Le Pr. Léon Blum à l'âge de 40 ans
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Personnage hors du commun, le professeur Léon Blum (1878-1930) a bénéficié durant toute sa vie professionnelle d'une immense renommée locale, nationale et internationale. Spécialiste reconnu en physiopathologie rénale, médecin interniste confirmé, il fut le premier européen à fabriquer de manière semi-industrielle de l'insuline d'origine extractive et c'est lui qui initia l'insulinothérapie dans notre pays. Sur le plan universitaire, premier titulaire strasbourgeois de la chaire de médecine interne après la guerre de 1914-1918, il fut un artisan particulièrement actif de la mise en place et de l'organisation de la Faculté de médecine de Strasbourg qui succéda en 1919 à la Kaiser Wilhelms Universität. Au cours des soixante-quinze années qui ont suivi sa disparition en 1930, le souvenir de ses actions et de ses réalisations s'est malheureusement émoussé et estompé. Ce d'autant plus qu'aucun écrit n'est jusqu'à présent venu en raviver la mémoire. Le présent article se propose de combler cette lacune et de réparer cet oubli.
Léon Blum a passé son enfance à Fegersheim, puis à Phalsbourg où il fréquenta le collège avant que de poursuivre ses études au Stadtlyzeum de Strasbourg, l'actuel lycée Fustel de Coulanges. Reçu à l'Abitur à l'âge de 17 ans, il compléta sa culture allemande par un baccalauréat français en Sciences réussi avec la mention très bien et obtenu à Orléans où vivait une de ses tantes maternelles.
Le père de Léon Blum a vécu l'annexion de l'Alsace par l'Allemagne en 1870 comme un profond malheur et dans son foyer on ne parlait que français. Le jeune Léon, élevé dans cette atmosphère particulière, est resté lui aussi profondément attaché à la France, s'exprimant couramment aussi bien en français qu'en allemand, en alsacien et en yiddish. Véritable polyglotte, il acquerra plus tard encore l'usage de l'anglais, de l'espagnol et de l'italien.
Inscrit en 1896 à l'âge d'à peine 18 ans à la Faculté de médecine de Strasbourg qui faisait alors partie de la Kaiser Wilhelms Universität où enseignaient des maîtres prestigieux, il y conduisit de brillantes études médicales. Il compléta sa formation par une double spécialisation :
Léon Blum élargit par ailleurs sa formation à Berlin chez Karl Anton Ewald, l'homme du repas d'épreuve et à Paris chez Fernand Widal avec lequel il restera très lié sa vie durant. Exerçant les fonctions de second assistant de Friedrich von Recklinghausen (1833-1910) en anatomie pathologique, il fut également assistant de Naunyn au service de médecine interne où il assurera les fonctions de chef des laboratoires de la Clinique médicale de 1906 à 1919 et sera nommé Privatdozent en 1906. En 1913, il est promu au rang de Ausserordenlicher Professor et devient docteur ès-sciences (fig. 3).
C'est probablement B. Naunyn, pionnier de la diabétologie, auteur d'un ouvrage intitulé Der Diabetes Mellitus, publié à Vienne en 1898, et dont l'élève le plus célèbre avait été Oskar Minkowski, qui éveillera chez Léon Blum son intérêt pour le diabète en général et l'acidose diabétique en particulier (fig. 4).
La guerre de 1914-1918 le vit mobilisé comme médecin spécialiste dans les services sanitaires du front, puis comme inspecteur médical d'un corps d'armée allemand stationné à Strasbourg. Son dévouement auprès des soldats blessés lui valut la Croix de fer, alors qu'il menait de pair, avec une habileté originale, une activité d'espionnage au profit des Alliés. Sa ruse aurait consisté à se faire envoyer par les officiers allemands qu'il soignait des cartes postales mentionnant le volume quotidien de leurs urines, ce qui permettait de situer les localités où ils étaient stationnés. Grâce à ces renseignements, il était possible de reconstituer les mouvements des régiments auxquels appartenaient ces gradés. Ces informations étaient ensuite transmises aux ervices secrets anglais via la Suisse par l'intermédiaire de son épouse Sophie-Agathe, fille du banquier Dreyfuss-Strauss de Bâle, où elle pouvait se rendre sans difficultés puisqu'elle en était originaire et que sa famille y résidait. Cette action vaudra à Léon Blum l'attribution par décret du 31 juillet 1919 de la Croix de guerre et de la Légion d'honneur, distinctions dont il sera un des premiers Alsaciens à être honoré après le retour de l'Alsace à la France. Son ami, le professeur Karl Spiro, professeur de chimie physiologique à Bâle, a signalé que Léon Blum, durant la période tourmentée de l'immédiat après-guerre, avait par ailleurs apporté à plusieurs collègues allemands, sommés de quitter brutalement l'Alsace, une aide efficace, empreinte d'une véritable humanité.
Compte tenu de ses titres scientifiques éminents, de son expérience hospitalière et universitaire et de ses sentiments profonds et bien connus d'attachement à la France, le professeur Georges Weiss de la Faculté de médecine de Paris, chargé par le président de la République, Raymond Poincaré, de mettre en place la nouvelle Faculté de médecine française, confia à Léon Blum le soin de choisir parmi ses collègues alsaciens et non alsaciens ceux qui, à son avis, seraient susceptibles de faire désormais partie de l'Université française, tâche dont il s'acquitta avec succès.
S'agissant de la chaire de la Clinique médicale B, la candidature de Léon Blum s'imposa tout naturellement (fig. 5). Achevée en 1914, cette clinique ne comportait qu'un corps de bâtiment hospitalier. Grâce aux liens noués par Léon Blum et la Faculté de médecine avec l'Institut Rockefeller qui bailla les fonds, un laboratoire biochimique de routine et de recherche, ainsi qu'un amphithéâtre de 80 places furent construits en annexe de la clinique dès 1921.
Fig. 5. Photographie de l'équipe du professeur Léon Blum devant la Clinique médicale B en 1927. Au premier rang, à partir de la gauche, on reconnaît Henri Metzger (1e), Joseph Weill (2e), Léon Blum (4e), Joseph Ohlmann (5e), Frédéric Woringer (6e). Au deuxième rang : Pierre Grabar (1e), Jules Stahl (3e). |
Alors que, du temps allemand, l'enseignement médical était dispensé sous forme de leçons magistrales, Léon Blum privilégia les visites commentées au lit du malade. Son emploi du temps quotidien était bien rempli : présent dans son service où l'avait conduit son chauffeur dès 7 h 30 du matin, il prenait connaissance des événements de la nuit, puis consacrait la matinée à la visite commentée d'une des huit salles de la Clinique médicale B (fig. 6). Deux fois par semaine, il faisait cours dans l'amphithéâtre. L'après-midi était consacré aux consultations qu'il donnait également à son domicile, une grande villa située au n° 7 de la rue Schweighauser. Parmi ses patients, figuraient des personnalités de tout bord dont beaucoup d'étrangers. Il trouvait encore le temps de se consacrer à des recherches cliniques et fondamentales : celles-ci ont représenté une somme de travaux scientifiques considérable, relevant essentiellement de la néphrologie, de la diabétologie et de la pharmacologie (fig. 7).
Fig.6. Le professeur Léon Blum passant sa visite au lit d'un malade dans une des grandes salles du service Cliquez sur le document pour l'agrandir |
Fig.7. L. Blum parmi un groupe de professeurs de la Faculté de médecine de Strasbourg recevant des visiteurs étrangers (au 2ème rang). Au 1er rang, de g. à dr. : Léon Blum, Lucien-Marie Pautrier, le doyen Georges Weiss, Pierre Masson, Maurice Nicloux, Georges Fontes, Pol Bouin. Cliquez sur le document pour l'agrandir |
Il se remariera en janvier 1926 avec Thérèse Lion, originaire de Caen où sa mère s'était déjà illustrée en créant en Normandie un comité de soutien au capitaine Dreyfus. Avocate internationale âgée alors de 30 ans, agrégée d'anglais, prix de conservatoire de piano, ancienne attachée de cabinet au ministère de l'Intérieur occupé alors par le radical socialiste Maurice Bokanowski, c'était une féministe militante. Il en eut trois enfants, dont l'aîné Étienne Beaulieu, né en décembre 1926, (fig. 8) a récemment occupé le siège de président de l'Académie des Sciences de Paris. Sa fille Suzanne (née en 1929) a épousé un pédiatre Mathieu de Brunhoff, le fils du créateur de Babar ; économiste, elle est devenue directrice de recherche au CNRS. Son autre fille, Françoise Peillon (née en juillet 1930, quatre mois après le décès de Léon Blum) mariée à un banquier, ancien directeur de recherche à l'Inserm, est une spécialiste de la physiopathologie de l'hypophyse et de la prolactine ; son fils, Vincent Peillon, agrégé de philosophie et député, est une personnalité connue.
Selon le professeur Jules Stahl, les nombreux congrès auxquels il participait, et les conférences qu'il donnait à l'étranger constituaient pratiquement ses seuls délassements. Il se rendait au moins une fois par mois à Paris pour prendre part aux séances de l'Académie de médecine ou de la Société médicale des Hôpitaux de Paris.
Léon Blum décéda le 6 mars 1930, quelques jours après l'installation d'une hémiplégie, ayant exercé ses fonctions pratiquement jusqu'à sa mort. Il eut droit à des obsèques grandioses, d'une solennité tout à fait exceptionnelle (fig. 11a, 11b, 11c). Sa veuve et ses enfants quittèrent rapidement l'Alsace pour se fixer à Paris.
Léon Blum a réalisé une œuvre scientifique remarquable. Son objectif principal était l'étude de la physiologie rénale et du rôle des électrolytes, mais il fut surtout l'initiateur bien mal connu, peut-être en raison de sa modestie excessive, de l'extraction pancréatique de l'insuline et de l'insulinothérapie, non seulement en France, mais également en Europe. En fait, très tôt il s'était déjà intéressé au diabète sucré, puisqu'en 1904, à l'âge de 26 ans, il fut chargé de présenter aux congrès de médecine, à la fois de Lyon et de Berlin, des rapports sur la symptomatologie et les thérapeutiques du diabète (fig. 4).
Depuis l'administration du premier traitement insulinique chez l'homme en janvier 1922 par Banting et Best qui avaient assuré l'isolement et l'extraction de l'hormone pancréatique hypoglycémiante en 1921, les essais thérapeutiques étaient restés très discrets en Europe. Certes, déjà en 1920-1921, Ch. Achard et Ch. Gardin avaient injecté des extraits pancréatiques de porc à des sujets normaux et des patients diabétiques, mais les effets hypoglycémiants s'étaient avérés minimes et anecdotiques. En octobre 1922, un jeune médecin espagnol, le docteur R. CarrascoFormiguera, qui avait eu l'occasion d'assister en juin 1922 à New Haven à une présentation faite par Banting lui-même, s'était vu confier à cette occasion un échantillon du précieux extrait : il fut certainement le premier Européen à avoir administré (à Barcelone), avec un succès forcément très temporaire, de l'insuline à un diabétique et ce dès octobre 1922.
En novembre 1922, suite à une visite au Canada, le professeur Auguste Krogh de Copenhague, prix Nobel de physiologie obtint l'autorisation de fabriquer de l'insuline selon le procédé de Toronto et, en collaboration avec H.C. Hagedorn, fut en mesure de la produire et de la commercialiser dès fin 1923.
Les essais cliniques entrepris en 1923 par le diabétologue allemand Karl Harko von Noorden (1858-1944) à l'aide d'insuline nord-américaine furent rapidement stoppés en raison du caractère décevant des résultats. C'est également avec de l'insuline obtenue en Amérique du Nord que débutèrent en décembre 1922 et janvier 1923 les premiers traitements anglais et dès le cours de l'année 1923, les firmes britanniques Burroughs Welcome et British Drug House furent en mesure de produire industriellement de l'insuline d'origine extractive.
Oscar Minkowski (1858-1931) qui avait mis expérimentalement en évidence, à Strasbourg en 1889, l'origine pancréatique du diabète grave, reçut à sa demande de l'insuline envoyée par Banting au cours du premier semestre 1923. Il remercia alors les médecins de Toronto en leur faisant savoir "qu'il aurait bien sûr désiré être le père de l'insuline, mais qu'il acceptait avec joie le titre de grand-père de cette hormone que lui avaient si aimablement conféré les découvreurs canadiens".
C'est dans ce contexte que Léon Blum, dans le cadre d'un voyage d'étude aux Etats-Unis, en octobre 1922, eut l'occasion de prendre connaissance, de manière détaillée, des travaux des physiologistes canadiens (F.G. Banting, C.H. Best, J.-B. Collip et J.J.R. McLeod) qui avaient découvert l'insuline en 1921 et qui l'avaient utilisée pour la première fois en clinique humaine en janvier 1922. Très courtoisement reçu à Baltimore par le professeur Longcope et son adjoint le docteur Mac Cann, il put y constater l'efficacité de l'insulinothérapie dont les premières évaluations cliniques à grande échelle étaient alors en cours au Canada et aux État-Unis. Il ne réussit cependant pas à se procurer d'insuline auprès des firmes canadiennes et américaines qui en assuraient la fourniture limitée à certains services sélectionnés et à quelques médecins nord-américains (dont vraisemblablement ceux qui l'avaient accueilli à Baltimore).
Dans ces conditions, il décida dès son retour des État- Unis d'assurer l'extraction d'insuline par ses propres moyens au laboratoire de la Clinique médicale B, en s'inspirant des quelques données publiées par l'équipe de Toronto et des maigres informations émanant des laboratoires Lilly. De manière surprenante, il parvint de façon extrêmement rapide à un heureux résultat puisque dès la fin de l'année 1922, il fut en mesure de produire à partir de pancréas bovins (qui, par la suite, seront cherchés régulièrement tous les matins aux abattoirs de Strasbourg par les garçons de laboratoire Gustave Becker et Joseph Schmitt), des extraits hypoglycémiants dont les propriétés correspondaient en tous points à celles de l'insuline canadienne et américaine. Leur efficacité fut d'abord démontrée en novembre-décembre 1922 chez le lapin. L'extraction de l'insuline s'effectuera ensuite sous le contrôle du docteur Pierre Grabar, à l'époque préparateur au laboratoire. Sa fabrication s'effectuait au sous-sol du bâtiment dans une chambre froide jouxtant un monte-charge. Ces équipements existent encore en partie de nos jours dans ce laboratoire qui porte maintenant le nom de Léon Blum.
Malheureusement, ni dans ses publications ni dans les archives du laboratoire, la technique exacte d'extraction de l'insuline qu'il utilisait n'a été décrite.
Le 19 décembre 1922, après un mois et demi de mise au point de son procédé d'extraction pancréatique et d'injections expérimentales pratiquées chez le lapin, Léon Blum institua son premier traitement insulinique en clinique humaine sur une diabétique en état d'acidose grave à raison de 2 à 3 injections quotidiennes administrées par voie sous-cutanée pendant 12 jours. L'amélioration fut rapide et spectaculaire : disparition de la glycosurie, chute de la cétonurie, disparition de la dyspnée et prise de poids. Rentrée chez elle sans poursuite des injections, cette patiente décédera malheureusement à domicile une semaine plus tard, des suites d'un nouveau coma. Les résultats de ses premiers traitements par l'insuline furent publiés dans le Bulletin des Hôpitaux de Paris, compte rendu de la séance du 16 janvier 1923 . Et dans son livre consacré à la découverte de l'insuline, Michael Bliss relève que le premier Français à avoir expérimenté l'insuline était le docteur Léon Blum de Strasbourg.
Entre décembre 1922 et juillet 1923, Léon Blum traitera plus de cinquante diabétiques avec de l'insuline. La très grande majorité des résultats s'est avérée favorable et les quelques échecs observés ont été attribués aux variations de l'activité des préparations employées. À plusieurs reprises, Léon Blum a noté la survenue de fortes transpirations et d'épisodes d'hyperthermie transitoires qu'il considéra comme de probables manifestations d'hypoglycémie.
Contrairement aux découvreurs canadiens, il n'a eu à déplorer ni convulsions, ni troubles neuropsychiques.
C'est en juillet 1923 que, fort d'une expérience du traitement insulinique déjà large, unique en France et même en Europe, il publie ses résultats dans le n° 58 de la Presse médicale (tome 31, pages 637-641) 4, en proposant un certain nombre de conduites thérapeutiques du diabète et des états d'acidose diabétique. Dans cet article, il souligne que si l'insulinothérapie était en passe de bouleverser le traitement du diabète, il n'en restait pas moins que contrairement à une opinion répandue à tort par une certaine presse américaine, le régime approprié conservait toute sa valeur et son importance. Il conseille la pratique de 2 injections quotidiennes d'insuline par voie sous-cutanée en recommandant le passage à 3, voire à 5 administrations dans les formes sévères de diabète. Il insiste sur le fait que, dans le diabète sévère, il fallait poursuivre l'insuline à vie, sans espoir de pouvoir l'arrêter. Il attire l'attention sur le fait que la survenue de certaines complications (mal perforant, gangrène), d'infections ou la pratique d'interventions chirurgicales pouvaient contribuer à la transformation d'un diabète modéré en diabète sévère, justifiant une insulinothérapie au moins passagère.
Par ailleurs, Léon Blum a recherché des voies alternatives à l'injection d'insuline : il constata rapidement que l'effet de l'insuline perlinguale était insuffisant et qu'il n'était pas accru par l'adjonction d'acide désoxycholique (récemment utilisé comme surfactant dans la composition de l'insuline nasale administrée sous forme de spray !). Il a également contribué à l'évaluation du premier biguanide, la synthaline A, qui fut ultérieurement retirée du marché en raison de ses effets hépatiques indésirables.
La production plus ou moins artisanale d'insuline fut poursuivie pendant une dizaine d'années et permit de traiter un très grand nombre de diabétiques à une époque où l'accès au traitement insulinique était encore très limité. Elle sera interrompue après la mort de Léon Blum, son successeur, le professeur Léo Ambard, introduisant alors dans son service une insuline d'origine industrielle, l'Endopancrine fabriquée par le laboratoire Organon.
Bibliographie