BRIOUDE 1943

En janvier 1943, je partis me « planquer » au Collège de Brioude, petite sous-préfecture au Nord du département de la Haute Loire, grâce à l'intervention de l'Inspecteur d'Académie Henri Besseige.

Vieux collège, décrépi, des barreaux aux fenêtres, que nous partagions avec les pensionnaires du collège agricole (au niveau intellectuel très...faible).
Confort très sommaire : grand dortoir, le surveillant dormant au fond, son lit entouré de rideaux blancs. Douches et lavabos communs. W.C. extérieurs et glaciaux en hiver (W.C. à la turque).

Mon professeur de lettres, Henri Baudel, était - en même temps - mon commissaire local EDF (j'étais, alors, le chef de troupe) et il m'arrivait, lorsque le professeur réclamait un devoir à rendre de lui dire : «ou tu veux mon devoir ou tu veux que j'assume la sortie de la troupe ce dimanche ».

Et à la rentrée d'octobre 1943 j'entrais en philo (on dit, maintenant «Terminale ») Pour la première fois, j'eus une classe mixte.

Durant mon séjour - d'une année à Brioude - j'eus la chance d'être reçu, à Vieille-Brioude, dans une famille patriotique, M. et Mme de Hody et leurs filles (M. de Hody, qui avait rang de Préfet, n'exerçait pas étant donné les conditions politiques du moment). Je me souviens qu'un jour, M. de Hody me pria d'écrire pour lui - de la main gauche et gantée - une lettre anonyme à un collaborateur particulièrement agressif.

Nous allions à vélo nous baigner dans l'Allier à Vieille-Brioude, au pied d'un rocher de 13,50 m d'où nous plongions.

Grâce à un paysan de Largelier de Cohade, gendre d'un petit client de papa d'Arlanc. je pouvais améliorer mon triste ordinaire (rutabagas, topinambours) d'un peu de saucisson et de fromage. En effet, les conditions de vie au collège étaient fort peu reluisantes.

Il nous fallut, même, dans le cadre du collège, ramasser des pommes de terre et des topinambours. Et comme il faisait très froid, je dus ramasser des pommes de terre dans la boue gluante revêtu de mon pardessus marine !

A propos de pommes de terre : les Allemands, gros mangeurs de cette tubercule, dévalisaient la France de tous ses produits, notamment de pommes de terre. Par dérision, alors, ils furent nommés : les doryphores.

Nous eûmes aussi, en tant qu'élèves de philo. et de maths. élem., l'obligation d'assurer un service de garde-voies. Cela consistait à patrouiller, de nuit, le long de la voie ferrée pour la surveiller, les autorités craignant le sabotage des voies par le maquis.

A ce propos : j'allais, parfois, passer le week-end au Puy en train depuis Brioude (et en enregistrant mon précieux vélo, indispensable, vous le savez). Une fois j'ai pris le train alors que je savais pertinemment qu'il n'arriverait pas à destination, mes amis devant faire sauter la voie ferrée avant le passage du train. Mais je ne pouvais pas ne pas prendre le train ; sinon «on » se serait étonné que je connaisse, d'avance, le sabotage.

Paulhac

Ayant de nouveau raté mon premier bac - j'avais plutôt des armes que des livres dans ma table de nuit au dortoir! - je dus suivre des cours de rattrapage avec le bon Abbé Gagne de Mourgues, Curé de Paulhac et ancien précepteur des enfants de la Duchesse d'Uzès (c'était la première dame de France avant le retour vers 1946, de la famille prétendant au trône de France).

J'habitais à Paulhac chez la Julie dans une belle maison - face au château de la Marquise de Miramont, fille de Ferdinand de Lesseps - (oui, celui du canal de Suez). Mais sans aucune commodité (j'avais, pour cela, le petit bois voisin...).
La vieille Julie, fille-mère (à l'époque « cela » ne se faisait pas), de mère en fille depuis trois générations, avait donc trois magnifiques trousseaux et mes draps de lit étaient superbes.
Elle me gâtait en nourriture - chose rare en cette période - et je me souviens d'un jour où j'eus trois pigeons rôtis.

L'Abbé Gagne était un puits de sciences, rempli de vin à ras-bord, et il lui arrivait de monter à quatre pattes à son presbytère, en soutane évidemment, comme l'étaient, alors, tous les prêtres. Grâce à lui, je passais, enfin, mon premier bac.

Lui seul savait que j'étais juif. Et je lui ai demandé, pour le Kippour que je passais là haut, d'honorer mon repas d'avant jeûne de sa présence. Du fait de l'heure d'été « allemande » (deux heures sur le soleil) il vint prendre son repas avec moi dès 16 heures ou 16 heures 30. Et la vieille Julie n'a sûrement jamais compris pourquoi, la seule fois où sa demeure fut honorée par la prise d'un repas par le Curé, ce fut de si bonne heure.

Largelier de Cohade

Ce fut, ce même été 1943 avant d'aller à Paulhac, que je dus passer environ un mois dans la ferme de Largelier de Cohade et découvris, alors, de plus près, le monde paysan. Là aussi, dans cette belle ferme, les besoins se faisaient dans l'étable, entre les vaches.

Lors des repas, les femmes - dont la patronne elle-même - servaient les hommes assis, elles restant debout.
La patronne avait des jambes « comme des tuyaux de poêle » pas aussi grosses mais aussi noires (de saleté).

J'ai alors participé à la grande « cérémonie » du battage, la machine à battre le blé se déplaçant de ferme en ferme. Cela représentait beaucoup de travail, tout le monde venait de toutes les fermes et cela se terminait par de la mangeaille et des beuveries.

ST CHAMOND - 1944

Fin 1943, nous eûmes nos faux papiers. A ce sujet, une anecdote : je n'ai plus pu sortir avec ma soeur Claudine car j'avais été « rajeuni » d'un an, ce qui mettait ma date de naissance au 5 février 1926 alors que Claudine en était restée à sa vraie date 9 avril 1926. Des «jumeaux» à retardement. cela n'aurait pas manqué d'éveiller la curiosité lors des nombreux barrages, notamment à l'entrée du Puy !

Afin que je sois en règle, c'est mon père qui apposa sur les vrais papiers la mention «juif» - ce que j'avais omis de faire faire règlementairement.

Et cela sentait un peu « le roussi » pour moi à Brioude ! Aussi, sur la recommandation du R.P. Pinson (oui, celui de la voiture «volée») je pus aller me planquer chez les Pères Maristes à l'Institution Ste Marie à St Chamond (Loire).
Notons que les Maristes et les Jésuites ne s'entendent guère, mais que le R.P. Pinson, Jésuite, et le R.P. Adrien, le Supérieur Mariste, ont balayé ces contingences pour moi.

J'ai fait, à Ste Marie, ma philo, de janvier à juin 1944 avec des professeurs éminents dont, surtout, mon prof de philo. le R.P. Yves Magnin.
Je suis resté très proche du Père Magnin - qui me disait : « Jean: il faut que tu sois plus juif » - à tel point qu'il m'adressa, peu avant sa mort en 1976. une lettre de 10 pages, son véritable testament spirituel.

A « St Cha » aussi, dortoir, lavabos communs...

Sauf durant une courte période durant laquelle un Bernard Lyon-Caen fut au collège, j'y fus le seul juif.
Et tous, les 300 à 400 prêtres et élèves le savaient... et ne m'ont pas dénoncé.
Durant la messe matinale, j'allais en étude et mes camarades m'appelaient, ensuite, pour me signaler qu'il était temps d'aller au réfectoire pour le petit déjeuner.

Ah ! le petit déjeuner je m'en souviens : une soupe, plutôt un brouet sentant le poireau et agrémenté d'une lecture dite en chaire par un prêtre
Etant en philo, j'étais au premier rang au réfectoire et tous pouvaient constater que je ne faisais pas le signe de croix.

J'allais, parfois, passer le week-end au Puy. Pour ce faire, et afin d'éviter les contrôles en gare de St Etienne, je parcourais, en vélo évidemment, toute la vallée jusqu'au-delà de la ville de St Etienne, et ne prenais, qu'alors, le train.

Du fait que cette région était très industrielle, il y eut de nombreux bombardements, surtout sur les aciéries de la Marine de St Chamond.
Au début, nous quittions le dortoir pour nous planquer dans des tranchées.
Par la suite, nous avions compris que, si les Américains bombardaient de jour, à très haute altitude, les bombardements de nuit étaient assurés avec précision par les Anglais, à basse altitude, donc moins de risques pour les civils.
Une fois, j'ai traversé St Etienne dont des immeubles effondrés fumaient encore après un bombardement.

Outre mes études de philo, avec d'excellents profs, des Pères, tous en soutane, j'ai fait de l'escrime. Malheureusement, dans peu de temps, j'abandonnerai le fleuret pour le fusil.

CEYSSAC - 1944

En 1944 - alors que j'étais à St Chamond - mes parents et mes soeurs ont quitté notre appartement de la maison Tollemer à la Renaissance, se sachant recherchés par la Gestapo : ma famille avait « l'honneur » d'être en première position sur la liste de la Gestapo.

Ils trouvèrent refuge dans une maisonnette de jardin, sur la hauteur, à Ceyssac (environ 8 kms du Puy). Cette maisonnette comprenait une chambre minuscule (il y avait le lit de mes parents plus un lit pour mes deux soeurs. Et lorsque, parfois, je devais y loger, je couchais par terre, les jambes à moitié sous le lit de mes parents) et une cuisinette - si étroite que l'on ne pouvait y écarter les bras -. Oui, vous avez bien lu : ni salle de bain, ni douche, ni W.C.
Pour le W.C. fut construite une cabane en bois - au-dessus d'une vaste fosse d'aisance, au fond du jardin -.

II n'y avait pas d'eau courante mais de l'eau « marchante » : je m'explique : munis de deux arrosoirs nous allions, grâce à une mince planche, à tour de rôle, les remplir au jet d'eau situé au milieu d'un bassin chez un voisin à quelques centaines de mètres de chez nous. Et la douche : l'un arrosait l'autre avec l'arrosoir... dans le jardin.

La tarte aux myrtilles :

Vers le mois de juin 1944: vacances scolaires. Je suis donc revenu au Puy mais il eut été dangereux - et même matériellement impossible - que je demeure à Ceyssac avec mes parents.

Aussi, suis-je vaillamment parti en vélo (il n'y avait pas d'autres moyens de transport) pour rejoindre une ferme isolée, dans la montagne. Cela montait fort lorsque - ô miracle - ma chaîne cassa. Oui, ô miracle ! Car la nuit même cette ferme, lieu de Résistance, fut incendiée par les Allemands et leurs occupants arrêtés. Le lendemain, faisant réparer mon vélo à la Renaissance, je fis une visite à oncle Simon et tante Berthe qui m'offrirent de la tarte toute fraîche aux mirabelles. Ils me demandèrent d'attendre la belle tarte aux myrtilles encore au four. Heureusement, j'ai décliné l'offre... car les Feld Gendarmes sont arrivés avant la tarte.

Ils arrêtèrent mon oncle et ma tante. Aux Feld Gendarmes qui le harcelaient « schnell, schnell, vite » oncle Simon répondit en allemand « Doucement, j'ai été sous-officier prussien avant vous (oui, durant la guerre 1914-1918, il servit sur le front russe dans l'Armée Impériale de Guillaume II),

Les Allemands arrêtèrent de nombreux juifs ce jour-là. Aucun des jeunes arrêtés ne revint après guerre.

Ils arrêtèrent également ma grand-mère, dans le même quartier. Aux Feld Gendarmes qui la harcelaient également de leur «schnell, schnell » elle répondit : « un instant, laissez-moi mettre mon chapeau» (une dame, à l'époque, ne sortait pas « en cheveux »).

Ici, un petit rappel : vous vous souvenez d'Else, la gouvernante de mon arrière grand-père Alphonse.
En 1939, en tant qu'Allemande, elle fut internée par les autorités françaises à Gurs (Pyrénées Atlantiques) et libérée en 1940. Elle se réfugia chez la fille de son ancien patron, ma grand-mère.
Dès l'arrestation de grand-mère, Else se rendit au siège de la Kommandantur, voir le Major Schmelling auquel elle exposa que l'on ne pouvait pas arrêter Madame, que cela ne convenait pas à Madame d'être enfermée dans ces conditions... et Madame fut relâchée.

Valet de ferme

Les risques d'arrestation se précisant, mes parents me placèrent alors, en tant que valet de ferme, chez des paysans. D'abord chez un couple qui en était au niveau du mode de vie et de leur évolution, au stade du pithécanthrope.

Puis chez une gentille vieille dame. Mon « collègue » de travail logeait dans l'étable, avec les vaches et, tous les samedis, était ramassé, fin saoul, dans les caniveaux, ayant bu en une soirée sa paie de la semaine. Pour ma part, je logeais dans une construction neuve et m'étais même aménagé un coin que je fleurissais de fleurs des champs.

J'étais fier de moi car mon travail payait et mon logement et ma nourriture et je n'étais plus à la charge de mes parents.
J'ai su, ainsi, conduire une charrette attelée de deux vaches avant de savoir conduire une automobile. Et il me fallait faire attention qu'elle ne verse pas lorsque les vaches - ah ! les vaches ! - tentaient de prendre au plus court pour rentrer à l'étable (toute la région était très pentue).

J'ai aussi gardé vaches et chèvres en commandant au chien en patois auvergnat « VA LA QUERRE, LA VACCA, LA TZABRA » (Va la quérir, la vache, la chèvre)

Et c'est de cette ferme, également. que je descendais rapidement au Puy afin d'informer la Résistance du nombre de véhicules allemands qui montaient attaquer le maquis et que j'avais vu passer.
C'est à Ceyssac que nous avons vécu la libération (août 1944). Ce fut le soulagement et le bonheur.

Et je me souviens d'un concours de tartes entre ma mère et nos cousins André et Fanny Meyer (qui habitaient aussi à Ceyssac) et que nous, les hommes, arbitrions.

Je me souviens aussi d'André Meyer et de mon père distribuant des cigarettes, objets très rares à l'époque, aux Tartares qui montaient, désarmés, vers les maquis, fuyant ainsi l'armée allemande à laquelle ils avaient été incorporés lors des défaites soviétiques.

La France, résistante ou collabo :

Il convient, ici, d'apporter une précision à ce sujet.

Contrairement à de Gaulle, qui a réusi à faire croire que tous les français étaient résistants, il faut relever que seuls 3 à 5 % étaient résistants et qu'il y avait à peu près autant de collaborateurs. En fait, les français, soit plus de 90 %, étaient «je m'en fichiste» (cela rime: malgré tout, avec vichyste !), occupés qu'ils étaient avec les restrictions et leurs tickets d'alimentation. (vichystes : ceux qui « acceptaient » le gouvernement de l'Etat Français installé à Vichy par le Maréchal Pétain).

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