Un conte de Hanouka
Un souvenir de guerre
extrait des Bulletins de nos communautés

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"Tiens! Que faites-vous donc, mon vieux, à fixer le ciel par ce froid infernal ! Vous redoutez l'attaque aérienne de notre bonne ambulance ?"
Le jeune médecin militaire ainsi interpellé salua son supérieur.
"Certes non, je ne redoute rien. Mais j'ai découvert une chose fort étrange qui prête à réflexion.
- Vraiment !? Et que se passe-t-il d'étrange dans ce patelin perdu où le sort nous a jetés ?
L'autre étendit le bras.
- C'est dans cette maisonnette, sur le versant de la pente. Voici trois fois que chaque soir, à pareille heure. je constate à l'une de ses fenêtres des points lumineux tout à fait insolites. Avant-hier, il y en avait deux. Hier, trois. Aujourd'hui, maintenant, il y en a quatre. La maisonnette est surélevée : la fenêtre se voit de loin...
- Et alors?
- Alors.., j'ai, pensé qu'il pouvait y avoir là-dessous des signaux !
- Ah bah! Nous sommes à quarante kilomètres du front!
- Oui. Mais il serait facile de les capter et de les retransmettre à destination.
- C'est juste. Voyons cela de plus près.

Les deux médecins gravirent la pente; assez péniblement, car leurs pas glissaient sur la neige dure.
Les fenêtres de la maisonnette étaient closes, sauf une, derrière laquelle s'apercevait distinctement, posé en évidence sur le rebord, un chandelier à branches garnies de petites bougies à moitié consumées.
La chose était étrange, en effet.
A l'intérieur de la pauvre chambre, une femme et quelques enfants prenaient leur repas.
Le supérieur se dirigea vers la porte. Ployant sa haute taille, il allait l'ouvrir quand il remarqua une capsule de fer blanc fixé au poteau.
Il s'arrêta et y passa la main.
Son silence se prolongeait.
Finalement, il se retourna vivement.
"Venez !"
La cigarette qu'il avait aux lèvres s'était éteinte. Il la jeta, l'écrasa machinalement sous la pointe de sa botte et en alluma une autre. A la faible lueur du briquet, la pâleur de son visage frappa son compagnon.
"Venez seulement. Ce ne sont pas des espions. D'ailleurs, il est trop tard pour enquêter. Savez-vous quoi? Nous reviendrons demain à la même heure. II y aura cinq lumières et je vous dirai ce dont il s'agit."

Dans la nuit, ils rebroussèrent chemin et se dirigèrent vers le mess des officiers. Le jeune homme ne discontinuait pas de s'étonner du silence de son aîné.
Le lendemain, il se présenta à la nuit tombante et le trouva prêt à sortir. Le village était plongé dans l'obscurité. Seul le bruit du sabot d'un cheval animait parfois les rues glaciales.
La fenêtre de la maisonnette en question avait à nouveau les volets ouverts.
On distinguait à merveille ce qui se passait à l'intérieur. La femme, bien jeune encore, deux fillettes et un garçonnet, se tenaient près de la table. Le garçonnet avait à la main une petite bougie allumée. Prononçant quelques mots à haute voix, il alluma les quatre bougies du chandelier, y ajouta la sienne et se mit à chanter une chanson à plusieurs strophes dont la mélodie singulièrement enthousiasmée parvenait aux oreilles des observateurs. Les petites et la mère faisaient chœur. La chanson terminée, la mère saisit le chandelier et le plaça sur le rebord de la fenêtre. Les cinq flammes minces se reflétaient finement sur la neige. Là-dessus, comme la veille, tous se mirent à table.

C'est à ce moment que l'officier poussa la porte qui n'était pas verrouillée. Quelques secondes après, le couloir sombre s'éclaira et la jeune femme parut sur le seuil de la chambre. A la vue des uniformes, elle recula effrayée.
"Ne craignez rien, Madame, dit le supérieur. Nous venons de passer par hasard et vos petites lumières nous ont intrigués. Vous tenez absolument à nous attirer des avions ?
- Excusez-nous, Monsieur le Médecin-Chef...
- Vous me connaissez ?
- Je repasse parfois pour l'ambulance.
- Ah ? C'est très bien. Où est votre mari ?
- Dans les Ardennes depuis trois ans. II est soldat au génie. Il faut nous pardonner, Monsieur. Nous sommes Juifs et fêtons notre fête qui s'appelle Hanouka. Il nous est prescrit d'allumer chaque soir les lumières.
- Vous avez raison d'observer votre religion. Mais puisque vos lumières sont si près de la fenêtre, vous devriez fermer les volets, Madame. On pourrait vous soupçonner d'espionnage.
- D'espionnage ! Mon Dieu! Si nous les plaçons près de la fenêtre, c'est uniquement pour attirer l'attention du coreligionnaire qui viendrait à passer. J'aurais dû me dire évidemment qu'en temps de guerre, il n'en viendrait pas à passer devant chez nous.
- Vous croyez? Hm! On ne peut jamais savoir. Allons! La chose est nette à présent. Bonsoir, Madame."


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