Le régime de Vichy, dès son arrivée au pouvoir a transformé le pays en une immense prison. L’Etat français verse dans les camps, comme gage à une collaboration sincère avec l’ennemi héréditaire des dizaines de milliers de personnes et en particulier 85 000 juifs, soit 35% de la population juive de France.
Voici établie par le Dr Joseph Weill, une liste de cette quarantaine de camps de la honte où végétaient et subissaient toutes les humiliations, toutes les déchéances, toutes les souffrances, ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces vieillards pris dans leur lit, dans les hôpitaux, au travail, lors de rafles subites, à savoir : Argelès, Rivesaltes, Gurs, Barcarès, Brens, Rieucros, le Vernet, Septfonds, Saint-Hippolyte du Fort, les Milles, Bram, Agde, Récébédou, Noé, Sainte-Marthe, Clairfonds, Miramar, Bompard, Fréjus, les Monts, les Tourelles, Tonnerre, Saint-Maurice, Seignelay, Saint-Florentin, Vermenton, Reare-les-Touches, Drancy, Beaune-la-Rolande, Pithiviers, Nexon, Compiègne, Lirrus, Ligny-le-Châtel, Brienon ; ainsi qu’en Algérie : Boghari, Colomb-Bechar, Djelfa ; et au Maroc : Azemmour, Bou-Arfa, Oued-Zem, sur des bateaux en rade de Casablanca.
Le camp de Gurs
Au mois d’octobre 1940, l’administration du pays de Bade prit la mesure inattendue de transférer la population juive de Bade, du Palatinat et d’une partie du Wurtemberg, soit 7 500 personnes (malades, vieillards, femmes enceintes, nouveaux nés) en un seul convoi à Gurs. A Mannheim par exemple, les familles furent parquées dans les écoles, les salles sportives de la ville dans des conditions indescriptibles. La population fut évacuée dans quatre trains spéciaux puis, après un trajet difficile de 48 heures, les évacués furent débarqués à Oloron d’où des camions les amenèrent au camp de Gurs.
Trempés par la pluie, grelottant de froid, épuisés par le log voyage, ces infortunés furent poussés dans un désordre indescriptible dans des baraques vides, sans banc, sans paille ni paillasse ; elles mesuraient 25 mètres de long et 5 mètres de large et devaient abriter durant de longs mois 75 femmes ou 80 hommes selon les "fournées" successives. Pour les populations juives, cette déportation signifiait le début d’un calvaire qui se terminera pour beaucoup à Auschwitz. Et pour la France le nom de Gurs symbolise pour l’étranger le pacte avec le crime et une abdication des valeurs qui font la France.
Voici le résumé d’un rapport établi en juin 1941 par le Dr. Joseph Weill au nom du Comité de coordination pour l’assistance dans les camps : "L’absence d’installations hygiéniques élémentaires, l’insuffisance extrême de la protection sanitaire, la sous-alimentation, le dénuement vestimentaire extrême, le surpeuplement des baraques, la nervosité des habitants, le manque de chauffage, l’impossibilité d’assurer des soins de toilette, l’état lamentable des W.C., la désinfection rudimentaire, le fléau des rongeurs et des insectes, la menace de mort, les souffrances physiques et morales insurmontables ont créé une situation critique d’une gravité extrême".
Les œuvres d’entraide dans les camps
Le Comité de Coordination pour l'Assistance dans les Camps (Zone Sud)
D’octobre 1940 à mars 1943, jusqu’au moment où l’occupant a paralysé l’activité des œuvres de solidarité et de bienfaisance, le Comité de Coordination a tenu ses assises sans défaillance au moins une fois par mois à Nîmes (d’où son nom de Comité de Nîmes). Sous la Présidence de Mr D.M. LOWRIE, de l’Y.M.C.A. et du Pasteur TOUREILLE, ce comité établissait des statistiques exactes des internés, appuyait l’action des organisations qui en étaient membres. Il avait une connaissance des conditions de vie dans les camps et entreprenait de nombreuses démarches auprès des administrations responsables, multipliait ses protestations énergiques auprès de Vichy et tenait l’opinion internationale informée du scandale de ces véritables camps de concentration tout en concentrant ses efforts en vue d’améliorer la situation des internés.
Voici les organisations membres du Comité de Nîme : Action Catholique, Alliance Universelle des Unions Chrétiennes de Jeunes Gens, American Friends Service Commitee (AFSC – Quakers), American Friends of Czechoslovakia, American Joint Distribution Committee, Amitiés Chrétiennes, Aumônerie Générale Israélite, Centre d’Accueil aux Etrangers, Comité d’Assistance aux Réfugiés (CAR), Commission Centrale des Organisations Juives d’Assistance aux Réfugiés, Commission Centrale des Organisations Juives d’Assistance en France, Comité Inter-Mouvement auprès des Evacués (CIMADE), Comité Unitarien de Secours (USC), Croix-Rouge Américaine, Belge, Française et Polonaise, Fédération des Sociétés Juives de France, Fédération Protestante de France, Fonds Européen de Secours aux Etudiants (FESE), Hias-Jca Emigration Association (HICEM), Institut de Recherches d’Hygiène (Fondation Rockfeller), Relief Committee for Victims of War (Relico), Secours Suisse aux Enfants, Service Social d’Aide aux Emigrants (SSAE), Union ORT, Union OSE, Youg Men Christian Association (YMCA), Young Women Christian Association (YWCA), YMCA Polonaise.
Cinq grandes commissions présentaient ainsi régulièrement leurs travaux : Commission d’hygiène et aide à l’enfance et aux vieillards, Commission d’éducation, Commission de l’éducation professionnelle et artisanale, Commission de libération, Commission des travailleurs étrangers. Les séances débutaient en général par une présentation du rapport d’une autre commission celle des statistiques ou celui de la commission juridique. Le Comité n’avait aucune influence au niveau de la politique de persécution mais son action s’exerçait néanmoins pour l’amélioration des conditions meurtrières des camps. Il jouait aussi, en face de la conspiration du silence universel, le rôle d’une opinion publique en liaison avec l’extérieur ce qui a amené Vichy à le faire taire.
Drancy, la déportation
Depuis fin 1941, les occupants ont commencé les préparatifs pour épurer la France. Aucun détail n’est laissé au hasard : matériel roulant, composition des trains, équipement des déportés, indemnités à verser par les Français, le nombre de gendarmes de chaque convoi, la quantité de tickets de rationnement à céder etc … Afin de couper les ponts, on poussera les victimes dans un anonymat dépersonnalisé pour mieux déshumaniser les êtres avant de les conduire à l’abattoir. Au cours de l’été 1943, le programme de déportation des populations était terminé. Une fois les camps vidés, ce fut le camp de Drancy qui constituait la régulatrice de la mort organisée. Ceux qui arrivaient des camps du Midi avaient passé, en quelque sorte, par un stage préparatoire, mais leur angoisse, au lieu de se calmer pendant leur bref séjour à Drancy, s’alourdit de nouvelles craintes terribles puisque la destination appelée "Pitchipoï" hantait les esprits puisqu’il s’y accomplissait, selon la rumeur, l’inexprimable. C’est ainsi qu’au camp se développait une atmosphère austère d’implacable misère. Et ceux qui, pris lors de rafles chez eux ou dans la rue, projetés sans transition de leur liberté toute relative dans le cachot des condamnés à mort, sans avoir pris congé des leurs, comme l’exprime avec émotion le Dr Joseph WEILL, étaient si hébétés que déjà leur colonne s’ébranlait sous la bousculade de la soldatesque vers l’inconnu.