Une étape sur le parcours du KKL à Strasbourg après la guerre :
1946-1953-2002
L'Almanach du Jubilé, le Cinquantième.
par Raymond Heymann
Extrait de L'almanach du KKL, 2002 - 5762
La
cinquantième livraison de l'ALMANACH DU KKL DE STRASBOURG est le fruit
des efforts de plusieurs générations de militants : que tous
me permettent de leur dire aujourd'hui ma gratitude d'avoir réussi
à le maintenir durant les cinquante ans de sa parution, d'avoir consacré
tant d'efforts à sa présentation, à sa rédaction.
Honneur et hommage à tous, je tiens avant tout à évoquer
la mémoire de ceux qui ne sont plus, pardon pour l'inévitable
oubli.
1946. Tobie
et Andrée Salomon avaient entrepris de remettre en route l'activité
du KKL avec les anciens rescapés de la tourmente. Tobie
occupait alors un important poste de chercheur à l'Institut Supérieur
du Pétrole : or celui-ci fut déplacé à Paris.
Je fus invité à une réunion de la Commission du KKL avant
leur départ: tu pourras être utile m'avait lancé
Andrée sans faire allusion à ce qui se mijotait. Je sortis de
la réunion couronné président par les Salomon,
j'étais un nouveau qui devait coiffer des militants chevronnés,
tous plus âgés que lui.
Je fis la connaissance des Norbert Gerlich, Jules Hercot, Raymond May, Henri
Ruzié, Léon Salomon, Strikowski et de leurs épouses,
de Germaine Marx, Germaine Stern, Rose Verderber. Ils furent tous nos compagnons
de route. Nous avons vécu ensemble les combats de la Hagana en 46-47,
les agressions arabes, la félonie britannique, la Proclamation de l'Onu,
les tueries de l'Hôpital Hadassa, de Kfar Etsion et tant d'autres pour
arriver à la Proclamation de l'ETAT d'ISRAEL en mai 1948, puis la Guerre
d'Indépendance avec ses âpres combats, ses trêves, ses
milliers de morts
Devoir de mémoire : Jeanne et Léon Weiller n'étaient
pas actifs au KKL, ils faisaient partie des sionistes militants depuis l'époque
du "Blau Weiss". Leur fils Raphaël, engagé volontaire
dans les rangs de la Hagana, est tombé au Champ d'Honneur lors des
combats devant Beersheva en 1948.
La commission du KKL fut la base, avec quelques militants du Keren Hayessod,
pour l'organisation de la grande action d'aide financière au jeune
Etat. Il ne s'agissait plus d'arbres ou de dounams à acheter, mais
d'armes au prix fort, d'affréter des bateaux pour convoyer au plus
vite immigrants, armes et combattants dont le besoin était si critique.
Au début de 1950, la grande mobilisation en faveur de "l'Aide
à Israël" cèda sa place à un retour progressif
aux structures traditionnelles, beaucoup moins exaltantes pour les militants
: ils se retrouvèrent avec la petite monnaie des troncs après
avoir côtoyé les dizaines, voire les centaines de milliers, destinés
aux combats héroïques. Le retour aux arbres et aux dounams était
beaucoup plus prosaïque, trop pour certains
.
Avec les années, le KKL avait conquis sa place parmi les institutions
juives de Strasbourg et de l'Est et de nouvelles forces étaient venues
renforcer ses rangs :
Les Otto Hanau, Lévy-Bompet, Paul Roos, Joseph Tronick,Pierre Weill,
Roger Weill, Jacques Wiener et leurs épouses, Marthe Lévy, Marthe
Lévy-Recht, Rose Lieblich.
Ils furent nos amis, nous avons vécu ensemble joies et deuils. Nous
avons tenté de servir Israël de toutes nos forces, j'ai tenu à
exprimer après tant d'années la pérennité du souvenir
affectueux que nous leur témoignons.
Naissance de l'Almanach
Les ressources du KKL étaient alors fondées sur le Tronc traditionnel,
les dons à la Synagogue, les inscriptions au Livre d'Or du KKL à
Jérusalem et d'un Bal de société annuel. Il devenait
urgent de proposer aux militants un défi nouveau de nature à
étendre le champ de nos activités.
Pour le bal de 1951, il fut décidé d'éditer un programme
de la soirée agrémenté de quelques photos illustrant
les réalisations du KKL en Terre d'Israël.
L'idée d'y insérer des placards publicitaires ne fut pas facile
à faire admettre aux membres de la commission : avait-on jamais vu
une oeuvre établir des factures à des commerçants ou
à des industriels, et surtout appliquer de véritables tarifs
publicitaires, donc substantiel ? Innovation à Strasbourg comme pour
le reste de la France.
Je rappellerai ici le dévouement, la compétence professionnelle
de notre imprimeur, Monsieur Sussmann
za"l, rescapé de
la Shoah, endeuillé et meurtri, de ses fils et d'un futur grand-rabbin
de Paris en herbe, les protes travaillant dans la sous-pente glaciale ou torride
du quai des Bateliers : leur dévouement au jeune Israël leur permit
d'avaler maintes couleuvres, nos exigences étaient loin d'être
toujours compatibles avec leur art.
De 44 pages en 1951, le programme passa à 68 l'année suivante,
les trois-quarts couverts d'annonces publicitaires, le reste avec photos de
réalisations du KKL et un embryon de textes rédactionnels.
Mais lorsque je présentai mon projet d'Almanach pour 1953, là
ce fut la levée de boucliers :
jamais ça ne marchera,
on se fera rabrouer par les commerçants
..!.
Et ça marcha : 180 pages dont plus de 70% de publicité en 1953,
et 230 pages en 1959.
Vers la fin de l'année 1952, lorsque les douleurs de l'enfantement
du premier almanach pouvaient sembler insurmontables, je n'aurais jamais imaginé
vivre la joie et la satisfaction de le voir Cinquanternaire.
L'imprimerie Sussmann n'était plus équipée pour un volume
aussi important de caractères immobilisés durant de longues semaines
: l'Imprimerie des
D.N.A. nous
accueillit et je tiens à rendre hommage à la patience de leurs
responsables, nous n'étions pas des clients faciles !
Il fallut trouver des articles pour la partie rédactionnelle de ce
premier Almanach et pour cela grappiller dans la presse et la littérature,
trouver des textes, les adapter et les résumer : je ne pouvais les
signer, ils n'étaient pas de ma plume.
Mon inexpérience en présentation graphique pour ce premier almanach
frappa profondément Georges Weill : il me proposa d'en assumer la présentation
dès 1954, et persévérera fort heureusement jusqu'à
son alyah : l'almanach était désormais présenté
avec élégance et avec goût.
Je souhaite faire partager au lecteur de 2002 ma profonde émotion en
rendant hommage ici à tous ceux qui ont pris une si large part à
la création et au succès de l'Almanach. Ils ont contribué
à la diffusion, au rayonnement de l'idéal sioniste, au rôle
décisif du KKL dans le développement de l'Etat d'Israël.
Imaginez l'effort demandé à des dames souvent très timides.
Elles eurent à jouer les courtières en publicité, courir
les magasins, les officines. La première surprise passée, nombreux
furent nos clients à recevoir nos ambassadrices avec gentillesse
et compréhension. Mais aussi combien de visages fermés, de rebuffades,
revenir à la charge, présenter un éventail d'arguments
: seul leur amour d'Israël leur donna le courage de persévérer
.
L'activité du KKL en Alsace remonte au retour à la France. Dès
1919, sous l'impulsion de Tobie Salomon et du groupe de jeunes qui avaient
formé le mouvement sioniste Blauweiss, les jalons sont
jetés, les premiers troncs placés.
Il faut rappeler un précurseur,
Edouard
Bing, alors étudiant en droit, futur président de la communauté
de Strasbourg : il avait déjà placé et vidé des
troncs du KKL avant 1914 en liaison avec le KKL d'Allemagne, à Thionville
il est vrai.
Les années vingt et trente, jusqu'à la veille de la deuxième
guerre mondiale verra un développement remarquable avec Tobie et Andrée
Salomon, Myrtil Bloch, Léopold Metzger, Edmond Blum, les E.I., chefs
en tête et tant d'autres militants : le KKL s'implante solidement dans
la plupart des communautés d'Alsace-Lorraine :
j'ai
développé plus en détail l'activité du KKL en Alsace
entre les deux guerres.
Nos secrétaires successives furent toujours dévouées
et efficaces. Avec le développement de notre activité, le travail
administratif exigeait un secrétariat bien structuré : nous
eûmes la chance de pouvoir le confier à Marthe Cahen, elle y
fit des prouesses pendant plus de quinze ans. Elle aurait tant aspiré
vivre en Israël, mais hélas sa santé ne le permettait pas.
Le KKL fut pour elle un apostolat, Israël une raison de vivre, elle y
consacra ses maigres forces, la formule jour et nuit était
pour elle une réalité, un emploi du temps.
La partie rédactionnelle de l'Almanach fut confiée à un
comité de rédaction sous la direction
d'André
Neher, nous lui devons son standing remarquable, sa variété,
et son attractivité. Après son alyah, Yves Kollender assura cette
tâche avec talent, il dut hélas y renoncer trop tôt après
avoir assumé la présidence du KKL avec efficacité et brio
durant plusieurs années
Quelques pierres blanches sur la consolidation de notre activité
à cette période :
Notre lien avec le bureau central de Jérusalem, Joseph Fischer
fut muté en Israël. Nous travaillions de manière très
indépendante du bureau de Paris, mais n'hésitions pas à
recourir à ses bons services.
Le successeur de Fischer, Eliézer Rechef, devint un appui et un conseiller
apprécié. Sur son initiative Jérusalem nous envoya un
shali'ah pour l'Est, Enzo Nitsani. Ce florentin de souche trouva avec beaucoup
d'éclectisme un langage commun avec les juifs alsaciens des communautés
de la campagne.. Il consolida les liens que nous avions amorcés avec
André Lévy et Oscar Lemmel à Haguenau, Raymond Bader
à Sélestat, Rita Lévy à Wingersheim, ainsi qu'à
Saverne, Wissembourg, Obernai, Sarre-Union, Molsheim et d'autres communautés.
Au début des années soixante nous avons introduit les diplômes
de Rachats de Fleurs avec des fleurs séchées d'Israël.
Le scepticisme du début a laissé la place à un accueil
des plus positifs. Au bout de quelques années, les Fleurs de Strasbourg
très appréciées localement, ont trouvé des adeptes
et des fidèles jusqu'à Paris.
En 1963, Lévy Eshkol avait chargé le KKL de défricher
d'importantes surfaces de sol aride et rocheux en Galilée, en bordure
de la frontière libanaise. Il était urgent de peupler cette
région pour éviter un déséquilibre démographique
avec la population arabe. Strasbourg prit en charge le mochav de SHTOULA et
organisa l' OPERATION GALILEE, une collecte spéciale sur
plusieurs mois avec des résultats fort appréciables.
La Guerre de Kippour en 1973 a prélevé un douloureux tribut
sur l'alyah d'Alsace : Jean-Benoît Picard et Daniel Weill ont été
fauchés en pleine jeunesse, leur souvenir reste vivace en nos coeurs.
Les embûches n'ont pas manqué, surtout au cours des années
cinquante. En effet, le succès gêne parfois et provoque des remous
peu agréables, des palabres donc des pertes de temps et absorbent une
énergie si nécessaire par ailleurs. Les Institutions luttant
pour soutenir Israël ont subi un réflexe de défense de
certaines institutions locales, certains souvenirs sont chargés d'amertume:
la caravane a passé. Tel est le lot et la rançon de toute activité
publique. Le mot d'ordre était: travailler, agir, se concentrer sur
l'essentiel.
Nombreux sont nos compagnons de route à nous avoir quittés durant
ces 55 années,
Le souvenir de chacun d'eux reste vivace. Oui, nous nous souvenons de leur
disponibilité, de leur dévouement et de leurs efforts, bénie
soit leur mémoire.
Notre reconnaissance va également aux militants qui les ont relayés,
toujours actifs ou non. Tous réunis, ils suscitent l'admiration et
le respect, ils y ont bien droit.
Raymond Heymann Jérusalem, janvier 2002