Les deux médecins gravirent la pente;
assez péniblement, car leurs pas glissaient sur la neige dure.
Les fenêtres de la
maisonnette étaient closes, sauf une, derrière laquelle s'apercevait
distinctement, posé en évidence sur le rebord, un chandelier à
branches garnies de petites bougies à moitié consumées.
La chose était étrange,
en effet.
A l'intérieur
de la pauvre chambre, une femme et quelques enfants prenaient leur repas.
Le supérieur se dirigea
vers la porte. Ployant sa haute taille, il allait l'ouvrir quand il remarqua
une capsule de fer blanc fixé au poteau.
Il s'arrêta et
y passa la main.
Son silence se prolongeait.
Finalement, il se retourna vivement.
"Venez !"
La cigarette qu'il
avait aux lèvres s'était éteinte. Il la jeta, l'écrasa
machinalement sous la pointe de sa botte et en alluma une autre. A la faible
lueur du briquet, la pâleur de son visage frappa son compagnon.
"Venez seulement. Ce
ne sont pas des espions. D'ailleurs, il est trop tard pour enquêter.
Savez-vous quoi? Nous reviendrons demain à la même heure. II y aura
cinq lumières et je vous dirai ce dont il s'agit."
Dans la nuit, ils rebroussèrent chemin
et se dirigèrent vers le mess des officiers. Le jeune homme ne discontinuait
pas de s'étonner du silence de son aîné.
Le lendemain, il se présenta
à la nuit tombante et le trouva prêt à sortir. Le village était
plongé dans l'obscurité. Seul le bruit du sabot d'un cheval
animait parfois les rues glaciales.
La fenêtre de la maisonnette
en question avait à nouveau les volets ouverts.
On distinguait à merveille
ce qui se passait à l'intérieur. La femme, bien jeune encore,
deux fillettes et un garçonnet, se tenaient près de la table. Le
garçonnet avait à la main une petite bougie allumée. Prononçant
quelques mots à haute voix, il alluma les quatre bougies du chandelier,
y ajouta la sienne et se mit à chanter une chanson à plusieurs strophes
dont la mélodie singulièrement enthousiasmée parvenait
aux oreilles des observateurs. Les petites et la mère faisaient chur. La chanson terminée, la mère saisit le chandelier et le plaça
sur le rebord de la fenêtre. Les cinq flammes minces se reflétaient
finement sur la neige. Là-dessus, comme la veille, tous se mirent à
table.
C'est à ce moment que l'officier poussa la
porte qui n'était pas verrouillée. Quelques secondes après,
le couloir sombre s'éclaira et la jeune femme parut sur le seuil
de la chambre. A la vue des uniformes, elle recula effrayée.
"Ne craignez rien,
Madame, dit le supérieur. Nous venons de passer par hasard et vos petites
lumières nous ont intrigués. Vous tenez absolument à nous attirer
des avions ?
- Excusez-nous, Monsieur
le Médecin-Chef...
- Vous me connaissez ?
- Je repasse parfois pour
l'ambulance.
- Ah ? C'est très bien. Où est votre mari ?
- Dans les Ardennes depuis
trois ans. II est soldat au génie. Il faut nous pardonner, Monsieur. Nous
sommes Juifs et fêtons notre fête qui s'appelle Hanouka. Il
nous est prescrit d'allumer chaque soir les lumières.
- Vous avez raison d'observer
votre religion. Mais puisque vos lumières sont si près de la fenêtre,
vous devriez fermer les volets, Madame. On pourrait vous soupçonner d'espionnage.
- D'espionnage ! Mon
Dieu! Si nous les plaçons près de la fenêtre, c'est uniquement
pour attirer l'attention du coreligionnaire qui viendrait à passer.
J'aurais dû me dire évidemment qu'en temps de guerre, il
n'en viendrait pas à passer devant chez nous.
- Vous croyez? Hm! On ne
peut jamais savoir. Allons! La chose est nette à présent. Bonsoir,
Madame."