Amulettes et traditions juives
Extrait de l'Almanach du KKL-Strasbourg, 1978


Nous avons récemment été confrontés à ce problème, alors que nous organisions une exposition à la Faculté de Médecine de Jérusalem sur des Amulettes juives considérées comme ayant valeur de "médecine préventive".

Amulette en argent, Perse 19ème siècle, diam. 6,5 cm. Porte des noms d'anges sur la circonférence et à l'intérieur du disque. (Collection Wolffsohn, Hehal Shlomo, Jérusalem.)

Bien sûr, un occidental bon teint hausse les épaules lorsqu'on parle de tels moyens de prévention, considérés comme magiques. Tout au plus leur reconnaît-on une valeur folklorique ou artistique. Pourtant nous connaissons un professeur de médecine réputé, grand collectionneur de surcroît, qui met ostensiblement sa "kippa" lorsqu'il s'approche des amulettes. En effet, sont gravés sur ces parchemins ou sur ces médailles des versets de la Bible ou des noms cabbalistiques divins ou angéliques. Pour lui, l'amulette est une prière, que l'homme qui souvent ne sait pas prier, porte sur lui. Non pas simplement un moyen de protection magique, mais une intercession muette auprès de Celui qui est le grand Médecin...

De Babylone

Pour Rabbi Hai-Gaon, les amulettes ont une origine babylonienne et entrèrent dans le folklore et la pratique juive par le canal de la Yechiva de Soura.

Quoi qu'il en soit, on en décrit en plusieurs endroits dans le Talmud, plus tard Maïmonide en parle - pour les récuser, mais R. Siméon ben Adereth les permet sans ambage.

Leur développement date surtout des Hassidé Ashkenaz (13ème siècle) notamment de R. Eliézer de Worms dont le Séfer Raziel est la source de nombreuses formules. Il ne fut d'ailleurs imprimé qu'en 1701 (à Amsterdam), mais circulait sous forme de manuscrits.

Vers 1650 apparut le livre des "Racines des noms" (Schoreshei Haschémot) de R. Moïse Zacuto. Parmi les grands noms qui s'intéressèrent aux amulettes, il faut citer le Rabbin d'Amsterdam Manassé Ben Israël (12ème siècle)  R. Jonathan Eybeshutz et Jacob Emden qu'opposa au 13ème siècle une grande querelle liée .à l.'épisode de Sabbataï Zevi et aussi R. Haim-David Azulay ("Hida") de Hébron.

D'ailleurs, l'usage des amulettes reste vivace jusqu'à ce jour, et bien des bijoux achetés dans les orfèvreries de Jérusalem, notamment ceux d'origine persane, sont des reproductions ou des adaptations d'amulettes anciennes.

Amulette certifiée

"Il est interdit de sortir (le Shabath) en portant sur soi une amulette qui n'est pas certifiée..." (Traité Shabath 61a).

Qu'est-ce qu'une amulette certifiée ? se demande le Talmud. C'est une amulette qui a guéri trois fois, qu'il s'agisse d'une amulette sur parchemin ou d'une racine... En principe, on entend par "guérir trois fois", guérir trois hommes différents avec la même amulette.

Il ne faut pas croire, précise le commentateur Rachi, que c'est dû à la chance, ou bien dirions-nous à l'empirisme du médecin qui prépare l'amulette, mais à sa science. Ce n'est pas non plus dû à la réceptivité du malade, puisqu'on demande que trois malades différents soient guéris par la même formule.

Soulignons en passant le fait que le Talmud parle du spécialiste en amulettes comme d'un "homme" (Gavra) alors que Rachi (11ème siècle) parle de médecin... Médecin et guérisseur étaient alors plus proches l'un de l'autre qu'ils ne veulent l'être aujourd'hui.

Pas de part au monde futur...

Pourtant la magie est stigmatisée sans ambages dans le même Talmud (traité Sanhedrin 90a) : "Celui qui prononce une incantation sur une plaie et cite le verset : 'Toute maladie que j'ai infligée à l'Egypte, je ne te l'infligerai point, car Je suis d'Eternel ton médecin" (Exode. 15:26), n'aura pas part au monde futur."

Il semble donc y avoir une attitude quelque peu ambiguë face à ce qu'on appelle parfois la "magie blanche", par opposition à la noire, bien entendu.

Un autre passage va dans le même sens que ce que nous venons de citer :
"Les talismans et amulettes, bien qu'ils contiennent des signes du Nom Divin et des extraits de la Torah, il est interdit de les sauver du feu (le Shabath) et il faudra les laisser brûler. De là vient le dicton : les fabricants d'amulettes sont comme des brûleurs de Torah... » (Traité Shabath 115b).

Voilà une attitude bien tranchée et parfaitement négative vis-à-vis des amulettes. Pourtant le législateur n'a pas retenu cet aspect et a gardé une approche très nuancée et plutôt positive, comme nous allons le voir maintenant.

Permis même pour une maladie bénigne

Partie inférieure d'une amulette
sur parchemin, Perse 19ème siècle.
Taille : 6 X 25 cm. Porte des noms d'esprits ,et de démons à écarter de celle qui porte ce talisman.
Au centre, une main (Hamssa). A la place des ongles sont inscrites les lettres terminales des cinq premiers versets de la Genèse.
"Il est interdit de porter (le Shabath) une amulette non certifiée, mais si elle est certifiée on peut la porter même si c'est le rédacteur de l'amulette qui est reconnu compétent et non cette dernière... Et il est permis de sortir avec l'amulette, qu'elle soit sur parchemin ou sous forme de racine, que ce soit pour un malade en danger ou même pour une maladie bénigne." (Schoulhan Aroukh, Hilkhoth Shabath, 301, 25).

"Il est permis de porter toute chose qui a une utilité médicale, et on ne retiendra pas l'interdiction à cause des pratiques des Amoréens." Toute incantation est permise et ne sera défendue que si on a examiné ces pratiques et reconnu qu'elles sont inefficaces.
Cependant il y a des opinions qui considèrent que toute amulette non certifiée entre dans le cadre des « pratiques des Amoréens" (ibid. 27).

Le code apparaît donc bien comme d'un avis nuancé sur la question, mais il reste en gros permissif et tolérant.

L'Epileptique

Le cas particulier de l'épileptique mérite d'être souligné.
"Non seulement celui qui a déjà .été reconnu comme épileptique a-t-il le droit de porter une amulette préventive, bien plus, même celui qui n'a jamais présenté de crise mais fait partie d'une famille d'épileptiques a-t-il le droit d'en porter afin qu'il soit préservé" (Schoulhan Aroukh, 301, 25).

Il est donc bien permis de dire que les amulettes étaient avant tout considérées comme une "médecine préventive", et c'est bien ainsi que de nos jours encore on s'en sert. Car il est faux de penser que notre 20ème siècle pragmatique et scientiste a abandonné ces pratiques. Il est également erroné de croire que l'on ne recourt aux amulettes que dans les pays arriérés ou dans les milieux primitifs.

Le même professeur de médecine cité plus haut aimait raconter que certains malades, intellectuels bon teint, lorsqu'ils sont sérieusement atteints, font appel à la fois au "meilleur" professeur, à un rabbin connu pour ses bénédictions efficaces, et à un fabricant d'amulettes réputé...

Psaumes et versets

Les amulettes hébraïques sont couvertes de signes parfois incompréhensibles au profane. Sans doute, reconnaît-on souvent des Psaumes, notamment les Psaumes 91, 67, 121, 23... Mais il est plus fréquent de ne trouver que des acrostiches, les premières ou dernières lettres de versets de la Bible qu'il faut savoir reconnaître. Certains passages, la bénédiction des Prêtres, la bénédiction de Jacob aux fils de Joseph, la prophétie faite à Joseph, sont souvent résumés ou indiqués allusivement.

Mais notre propos n'était pas, dans ce court article, de décrire les amulettes hébraïques, mais plutôt de résumer l'attitude législative face à une pratique qui nous étonne et nous fascine à la fois.

Il est vrai que la peur de la maladie et de la mort, le besoin de protection inné à l'homme, les carences du médecin autrefois sur le plan scientifique, aujourd'hui sur le plan humain, tout cela fait que l'homme n'a pas fini de rechercher pour ses insuffisances physiques une aide méta- ou disons plutôt para-physique. L'amulette est donc bien une demande, une intercession, une prière.

S. KOTTEK
Jérusalem


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