|
Renée Gaudefroy (dite Pauline) 1916-1944 |
Une assistante sociale Pauline Gaudefroy est venue me chercher pour me conduire à La Souterraine, à une centaine de kilomètres, dans un internat où étaient cachés sous de faux noms des enfants juifs dont les parents avaient été arrêtés ou qui avaient déjà disparu. C'est sous le nom de Henri Hochet que je fus admis, et c'est là que j'ai rencontré Jean-Georges Halin ; j'apprendrai bien plus tard que son vrai nom était J-G. Kahn.
Georges Garel et le Dr. Joseph Weill avaient créé un réseau pour faire passer des centaines d'enfants juifs dans des refuges clandestins. Pour Jean-Georges et moi, notre destination fut La Souterraine, petite ville de la Creuse. Là se trouvaient deux grands collèges laïques, un pour les filles et l'autre pour les garçons. Comme moi, Jean-Georges fut conduit dans ce collège par Pauline Gaudefroy. De temps en temps elle nous apportait des nouvelles de nos parents.
La maman de Jean-Georges, qui elle aussi devait se cacher, finit par avoir une place de lingère au collège. Elle disposait d'un endroit où elle pouvait recevoir son fils, et améliorer sa nourriture. Elle me recevait moi aussi, ainsi que quelques autres enfants sans famille.
Nos conditions de vie étaient difficiles : nous étions logés dans d'énormes dortoirs, la nourriture et les vêtements étaient insuffisants. Comme chaussures nous avions des galoches en bois, et souffrions de froid et d'inconfort. Et les hivers étaient très rigoureux.
Certains de ces enfants cachés étaient dispensés de la messe, ce qui n'était pas le cas de Jean-Georges : parfois il était "enfant de chœur", et se rendait donc à l'église.
Les enfants juifs cachés à La Souterraine n'avaient aucun parent dans la région et ne sortaient donc jamais le dimanche, ce que les autres trouvaient bizarre. Mais, obéissant aux consignes, ils dissimulaient soigneusement leur véritable identité et n'en parlaient pas entre eux. Ce n'est que fin 1945 qu'ils purent dire la vérité.
Un jour, je commis une erreur qui aurait pu être fatale au groupe : je conservais toujours dans ma poche un petit livre de prières en hébreu. Un soir, pendant l'étude, je jetai un coup d'œil furtif sur le livre. Le moniteur de service le remarqua et voulut voir cet objet. Come je refusai de le lui montrer, il me traîna dans le bureau du directeur qui confisqua l'ouvrage sans explication. Le moniteur, un collaborateur notoire, disparut du collège.
Le directeur, M. Jean-Baptiste Robert, homme de cœur, reçut par la suite le titre de "Juste parmi les nations" à titre posthume. Jean-Georges et sa femme assistèrent à cette émouvante cérémonie, en compagnie de quelques autres anciens élèves.
Quant à Pauline Gaudefroy, elle fut arrêtée par des miliciens peu de temps avant la Libération. Elle mourut sous la torture, refusant de livrer la liste des enfants planqués par ses soins. En 1976, Jean-Georges et moi avons présenté à l'institut Yad Vashem de Jérusalem la demande d'inscription de Pauline dans le registre de "Justes parmi les nations", et nous avons planté un arbre en son souvenir.
Ce n'est qu'après la guerre que j'ai retrouvé Jean-Georges à l'école Maïmonide de Boulogne, dirigée par Markus Kohn. C'est là que j'ai appris qu'il s'appelait réalité J-G. Kahn. Nous étions tous deux internes et nous sommes d venus des amis. Il était passé par les mêmes difficultés et avait connu une vie semblable à la mienne. Cela avait créé une affinité qui ne s'est jamais démentie, et qui s'est poursuivie à Strasbourg, puis à Jérusalem, où il a pris le nom de Yohanan Cohen-Yashar.
Jean-Georges Kahn a évoqué en détail ces événements dans son ouvrage A la recherche de nos souvenirs d'enfance au temps de la Shoah (pp. 82-105).