Page de Pierre Dac

Dans certain village d'Alsace
Il y avait, faisant bonn' cher'
Un mendigot, mais sans besace
De ceux que l'on nomme schnorrers ;
Il s'applait, si j'ai bonn' mémoire,
Lehmann ou quelque chos' comm' ça,
Descendant, le fait est notoire,
Du peuple élu par Jéovah ;

Ses affaires étaient prospères
Et un collègue émerveillé
Lui dit un jour : « Mon cher confrère,
Comment fais-tu pour tant gagner ?
- Bah ! fit Lehmann ; la chose est claire,
Je vais, pourquoi te le cacher ?
Chez tous mes coreligionnaires
Qui ne peuv'nt rien me refuser.
- Ne pouvais-je donc, car c'est facile,
En faire autant, dit l' mendigot ?
- Pour toi c'est chos' plus difficile
Répondit Lehmann, tout de go,
Car tu n'es point, c'est là le vice,
Fils d'Israël, enfant de Sion,
Mais je veux te rendre service,
Ecout' mes recommandations.

« Tu vas aller chez un notable,
Chez Bloch Mayer, le marchand d' ch'vaux
Qui, à cette heur' doit être à table,
Et tu lui tir'ras ton chapeau,
Il te demand'ra tout de suite,
Il ne faut point t'en étonner,
Si tu es de souche israëlite,
Tu diras oui, sans hésiter;

Et si, d'aventure, il arrive
Qu'il te pos' diverses questions,
Réponds de manière évasive,
Mais surtout fais bien attention,
Il te d'mand'ra, c'est sa manie,
Que tu veuilles bien lui montrer
La ceinture aux franges bénie,
Que tout Israëlite doit porter ;

Réponds de façon très normale,
En ayant soin de t'excuser,
Que comme elle était un peu sale,
Tu l'as portée au teinturier. »
Le mendigot s'en fut, rapide,
Jusque chez monsieur Bloch-Mayer,
Et lui demanda des subsides,
En le saluant jusqu'à terr' ;

M. Mayer, chose prévue,
Lui posa d'un air ambigu
Des questions auxquell's sans bévue,
Il répondit du mieux qu'il put ;
Alors, pour terminer l'épreuve.
M. Mayer dit : « Mon ami,
Montrez-moi donc, ça c'est un' preuve,
La... chos' qu'on vous a circoncis. »

Le mendigot devint tout pâle,
Et répondit ce s'rait d' grand coeur ,
Mais comme elle était un peu sale,
Je l'ai portée chez 1' dégraisseur !