René
Hirschler est né le 8 octobre 1905 à Marseille, au foyer de M.
et Mme Raoul Hirschler, ministre officiant de la synagogue consistoriale de
Marseille.
Après de brillantes études au Séminaire israélite de France à Paris, René Hirschler est nommé rabbin de Mulhouse en 1929, à l'âge de 23 ans. Promu grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, il est solennellement investi en juin 1939 par son prédécesseur Isaïe Schwartz, élevé à la dignité de grand rabbin de France. Nommé après l'invasion allemande aumônier général des camps d'internement, il est arrêté à Marseille le 23 décembre 1943. Il est déporté à Auschwitz et meurt d'épuisement à Ebensee en 1945.
Le 22 décembre 1943, la police allemande arrêtait à leur domicile de Marseille de grand rabbin du Bas-Rhin et Madame René Hirschler. Transférés à la prison des Baumettes, puis au camp de Drancy, ils furent rapidement déportés à Auschwitz. Elle mourut à Birkenau le 27 avril 1944, il parvint à survivre près d'une année -et quelle année !- mais succomba à Ebensee en mars ou avril 1945, quelques semaines avant la victoire. (...)
Il était grand, il était beau, il était distingué, séduisant, charmeur. Intelligent et instruit, travailleur, ingénieux. Ferme dans ses principes, souple dans la vie quotidienne, il savait présenter notre doctrine sous les formes les plus propres à emporter l'adhésion. Rien de ce qui est juif ne lui était étranger, il était aussi doué pour l'action religieuse que pour le travail social, pour la parole que pour l'esprit; il savait mener de front son travail clandestin dans la Résistance et les tâches officielles de grand rabbin du Bas-Rhin et d'aumônier général des camps d'internement.
Il avait obtenu à Mulhouse des résultats remarquables. Rabbin à l'âge de 23 ans et dénué d'expérience, il avait su éviter les erreurs et diriger sa communauté dans le bon sens. Il développa l'instruction religieuse et un de ses élèves est devenu l'un de nos meilleurs rabbins. Il publia sous le titre de Kadimah une revue d'information, de doctrine et d'action dont la renommée dépassa vite les limites de sa communauté.
Mais c'est dans les circonstances tragiques qu'on juge les hommes, et lorsque vinrent l'armistice de juin 1940, l'expulsion des juifs d'Alsace, les persécutions dans les camps, les déportations, en cette période où -on peut bien le dire maintenant- tous ne surent pas se montrer à la hauteur des événements, c'est alors qu'il donna sa véritable mesure et, s'il m'est permis de reprendre une expression qu'on appliqua à l'un des ses collègues, c'est en cette conjoncture que ce grand-rabbin devint un grand rabbin.
Et il parvient à ajouter à ses tâches religieuses et sociales une activité de pure résistance : à la fin de 1941, M. Max Hymans (qui fut le président de la Compagnie Air-France), vient lui demander d'entrer en rapport, afin de les faire évader, avec dix officiers anglais parachutés en France et incarcérés à Périgueux. Le grand rabbin accepte immédiatement, se rend plusieurs fois à la prison, établit le contact et, quelques mois plus tard, l'évasion a lieu. Le 31 mars 1947 il sera décoré de la Médaille de la Résistance, mais, hélas, à titre posthume.
Depuis 1941, le danger existe, et un jour, en gare d'Avignon, il a failli être arrêté. D'autres eussent profité -ou ont profité- d'un tel avertissement pour cesser leur activité et s'aller cacher en passant la frontière sous quelque déguisement, mais les âmes biens nées -Sammy Klein, Elie Bloch, René Hirschler- ne craignirent pas, après avoir frôlé le péril, de s'en approcher à nouveau : ils savaient, eux, comme le prophète Isaïe, que "ceux qui ont foi au Seigneur acquerront des forces nouvelles, ils prendront l'essor des aigles, courront et ne seront pas fatigués, marcheront et ne faibliront point".
René Hirschler n'a jamais faibli. Arrivé à Auschwitz en janvier 1944, celui qui avait été le grand rabbin du Bas-Rhin et qui n'était plus alors que le matricule 121627, fut employé au déchargement des wagons de charbon aux portes d'une usine. Hâve, affaibli par les privations et les sévices, il travailla tel un galérien, jusqu'au moment où, sa présence ayant été signalée aux internés qui travaillaient à l'intérieur de cette usine, l'un d'eux -de qui je tiens le récit- parvint à le faire affecter à une besogne sédentaire et au chaud. Ainsi préservé, il tenta de faire venir sa femme. Hélas, il était trop tard, elle venaient d'être désignée dans une "sélection" et dès lors, l'assassinat était inévitable. Un matin elle parvint à lui faire remettre son bien le plus précieux : une petite tefila sur la page de garde de laquelle elle avait écrit un dernier adieu. J'ai causé avec un rescapé qui avait vu ce livre, il m'a indiqué que Madame Hirschler, après avoir dit à son mari qu'elle était parvenue à faire réciter des psaumes chanter des prières à ses compagnes de captivité, ajoutait : "Reste fort comme je demeure forte, nous nous reverrons dans l'au-delà".
Lorsqu'il apprit la mort de celle qu'il adorait, il eut le courage, véritablement surhumain, de réunir un minyan. S'il en est parmi vous qui ont vécu dans les camps, qui ont connu leur horreur, leur épouvante, ils se rendront compte de ce que pouvait être une telle assemblée dans une barque à Auschwitz : des profondeurs je t'ai appelé, ô Eternel.
Jamais il n'abandonna sa foi ni son espoir. Déjà lorsqu'en 1943 je lui disais mon chagrin en songeant à la destruction de la synagogue du quai Kléber, il répondait : "Qu'importe ? Nous en reconstruirons une plus belle". Lorsqu'en 1944, sur les caillebotis d'Auschwitz, il devisait avec le professeur Marc Klein qui fut son compagnon de captivité, il donnait à l'infâme ruelle qui était le lieu de leurs entretiens le nom significatif d' "Allée de l'Espérance".
Plus de neuf mois s'écoulèrent après la mort de sa femme et tandis qu'à Auschwitz la vie se prolongeait, au dehors les troupes allemandes reculaient, les armées alliées débarquaient en Normandie en juin, en Provence en août, libéraient Paris, l'Alsace, traversaient le Rhin, cependant que les Russes mordaient de l'autre côté du territoire du Grand Reich.
Et l'on arriva ainsi en 1945. Le 18 janvier, les Russes s'approchent et les Allemands décident d'évacuer vers l'ouest les cinq mille survivants du camp d'Auschwitz. On part à pied, sous la neige, dans des routes de forêts, et l'on parcourt ainsi en trois jours plus de cent kilomètres. A l'arrivée on se compte : près de la moitié sont morts en chemin. Mais René Hirschler est vivant. A la gare où l'on est arrivé, on monte sur des plate-formes non bâchées qui conduiront les malheureux jusqu'en Autriche. Au passage du convoi, les Tchèques lancent un peu de nourriture, la seule qu'on ait à sa disposition. Lorsqu'on débarque à Mauthausen, il n'y a même plus mille survivants, mais René Hirschler en fait partie - je n'ose imaginer en quel état.
Nous sommes en fin février 1945, la libération définitive approche. Le matricule 121627 a été transféré à Ebensee, près de Salzbourg. Il est mourant, à fin mars ou début avril il rendra le dernier soupir, il achèvera une existence totalement consacrée au service de l'Eternel (1).
Sa passion et sa mort, il les avait décrites plus de treize ans à l'avance. Dans le numéro de Kadimah du 12 septembre 1931 -1er tishri 5692- il avait paraphrasé en vers et publié la légende de Rabbi Amnon, martyr auquel la tradition attribue la composition du Ounetané tokef. En voici la conclusion ; je ne saurais en écrire qui s'appliquât mieux au martyre du grand rabbin Hirschler :
... Le seigneur (féodal) comprend, le juif a tenu
Il le fait quérir par ses hommes d'armes, Il jouit de sa douleur, de ses larmes; Le juif gisant à terre, l'oeil hagard, Le seigneur le terrasse du regard. Le juif va parler, ses yeux sont de flammes, Il murmure : "Bénis Dieu, ô mon âme".
Pour sa foi Amnon a souffert supplice
Disons la sainteté du jour sublime
|