pendant la seconde Croisade (1146-1147).
II. — LES RAPPORTS DES JUIFS DE STRASBOURG AVEC LES EMPEREURS
A l'époque où nous sommes arrivés, c'était l'Empereur Conrad III qui régnait en Allemagne. Il avait pris fait et cause pour les Juifs lors de la deuxième Croisade. Il avait mis à leur disposition la ville de Nuremberg et quelques autres places fortes où la foule surexcitée ne pouvait les atteindre. Mais ce service fut chèrement payé. Il devait en être de même pour l'avenir.
A partir de cette époque l'empereur d'Allemagne fut considéré par les Juifs comme leur protecteur. Lui-même prit ce rôle au sérieux. Mais il se rémunéra largement. Les Juifs allemands devinrent les "Serfs de la Chambre impériale" (Servi camerae), serfs qui n'avaient aucun droit, aucune indépendance. C'est ce qu'atteste un curieux document, qui figure aux Archives de la ville de Strasbourg (5). Il s'agit d'une brève notice rédigée en latin et empruntée probablement à un vieil ouvrage juridique. Voici ce qu'on y lit :
"Tous les Juifs qui vivent en Allemagne ou dans les régions soumises à l'Empereur ou dans les Etats qui font partie de l'Empire, jouissent de la protection de l'Empereur, de sorte qu'ils peuvent vivre entre eux selon la loi mosaïque. Ils peuvent donc prononcer des divorces, hériter, tester et passer des contrats selon cette règle.
Ils sont nominés Serfs de la Chambre impériale, parce qu'ils peuvent non seulement être soumis à des contributions, s'il le faut, mais encore forcés de collecter de l'argent dans l'Empire et de le remettre à la Chambre impériale ; et jusqu'à ce jour ils ont à payer à l'Empereur élu la CronSteuer (Don de joyeux avènement) et le Opfer-Pfennig (Denier or).
Quant aux Juifs qui demeurent dans les limites des Etats d'Empire, ils jouissent non seulement de la protection impériale mais aussi de celle. de l'Etat dans lequel ils vivent.
C'est que l'autorisation de recevoir et de protéger les Juifs avait d'abord été accordée par la Bulle d'or aux princes électeurs en vertu d'un privilège spécial.
Plus tard, elle fut étendue à d'autres princes et à des Etats. d'Empire et même à de simples nobles.
Aujourd'hui, ce droit n'est plus accordé par privilège, mais on préfère le déduire de l'indépendance territoriale, dont tous jouissent.
Là où ils avaient adopté depuis un temps immémorial un établissement définitif, ils ne pouvaient être expulsés par la volonté arbitraire du prince.
Il y a, du reste, certains Etats d'Empire qui, par privilège de l'empereur, ont obtenu le droit de ne pas pouvoir être forcés à recevoir des Juifs.
Les Juifs de l'Empire ont à observer certaines lois, par exemple au sujet de leur costume ; il leur est interdit de faire de l'usure, d'acheter des effets volés, etc. S'ils vivent selon ces lois et selon celles qu'eux-mêmes promulgueront, ils ne peuvent être molestés ni en leurs personnes ni en leurs biens, ni, comme nous l'avons dit, être expulsés contre leur volonté."
Il semble que les Juifsde Strasbourg n'eurent pas grande confiance en ces différentes promesses. En effet, le rabbin Eléazar, fils de Judas, de Worms, raconte, dans sa Chronique des persécutions contemporaines des Croisades, que lorsqu'ils virent, au début de l'année 1188, s'organiser une nouvelle campagne pour la libération des Lieux Saints, ils quittèrent la ville et s'enfuirent en d'autres places fortes, afin d'échapper au danger d'anéantissement qui les menaçait (6).
Ils n'en payaient pas moins régulièrement leurs impôts aux empereurs. En 1241, les Juifs de Strasbourg versèrent une contribution impériale de 200 marcs par an, ce qui les plaça au premier rang parmi les communautés juives de l'Empire. Plus tard, le montant fut diminué. Louis de Bavière et Charles IV ne recevaient plus que 60 marcs (7).
Mais la dette convenue fut toujours acquittée strictement. C'est ainsi que Rodolphe de Habsbourg, prenant possession de l'Empire, disposa, en 1278 des contributions de tous les Juifs du diocèse de Strasbourg.
La communauté tirait argument de cette situation pour demander justice contre ses adversaires, et souvent elle obtenait gain de cause. On le vit bien en 1298. Un certain Rindfleisch, noble franconien, avait tué un grand nombre de Juifs sous le prétexte qu'ils avaient profané le Saint-Sacrement. Les chefs de la communauté soutenus par beaucoup de leurs coreligionnaires étrangers, s'adressèrent au roi Albert 1er, qui se trouvait alors dans leur ville, en le suppliant d'avoir pitié de leur innocence et de leur accorder sa protection: Le roi exauça leur prière et défendit sous peine de mort de porter la main sur aucun juif. La persécution s'arrêta aussitôt, ce qui lui valut le don d'une belle pièce d'or d'un poids de 120 marcs (8).
Par le même acte, il était enjoint aux fonctionnaires d'appliquer aux Juifs une juridiction normale (9). Albert 1er ne se contentait donc pas de prendre fait et cause pour eux en temps de persécutions. Il entendait les garantir d'une façon durable contre des jugements injustes et des exactions iniques.
Louis de Bavière se comporta de même. Il invitait, en 1330, le bourgmestre et le Conseil de Strasbourg à protéger contre les impôts arbitraires ses serfs de la Chambre impériale. En même temps il donnait à ces derniers l'absolution pour le non-paiement de leurs contributions spéciales.
De bonne heure, la protection impériale accordée ou promise aux Juifs fut un prétexte pour leur imposer de nouvelles taxes, Louis de Bavière, procura le 20 août 1331, 700 marcs d'argent prélevés sur les Juifs d'Empire de Strasbourg aux comtes Louis et Frédéric d'Oettingen. Cette somme devait leur rapporter un intérêt annuel de 6o marks au profit du landgraviat qu'ils avaient acheté (10).
Le 21 mai 1333 le même Louis de Bavière remit en gages aux mêmes comtes, pour payer les services qu'ils lui avaient rendus et pour compenser les dommages subis de ce fait, mille marcs d'argent levés sur les Juifs d'empire de Strasbourg (11).
Lorsque le Pape Jean XXII interdit la pratique de l'usure en Allemagne, Louis de Bavière, qui était alors excommunié, permit expressément aux Juifs de, Strasbourg d'exiger des intérêts et recommanda à ses magistrats et à sesjuges de les protéger dans leur commerce de l'argent, sans céder à aucune menace du prétendu pape, ni d'autres autorités quelles qu'elles fussent (12).
Les mêmes juifs strasbourgeois reçurent, le 25 novembre 1347, une lettre de protection del'Empereur Charles IV, par laquelle celui-ci confirmait tous leurs droits et libertés contre paiement annuel de 60 marcs avec l'assurance expresse qu'ils ne devaient pas être cités devant un tribunal juif hors de la ville, et avec recommandation à ses prévôts et baillis de les soutenir le cas échéant (13).
III. — RAPPORTS AVEC LES EVÊQUES
Les évêques n'en revendiquèrent pas moins ce droit pour eux mêmes. Ils furent sur ce point comme sur bien d'autres, en conflit ouvert avec la Municipalité. C'est ainsi que l'un d'eux Walter de Gerosldseck se plaignait encore en 1216, que la bourgeoisie molestât "ses" Juifs par des impôts injustes et toutes sortes de tracasseries et extorsions arbitraires (17).
Le 9 juillet 1262, fut conclue entre lui et la ville une paix préliminaire en suite de laquelle les Juifs devaient être exempts de toute contribution pendant cinq ans (18).
Pour comprendre cette stipulation, il faut se rappeler qu'un conflit avait éclaté jadis entre la Ville et l'empereur Conrad II (1190-1202).. Celui-ci ayant, par intérêt familial, pris fait et cause pour le Guelfe Othon IV contre Philippe de Souabe de la maison des Hohenstaufen, lesquels étaient très aimés en Alsace, où ils possédaient de grands domaines. Philippe après avoir assiégé la ville et châtié l'évêque, accorda, en 1205, aux bourgeois l'exemption de tous les impôts et contributions sur leurs biens situés hors des murs, et de plus déclara Strasbourg Ville libre d'Empire.
C'est à cette occasion qu'il est fait mention pour la première fois, d'un Sceau municipal et que, semble-t-il, fut institué le Conseil de la ville.
L'évêque Walther de Geroldseck lorsqu'il vint, en 1260, occuper le siège de Strasbourg, fut fort étonné de se trouver en présence d'une véritable Constitution, qui, il est vrai, n'avait été rédigée qu'en partie. Il protesta aussitôt contre un certain nombre d'abus, réclamant en particulier la taxe sur les Juifs, qui, à son avis, ne revenait qu'à lui seul.
Cette question aurait dû être réglée par la paix préliminaire du 9 juillet 1262. En fait, elle fut seulement ajournée pour cinq ans, durant lesquels les Juifs seraient exempts de toute contribution. La contribution due à l'Empereur n'était pas suspendue pour cela. Il est clair qu'elle continuait de s'imposer.
Qu'arriva-t-il au bout des cinq ans ?
Les sources ne le disent pas. Mais nous savons que l'évêque Henri de Geroldseck, avant son élection, le 10 mars 1263, s'engagea à observer l'accord intervenu entre le défunt évêque Walther et la ville, en tant qu'il le concernait, jusqu'au moment où toute "dissension" aurait disparu. Nous pouvons donc admettre qu'à partir de l'année 1267 c'est le Conseil et.non plus l'évêque qui perçut les contributions des Juifs (19).
Il va sans dire que le seigneur de la ville, c'est à dire l'évêque, devait protéger "ses" Juifs non seulement contre des persécutions et contre des exactions abusives, mais aussi contre des jugements injustes, lorsqu'il s'agissait de procès entre Juifs et Chrétiens établis à Strasbourg.
Nous ne possédons pas de documents établissant, au 12ème et au 13ème siècles, la juridiction du dit seigneur sur les israélites. Mais nous pouvons admettre que lorsque le Conseil prit, en 1263, la succession de l'évêque il laissa les choses en l'état général où il les trouvait. Or, c'est le prévôt fonctionnaire nommé à l'origine par l'évêque, qui avait seul le droit de juridiction sur les Juifs. C'est devant lui, et non devant les deux sous-juges, que ceux-ci devaient être jugés dans les affaires civiles. Mais le prévôt déléguait, dans ce cas, ses pouvoirs à un subalterne, au "prévôt juif" (Judenschultheiss) et, si celui-ci ne suffisait pas à la tache, à un "sous-prévôt juif", chrétiens l'un et l'autre. Le produit de cette fonction revenait au prévôt, qui percevait aussi une partie des amendes infligées par le tribunal juif, compétent dans toutes les affaires purement religieuses. Le prévôt tenait séance dans la cour de la synagogue (20).
L'évêque Berthold de Strasbourg fut mêlé à la curieuse affaire d'un Juif baptisé qui réclama, en vain, son enfant à sa femme restée juive. Le cas fut porté devant le Pape qui, dans sa réponse du r6 mai 1229., adjugea l'enfant au père jusqu'au moment où l'enfant pourrait choisir la religion qui lui conviendrait (21).
IV. — RAPPORTS AVEC LE CONSEIL
A partir du moment où l'évêque ne fut plus en état de protéger les Juifs, ceux-ci devinrent toujours davantage les sujets du Conseil de la ville.
Entre mars 1200 et juin 1244 ils furent par deux fois victimes de certaines exactions. L'évêque protesta, mais sans succès.
Après sa défaite en 1263, il dut se contenter de voir la ville changer en un droit fixe les "services" divers, les contribution et les emprunts forcés, qu'on exigeait d'eux.
C'est au paragraphe 57 de la ne Constitution (1214-19) qu'il est question, pour la première fois, d'un des services en question. Il y est dit :
"In exitu civitatis Judei facient vexillum" ("A la sortie des bourgeois, les Juifs fourniront le drapeau") (22).
On peut se demander ce que signifie cette exigence, à une époque, début du 13ème siècle, où la position de l'évêque n'était nullement affaiblie. Il s'agit là probablement d'un service spécial, propre au temps de guerre, l'étendard en question devant servir à défendre les Juifs aussi bien que les. autres habitants de la ville. Ou conçoit que l'évêque, même tout puissant encore, ne se soit pas opposé à une mesure qui faisait participer les Juifs à la défense commune.
Walther de Geroldeck écrivait bien dans son "Manifeste" de l'année 1261, que ses bourgeois n'avaient rien à faire avec eux. Mais cela, bon pour le temps de paix, ne pouvait se soutenir quand la ville était en danger. Il se peut aussi que, lorsque cette coutume s'établit, les métiers de tisserands et de teinturiers étaient exercés par les Juifs. Nous savons d'autre part que les bouchers israélites payaient une taxe nouvelle au prévôt. Rien n'indique par contre; que les Juifs de Strasbourg fussent soumis au service militaire, à l'exemple de ceux de Cologne, de Worms et de Spire (23).
Comme tous les autres strasbourgeois, à partir du moment où l'évêque eut perdu son pouvoir sur la ville, ils dépendirent, au point de vue juridique, du Conseil. Cela ressort de plusieurs textes officiels, d'abord de la Constitution de 1322, où il est dit que le Bourgmestre et le Conseil devaient rendre la justice aux Juifs selon le serment prêté par eux à leur entrée en fonctions et selon l'usage ancien ; ensuite de l'Ordonnance de 1301 concernant la Monnaie, où des peines sont prévues contre les infracteurs juifs et bourgeois (24) ; enfin, du contrat passé par le Conseil, en 1338, avec des Juifs d'origine allemande qui lui avaient demandé, le 26 octobre 1334, l'autorisation de s'établir dans la ville.
Cet accord mérite une attention spéciale. Il amena un certain nombre de modifications dans les rapports du Conseil avec la Communauté israélite.
Un des changements introduits par ce dernier document consiste dans l'exemption de toutes contributions pour les intéressés, qui devaient ensuite être astreints au paiement d'une taxe annuelle.
Un autre se rapportait aux questions de prêt. Il était défendu aux Juifs de prendre plus de 43 1/2 % d'intérêt, taux normal de l'époque. En fait, ce chiffre était souvent dépassé. Désormais, une fois payée la contribution annuelle, le Conseil renonçait à punir ces contraventions. C'est seulement lorsque le débiteur portait plainte, ou en cas de crime commis par un Juif, que le tribunal civil devait intervenir.
Ce même contrat de 1338 modifia les dispositions concernant la prescription des créances juives. Par décision du 18 mars 1318, le Conseil avait ordonné que les débiteurs chrétiens sommés de payer une dette datant de plus de dix ans pouvaient déclarer, sous serment, ne rien devoir. En cas de décès du débiteur, les héritiers pouvaient, sous serment, renier la dette, à condition qu'il ne pût être prouvé que le remboursement avait été réclamé dans les dix années écoulées.
On voulait par là éviter l'accumulation indéfinie des intérêts, qui pouvait créer les plus grandes difficultés chez les bourgeois (25). Cette considération prit une telle force que le Conseil décida de réduire à cinq ans le délai demandé.
Une Ordonnance du 14ème siècle constate ce changement. Il contient les dispositions suivantes concernant la situation juridique de la Communauté juive de Strasbourg (26).
1. Interdiction de posséder des biens-fonds dans la ville ou dans la banlieue.
2. Interdiction de tenir synagogue en dehors de la maison de prières commune.
3. Sur les amendes infligées aux Juifs par le Tribunal du Conseil, le prévôt et le bailli percevaient un cinquième.
4. Les Juifs étaient justiciables du Conseil comme les autres bourgeois.
5. Pour les créances juives, la prescription était de cinq ans.
Aux termes de la Constitution VI, le prévôt et le bailli recevaient un quart ou un cinquième des amendes infligées aux Juifs (27). Un tiers de cette somme devait être versé au bailli par le prévôt (28). Les Juifs payaient une livre au Conseil à son entrée en charge et autant à sa sortie (Constitution 1V, 514).
Au point de vue administratif, les Juifs de Strasbourg étaient assimilés aux habitants chrétiens. Par exemple, les bouchers, juifs ou chrétiens, ne pouvaient acheter du bétail en dehors de la ville que pour le débiter en ville.
Les Juifs de Strasbourg, à partir de la seconde moitié du 13ème siècle, dépendant presque entièrement du Conseil, c'est à lui que s'adressaient les princes et autorités étrangères, pour les affaires concernant les Juifs. C'est ainsi que le Conseil de Noerdlingen, dans une lettre non datée, demande au Conseil de Strasbourg qu'un certain Friedrich Bowig, actionné par le juif Jecklin, soit relâché (29). De même, Rodolphe, comte palatin et du Rhin et duc de Bavière, par lettre du 3 mars 1343, s'adresse à plusieurs conseillers de Strasbourg en les priant de signer comme témoins un acte passé avec les Juifs de la ville (30).
Revenons aux Israélites d'origine allemande qui, le 26 octobre 1334, demandèrent au conseil l'autorisation de s'établir à Strasbourg. Aux termes de l'accord conclu à ce sujet, ils doivent s'engager à ne pas actionner pour raison de dettes les bourgeois de la ville ailleurs qu'en celle-ci, à ne lier partie avec quiconque agirait contrairement à cette clause, et à ne céder leurs créances à personne. Les Juifs qui, à l'avenir, voudraient s'établir à Strasbourg, seraient astreints au même engagement et les contrevenants devaient être dénoncés par la Communauté (31). Nous avons les noms des signataires de cet acte important. Ce sont : Aaron, Philer, Gotliep dictus Koge, Elyard dictus Vogellin, Jonathan dictus Kullon, Heckelin fratres nati quondam David senioris, Jacobus, Meyger dictus Enselin de Uberlingen generi ipsius quondam David, Jeckclinus natus quondam Selmelini, Vögellin eius sororius, Barina relicta quondam predicti David, Bela relicta quondam Bendit, Löwelinus ejus filius, Lason, Löwelinus, Benyad, fratres filii quondam Mennelini, Symundus, Sibelin fratres nati quondam Abraham de Ettenheim, Salmannus filius quondam Jacobi de Rynôwe, Jacobus de Mollesheim, Vivelin Mennelin ejus filii Moyses de Richenwilre, Gerschon de Landôwe maritus Husch, Michahel dictus Chohel, Trinlin relicta quondamYsaag de Ehenheim, Aaron ejus filius, David de Lovin, Dyrel filins quondam Salmanni, Ysaag de Buhswilre, Abraham de Westhoven, Ysaag gener Richentze, Estar de Hagenöwe, Richentza filia Büne, David ejus filius, Symela de Hagenöwe, Ysaag ejus filius, Bonafant de Rynöwe, Ysaag frater suas, Vivelin, Heyim prefati Koge fratres et Morel natus quondam Vivantz de Kurbelle (Vivant de Corbeil).
Un historien du judaïsme (32) a soutenu que c'est devant le tribunal ecclésiastique et non devant le Conseil que cet acte fut passé, ce qui prouverait que le Conseil ne possédait pas alors la juridiction supérieure sur les Juifs. Le même auteur a prétendu que par l'acte de 1338, les Juifs ont été faits bourgeois de Strasbourg pour cinq ans : sinon, on ne s'expliquerait pas que le Conseil ait pu étendre sur eux sa juridiction criminelle. Il y a là une double méprise. Il est certain, en effet, que, pendant tout le moyen-âge, les Juifs pouvaient devenir bourgeois, mais seulement bourgeois juifs, jamais bourgeois de ville, et qu'à Strasbourg ils relevaient du Tribunal ecclésiastique ou du Judengericht (Tribunal juif), seul compétent en la matière.
Quelle que fût l'autorité locale dont ils dépendaient, aucun d'entre eux ne se faisait guère d'illusion à son sujet. Les persécutions auxquelles leurs coreligionnaires furent en bute en Alsace et dans toute l'Allemagne du Sud (Armleder), leur firent pressentir qu'une nouvelle tempête allait s'abattre sur eux. Ils s'adressèrent donc à leur protecteur habituel, le roi Charles IV, qui, par privilège du 25 novembre 1347, recommanda au Conseil de les protéger contre les exactions et aussi très probablement contre les atteintes à leurs personnes (33).
V. — LA VIE INTÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ
La situation économique
Vers la même époque, un renseignement complémentaire nous est fourni par un autre témoin. Rabbi Eliézer, fils de Nathan (RABN) de Mayence, raconte vers 1150, dans son ouvrage, Eben-ha-Ezer (Pierre du Secours), que son avis fut demandé à propos d'un procès ouvert entre un juif de Spire et un autre de Strasbourg, (folio 146c) : B. de Strasbourg avait vendu à A. de Spire un marc c'est-à-dire une demi-livre d'or, en poids (wigen, pesé), attendu que le métal n'était pas monnayé (34). Le prix de vente fut payé jusqu'à un quart de marc-or, mais l'acheteur refusa le reste, estimant sans doute que ce versement suffisait, d'où litige.
La même relation nous apprend que les artisans, surtout les orfèvres, avaient l'habitude de ramasser les métaux précieux et de les vendre à des amis. C'est peut-être pour cela que l'Ordonnance du Bourgmestre et du Consul en date du 14 décembre 1301 (35), défend aux bourgeois, monnayeurs ou non et aux Juifs de collectionner des deniers, probablement destinés à la vente.
Mais les Juifs de Strasbourg s'occupaient surtout du prêt d'argent sur hypothèque. En voici quelques exemples.
En 1228, l'abbé Henri d'Ebersheim, ayant dilapidé la fortune de son couvent, leur hypothéqua plusieurs fermes et les ornements de son église (36). Rodolphe III l'ainé, margrave de Bade, s'engage, le 9 août 1312, à dédommager le bourgeois strasbourgeois, Berthold de Sollingen, qui s'était porté garant au Juif de Strasbourg Enselin pour 144 mark-argent, à un autre de Haguenau du nom de Joselin et au même Enselin pour 250 livres de deniers strasbourgeois, et à Selmelin de Strasbourg pour 20 livres de deniers strasbourgeois (37).
C'est peut-être à cause de ce même Rodolphe III de Bade que. Jean XXII a étendu la compétence du Tribunal ecclésiastique aux affaires de créances juives entre laïcs en effet, c'est en 1319 ou même un peu plus tôt que ce tribunal actionne les Juifs de Strasbourg David Walch et son fils Aron en vue d'obtenir la restitution des intérêts déjà payés et la remise des intérêts réclamés (38).
Dans un document non daté, mais sans doute antérieur à 1320, le chevalier Rubin Löselin et Petermann de Schöneck, échevin de Strasbourg, témoignent qu'à la place des villes d'Offenburg et de Gengenbach, le cabaretier Berthold. de Sollingen (déjà connu) et son frère Jean ont donné leur garantie, pour le comte Rodolphe, vis-à-vis du Juif David, l'aîné, pour 100 marcs d'argent qu'ils voulaient payer sur le domaine de St-Pierre-le-Vieux à Strasbourg (39). Mais les rapports entre Rodolphe et les Juifs devaient bientôt se gâter. Comme les dettes du comte augmentaient sans mesure, il jugea que le meilleur moyen de se libérer était d'actionner les Juifs pour usure. Il trouva bientôt un juge complaisant en la personne du prévôt du couvent de la Toussaint à Fribourg en Brisgau. Celui-ci interdit à tous tout rapport avec le Juif de Strasbourg David l'aîné dit Wall, et avec son fils. La ville de Strasbourg ayant passé outre à cette interdiction, fut excommuniée. Aussitôt, elle fit appel au pape Jean XXII et elle actionna, d'autre part, le prévôt.
Le pape écrivit d'Avignon, le 7 avril 1320, à l'Abbé de Murbach et aux doyens des églises de Colmar et de Bâle pour les prier d'examiner l'appel et de prendre une décision (40). Le procès traîna en longueur. Le 29 juillet 1321, le doyen de l'église de Colmar assigna de nouveau le représentant de la ville de Strasbourg au 18 août suivant (41), sans qu'une décision intervînt. Cependant, le margrave, par lettre du 31 octobre 1321, renonçait à toutes revendications envers la ville tout en réservant ses droits contre les Juifs (42). On ne sait comme l'affaire se termina, mais on peut supposer que le margrave finit par s'arranger aussi, d'une façon ou d'une autre, avec eux (43).
Son successeur Rodolphe IV, seigneur de Pforzheim, eut également à faire aux Juifs de Strasbourg. Il donna, le 2 novembre 1341, une lettre de garantie à Louis de Lichtenberg, qui était devenu son co-débiteur, contre quatre d'entre eux, Jeckelin, Mannekynt, Gate et Reckeline, pour 3575 deniers strasbourgeois (44). L'association de prêteurs d'argent qu'on voit fonctionner ici rappelle les groupements analogues observés en France. Elle ne facilita pas seulement l'extension des rapports commerciaux. Elle augmenta aussi du même coup la puissance capitaliste des Juifs (45).
La créance en question n'était pas encore réglée en 1349. Nous savons en effet qu'en cette année le comte Palatin Robert était en pourparlers avec la ville de Strasbourg à propos d'une couronne qu'il avait donnée en gage, pour le margrave Rodolphe de Bade, aux Juifs Jekelin et Mannekind, et qui plus tard fut rendue à son fils le margrave Frédéric (46).
Jekelin et Mannekind se trouvaient probablement parmi les victimes de 1349 : la ville, ayant confisqué leur fortune, devint ainsi propriétaire de la couronne, qu'elle restitua après les pourparlers en question.
Le comte palatin Rodolphe II avait eu, déjà auparavant, des rapports commerciaux avec un autre Juif de Strasbourg, Vivelin dit le Roux. D'après un document conservé aux Archives de I'Etat à Munich, le dit Vivelin, comparaissant, en 1337, devant la Cour de Strasbourg, déclarait ne vouloir restituer trois lettres de gages et une boîte contenant des bijoux que contre paiement des 600 livres d'argent que lui devait le comte palatin (47).
Le même Vivelin participa à une grande transaction internationale avec un Juif d'Allemagne, qui n'aurait guère pu, à lui seul, la mener à bien. Il s'agissait de trouver 61.000 florins d'or que le roi Edouard III d'Angleterre avait promis à l'archevêque Balduin pour subsides destinés à l'alliance contre la France. Cette somme devait être versée avant le 21 mars 1339, par Vivelin. d'après une allégation de son légataire en date du 27 février 1339. Or Vivelin était en relation avec Jacob Daniels, Juif de la cour de l'Archevêque. Solidairement avec lui, il reçut le 25 décembre 1344, de Walraf, comte.de Deux-Ponts, une lettre d'obligation de 1090 livres Heller, payable par termes annuels de 121 livres Heller. Entre temps l'archevêque devait recevoir en gage la ville de Saverne et le château-fort de Stauf, sur lesquels ils avaient prêté en tout 6.500 livres.
Vivelin n'aurait certes pu se charger de ce paiement, s'il n'avait été en. rapport avec les banques italiennes, avec lesquelles le roi d'Angleterre avait l'habitude de travailler. Comme l'argent ne pouvait guère lui être assigné autrement que par traites, il s'en suit que Vivelin était d'origine française, car les Juifs allemands ne connaissaient pas encore ce mode de paiement (48).
On peut en dire autant d'autres Juifs de Strasbourg cités en 1334 et plus tard. Leurs noms le prouvent avec évidence. Vivelin est composé de Vive (qu'il vive, que l'enfant vive, hébreu Hajim, vie) et de lin, diminutif allemand. Bonafant, Bon enfant, est devenu Bonnef, nom de famille qui existe encore maintenant. Vinants est probablement une faute de scribe pour Vivant. David dit Walch c'est à dire Welsch, Français ou Italien, se nomma Wolch ou Wloch en Pologne et devint l'ancêtre des nombreuses familles Bloch.
Ce n'est pas seulement à de puissants seigneurs mais à des princes de l'Eglise que ces Juifs de Strasbourg avancèrent des fonds (49). Nous savons, par exemple, que deux d'entre eux, Aron et Benichen, prêtèrent de l'argent, en 1340 et 1345 à l'archevêque de Mayence Henri de Virnebourg. Parmi les créanciers de l'évêque Gerhard de Spire on trouve aussi le Strasbourgeois Mossé, fils d'Aron, qui, avec sa femme Hanna, avait avancé 1.500 Heller pour un délai d'un an et demi (50).
Entre 1339 et 1349 le Conseil de Mayence pria le Conseil de Strasbourg d'inviter le Juif Aron à remplir ses obligations envers les comtes de Nassau, de qui il avait reçu pour 1.200 deniers Heller de "parchemin juif" encore impayés. Ce parchemin était sans doute destiné aux rouleaux de la Loi (51). Mais nous ne savons pas si Aron était simple copiste ou s'il revendait le parchemin.
Les Juifs de Strasbourg étaient, d'autre part, propriétaires fonciers. Un d'eux, Enzelin (Anselme), vendit, en 1313, une maison avec dépendances, dont il avait hérité dans la Hasengasse, à un ecclésiastique, moyennant une rente perpétuelle (52). Un autre, Clawes de Katzenhausen, reçut, en 1315, du couvent des sœurs de Ste-Agnès, pour lui et pour sa femme, une ferme en héritage contre paiement d'une rente annuelle de quatre onces (53).
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