Vendredi 3 août 1962


OU EN EST L'ACCUEIL DE NOS FRERES REPLIES A STRASBOURG ?

Si le temps des vacances est arrivé pour les uns et pour les autres, le Centre d'Accueil de nos frères d'Algérie et ses vastes ramifications ne connaît aucun répit dans ses multiples et importantes activités. C'est une organisation complexe mais bien rodée qui est maintenant en place à Strasbourg et dans le Bas-Rhin: elle fonctionne sans relâche, orientée par des responsables compétents et vigilants, actionnée par des équipes bénévoles dévouées et efficaces, inspirée par un esprit de générosité chaleureuse et clairvoyante.

Au centre de cette organisation ... eh bien, le Centre d'Accueil proprement dit, c'est-à-dire le Centre Communautaire de la Paix, métamorphosé en lieu de refuge provisoire d'une centaine de nos frères du Sud algérien, qui y ont retrouvé le goût de la vie, l'espoir d'une sécurité, la fraternelle présence du rythme religieux d'une Communauté. Rien de plus émouvant que leurs réunions de prières, leurs préparatifs du Chabbat, la joie sereine des dernières heures du vendredi et des vingt-quatre heures de la journée sainte. L'Office du rite sefarad, instauré depuis l'an dernier par notre Communauté, s'en est trouvé soudain amplifié et intensifié et constitue d'ores et déjà un nouvel élément précieux de notre vie communautaire.

Mais c'est dans ce Centre aussi, comme dans une ruche en pleine activité, que se situent les points névralgiques du plan d'Accueil les services sociaux, qui préparent et réalisent le relogement, la réinstallation, la réadaptation; les services médicaux, qui dépistent et guérissent; les services du vestiaire, des repas, qui se prennent d'ailleurs à l'ORT; les services de liaison, qui établissent les communications constantes avec les familles déjà relogées dans certaines campagnes du Bas-Rhin ; le service des enfants isolés, oui, vous vous en souvenez, n'est-ce pas, de ces 200 enfants, que le dévouement des familles alsaciennes avait permis d'accueillir dès le mois de juin, avant que ne se déclenche l'exode irréversible. Mais où sont-ils maintenant, ces enfants, que des parents, encore marqués par la tourmente, viennent fugitivement embrasser au Centre d'Accueil, avant de repartir à la recherche d'un refuge définitif quelque part en France?

L'Aumônier de la jeunesse juive le sait : depuis son P.C. de la Colonie Urbaine, installée au Foyer des Jeunes Gens, il domine et anime les colonies du Pré-Renard, celles de Haguenau, celle de Soultz, montées, dirigées, encadrées, avec un talent admirable, par des équipes de directeurs, de moniteurs, d'intendants, de personnel ménager, dont le dévouement fait miracles, par des équipes aussi d'instituteurs, de professeurs, de psychologues, qui, déjà, orientent les enfants vers une prochaine scolarisation. Quelle somme d'énergie dans cette entreprise, qui ne se contente pas de procurer en surface - ce qui serait déjà énorme - à des centaines d'enfants des journées de détente et de joie, mais qui agit en profondeur en vue d'une réconciliation de toute leur personne avec une existence équilibrée et sereine !

Telles sont quelques-unes des lignes directrices de l'Accueil dans le Bas-Rhin: elles ont leur prolongement dans le Haut-Rhin, dans là Moselle, à Lunéville, à Besançon, où le travail qui s'accomplit à Strasbourg sert de stimulant et d'exemple. De quoi être fiers, n'est-ce pas ?

Certes, mais cette fierté doit s'accompagner d'une singulière modestie. Sans doute,, la Communauté de Strasbourg a-t-elle su dans une large mesure faire face aux difficultés qui l'ont assaillie. Mais avez-vous compris combien ces difficultés sont minimes, mesurées à celles qui ont assailli Marseille, Lyon, Toulouse ou Paris ? Avonsnous de quoi nous rengorger d'avoir su accueillir à peu près convenablement 150 familles et 200 enfants isolés, alors qu'ailleurs c'est par 5.000 ou 10.000 que les nouveaux arrivants se présentent et cherchent éperdument amitié et soutien fraternel ?

Si nous voulons mériter une fierté justifiée, il nous faudrait pouvoir tendre la main à ces communautés surpeuplées et leur proposer d'accueillir chez nous plus de familles et d'enfants.

Mais sommes-nous capables de le faire ?

Si Strasbourg pouvait répondre à une pareille question par l'affirmative, alors, sans doute, notre fierté aurait-elle quelque motif d'être légitime. Mais nous sommes loin d'en être là. Un grand effort, certes, a été réalisé par notre Communauté, mais cet effort exige une inlassable persévérance et une amplitude croissante.

Au sein de cette entreprise d'entr'aide généreuse et d'accueil fraternel, avez-vous mesuré avec une franchise lucide la part exacte qui nous revient ? Des bénévoles sont venus des quatre coins de la France et même de Suisse, sacrifiant une partie ou la totalité de leurs vacances, pour prêter leur concours à l'Accueil. Pourquoi ne feriez-vous pas le bilan sincère de votre propre sacrifice ?

Et puis, l'orage gronde encore en Algérie, les repliés continuent de s'amasser en grappes à Marseille, à Lyon, à Paris. Tant de choses pourraient être faites encore, devront être faites encore, qui exigeront des moyens multipliés. Il est temps d'établir sans complaisance le bilan de votre participation effective à l'Accueil, à la Collecte, à l'oeuvre de longue haleine qui va se poursuivre sans désemparer, et dont la réussite seule sera le gage du mérite que se sera acquis notre Communauté à l'avant-garde pionnière des Communautés de France.

Professeur André NEHER.