La biographie d'André ISAAC alias
Pierre Dac mérite une place de choix dans ce site. Un souvenir qu'il
importe d'entretenir. En 1943 il devient au micro de la BBC à Londres
un des "Français qui parlent aux Français". Ceux qui
sont encore de ce monde se souviennent que tous les soirs pendant neuf mois,
dans la plus grande des clandestinités, ils dressaient l'oreille à
ses éditoriaux et ses chansons. L'humour loufoque de ses polémiques
visant à combattre l'occupant a su remonter le moral de ceux qui tremblaient
sous la botte brune et qui attendaient avec impatience leurs libérateurs.
Pierre Dac est né le 15 août 1893 à Châlons-sur-Marne.
Il hérite de son père boucher une forme nouvelle d'humour. Cette
vocation fera de lui un chansonnier, qu'on baptisera d'un nom nouveau :
le Roi des Loufoques. Terme en effet peu
répandu à ce moment. Dans les cabarets parisiens, la Lune Rousse,
le Caveau de la République, le Coucou ou les Noctambules, il tourne
en dérision les situations ridicules de la vie de tous les jours. Il
sait à merveille en "louchèbem" (langage des bouchers)
jongler avec les mots et les calembours.
La parodie de Phèdre dont il est l'auteur va devenir un grand succès de music-hall. Voici la scène finale de cette oeuvre : | |
PHÈDRE
Ben, c'est pas étonnant, j'ai c't'Hippolyt' dans l'nez ! Je veux dans le trépas noyer tant d'infamie Qu'on me donn' du poison pour abréger ma vie ! SINUSITE Duquel que vous voulez, d'l'ordinaire ou du bon? PHÈDRE Du gros voyons, du roug', celui qui fait des ronds. Qu'est-c'que vous avez donc à m'bigler d'vos prunelles ? Écartez-vous de moi ! (A Hippolyte) Toi, viens ici, flanelle. Exauce un voeu suprême sans trahir ta foi, Viens trinquer avec moi pour la dernière fois. (Les servantes apportent deux bols.) À la tienne érotique sablonneux et casse pas le bol ! (Elle boit) Ô Dieu que ça me brûl', mais c'est du vitriol! HIPPOLYTE boit Divinités du Styx, je succombe invaincu Le désespoir au coeur... PHÈDRE Et moi le feu au |
Le 13 mai 1938 il crée le journal satirique
L'OS À MOELLE, présenté comme "l'organe officiel des loufoques". Jusqu'au 31 mai 1940, date de l'entrée des Allemands dans Paris, Pierre Dac va réaliser quatre grandes pages diffusées, chaque vendredi, à quatre cent mille exemplaires, dans les familles, les cours de lycée et les casernes. Un record absolu dans l'histoire de la presse d'avant-guerre ! Une aventure qui débute par un éditorial désormais historique, sobrement intitulé : Pourquoi je crée un journal. On y lit notamment :
"Au temps des Gaulois, le fameux gui qu'adoraient ces derniers n'était autre que l'os à moelle qui, à l'époque, n'était pas encore passé du règne végétal au règne minéral: les campagnes celtes verdissaient à l'ombre des ossamoelliers, au pied desquels les comiques en vogue chantaient leurs plus désopilants refrains dont l'un des plus célèbres : Le druide a perdu son dolmen, est parvenu jusqu'à nous.
Au cours des siècles, l'Os à moelle subit de nombreuses métamorphoses et même une éclipse totale sous la Révolution française: aujourd'hui, nous assistons à son apothéose et à sa cristallisation définitive sous la forme du présent journal.
Voilà pourquoi, amis lecteurs, nous avons choisi ce titre: L'Os à moelle! Nous tâcherons de nous en montrer dignes et de le maintenir sur le chemin du sourire et de la saine plaisanterie; nous éviterons évidemment toute bifurcation politique, car nous voulons bien être loufoques mais pas fous."
Il
devient aussi un familier des ondes. Ses nombreux sketches sont diffusés
sur Radio-Cité et plus tard sur le Poste Parisien. Ce n'est pas sans
difficultés qu'il pourra rejoindre de Gaulle et la BBC. Avant d'atteindre
ce but qu'il s'est fixé après avoir entendu l'appel du 18 juin,
il connaîtra de multiples incarcérations et évasions.
Son échec après la traversée des Pyrénées
lui fera dire : "Si Louis XIV se les étaient farcies comme
moi, il n'aurait jamais dit : il n'y a plus de Pyrénées."
Au juge qui lui demande pourquoi il a voulu quitter la France il réplique ;
"En France, il y avait deux personnages célèbres, le Maréchal
Pétain et moi. La nation ayant choisi le premier, je n'ai plus rien
à faire ici."
A radio Londres, en juin 1944, il attaque violemment Philippe Henriot
"Bagatelle pour un tombeau" reste un modèle du genre (lire
le texte intégral). C'est une épitaphe prophétique prononcé
quinze jours avant que Philippe Henriot soit abattu par la Résistance.
Pierre Dac a sa part dans la victoire remportée sur la peste brune :
Revenu de retour de Londres en 1946, après un passage par les Forces
Françaises Libres comme correspondant de guerre, de pierre Dac crée
L'Os Libre qui n'obtient pas le succès escompté. Les
temps ont changé, l'humour loufoque semble faire partie du passé...
Bibliographie : Pierre Dac, Dico
franco-loufoque, réalisé par Jacques Pessis, Librio
1999