Il n'en parlait pas. Qui pouvait deviner que cet homme affable, toujours élégant, qui s'ouvrait à votre amitié dès le premier contact, était l'une des grandes figures de la Résistance juive en France ? Chargé de liaisons entre le MJS (Mouvement des Jeunesses Sionistes) et l'AJ (l'Armée Juive), Maurice Hausner et son groupe sauvèrent aussi de nombreux enfants en les faisant passer en Espagne, en Suisse. Il faisait d'incessants voyages en train avec tous les risques des contrôles constants des Allemands.
Maurice a conduit nombre de missions de renseignements, il assurait avec son groupe le passage d'armes et de fonds sans lesquels les combats de l'Armée Juive étaient voués à l'échec. Il fabriquait aussi des cartes d'identité – ce qui devait lui sauver la vie. Arrêté à la gare de Lyon-Perrache le 22 juin 1944, avec Ernest Lambert, l'un des fondateurs de l'Armée Juive, Jacques Lazarus et Anne-Marie Lambert, sa carte trompa le contrôle des Allemands. Comme lui, Mme Lambert échappa à l'arrestation, mais Ernest fut retenu, puis fusillé comme terroriste. Dans son livre Souviens toi d'Amalek, F. Hammel (Chameau) écrit qu'Ernest Lambert et Maurice Hausner, furent inséparables dans l'action.
A la Libération, décoré de la médaille de la Résistance, Maurice devait pleurer la mort en déportation de ses parents et de ses trois sœurs. Il aurait pu continuer en France des études supérieures, mais avec Odette, celle qui allait devenir sa femme, il se porta volontaire pour combattre avec la Hagana dans le cadre du Mahal (Mitnadvé Houtz-Laarets). A l'initiative du Mossad, il fonda une école maritime destinée à l'entraînement des jeunes rescapés des camps.
L'adolescence messine de Maurice Hausner illustre bien l'un des chapitres de l'histoire de la communauté mosellane à la suite des persécutions antisémites en Europe de l'Est. Son père avait fui la Pologne, seul d'abord, pour travailler comme ouvrier chez Renault et parce qu'à Metz il y avait une communauté juive de rite polonais mais aussi deux yechivoth, il décida de s'y installer avec sa famille. Il allait alors devenir l'un de ces marchands ambulants qui gagnaient leur vie en vendant des trousseaux aux familles polonaises installées près des mines du Nord. Le jeune garçon qu'était Maurice – il était né en 1922 – intégra facilement le groupe Mizrahi de Metz, sous l'impulsion entre autres, des frères Roitman et du Dr Silber. Dans son livre sur le Bné Akiva en France, Betty Roitman consacre de nombreuses pages à cette période. Au décès de Maurice Hausner, elle dira de l'ami de son père qu'il était un "Juste caché". Et c'est bien ce qu'il était.
Epris de culture française, il garda aussi de son adolescence à Metz, le goût des études talmudiques. Il n'hésitait pas, heureux, à marcher des kilomètres, le Shabath, pour aller étudier chez "son rabbin" à Tel-Aviv. Il fut toujours un homme occupé. Professionnellement, il avait assuré d'importantes responsabilités à Mekoroth (la Compagnie des Eaux d'Israel), mais il resta à l'écoute de tous, en particulier des immigrants originaires de France. Comme il le faisait chaque fois qu'un travail lui était confié, il s'engagea à fond, avec un sens de l'analyse hors du commun, en faveur de Yad Vashem et des Centres Fanny Kaplan.
Pour le troisième anniversaire de sa mort, ses amis – et il avait des amis dans tous les milieux – veulent rappeler son action et se souvenir de la joie qu'ils avaient à chacune de leurs rencontres avec Maurice et Odette Hausner.
C'est cela qui faisait notre admiration étonnée : qu'un Juste si intègre, au cœur si pur, à l'âme si naturellement généreuse et élevée, ait pu revêtir cette apparence blagueuse, gamine et bon enfant, sans jamais rien en lui "qui pèse ou qui pose", sans rien de l'austérité lourde et contrainte des tzadikim officiels de ce monde. Un Juste caché, oui, qui consacrait l'après-midi de Tish'a Beav, chaque année sur son balcon, en pantoufles et en culottes courtes, à préparer ses chèques à toutes les organisations (légitimes ou moins légitimes) qui avaient frappé à sa porte. Un Juste caché qui passait ses vendredis à appeler les personnes isolées, malades, ou frappées par le deuil, de la façon la plus spontanée, la plus jaillissante, pour le plaisir, pour leur raconter la dernière, faire jouer son esprit léger et gouailleur. Un homme qui venait se recueillir sur la tombe de ceux qui n'avaient plus de famille, qui parcourait des kilomètres pour aider, participer ou réconforter, mais avec un naturel et une simplicité qui faisaient oublier la mitzva : dans une évidence humaine, un désintéressement, une fidélité exemplaires.
A chacun, il donnait le sentiment de son unicité. Il ne venait jamais - Odette à ses côtés - sinon pour apporter, toujours et partout, le rire et la bonne humeur, les bras chargés de fleurs, de gâteaux, de cadeaux multiples. On sentait qu'en lui tout débordait de tendresse humaine. Et parce qu'il était humain, il aimait vivre, savourer un bon vin ou un bon fromage, admirer une jolie femme ou revoir, devant sa télé à Ramat-Gan, un vieux Gabin ou un Jouvet.
Le jour de la Shoah, il jeûnait. Ce jour là, il avait plus de mal à donner le change. Toute la souffrance du peuple juif, toute la mémoire de la souffrance juive se ramassait en lui. Il était déchiré, mais il allait en paix. Israël, la bonté, la loyauté lui servaient de réponse. Il allait tout droit, sereinement, de sa foi silencieuse et consentante, comme il est allé jusqu'à la mort. Et puis, il nous aimait. Un type en or, un type épatant, un moqueur, un "marrant" : c'est-à-dire, finalement, à force de modestie, de tons feutrés, de sagesse profonde, un vrai grand homme. Un homme de vie qui a su, aux côtés de son épouse, dans l'Israël des années pionnières, tout reconstruire, à partir de rien : bâtir une merveilleuse famille, un empire d'amitiés indéfectibles, en prenant seulement appui sur sa propre faiblesse, sa fragilité, sa sensibilité. Il a été, pour chacun, le fidèle compagnon, le confident, l'accompagnateur, sans jamais se pousser grossièrement sur le devant de la scène : et pourtant nous sentions qu'il y avait là, en même temps, un message exceptionnel, la leçon d'un grand maître.
Grandi à Metz, dans une famille d'émigrés polonais, Maurice Hausner a été l'un des héros de la Résistance juive en France, décoré par la France de la Médaille de la Résistance. Affilié à l'Armée Juive, il y a conduit plusieurs opérations importantes, surtout dans les services de renseignement. A la libération, il est seul : tous les siens, parents et sœurs, ont été déportés. Il se porte volontaire à la Hagana et devient en France l'un des chefs de l'Alya B. Dans ce cadre, il fonde en 1945, en collaboration avec le Mossad, une école maritime à Bandol, destinée à l'entraînement de jeunes juifs rescapés des camps. En 1948 il se rend en Palestine pour y prendre part à la guerre d'indépendance. En 1949, il y émigre officiellement avec sa jeune épouse, Odette Semion, la nièce du grand rabbin Kaplan.
A sa démobilisation, il entre à la compagnie Mekoroth (Compagnie Nationale des Eaux) comme ingénieur statisticien, et en devient vite l'une des figures proéminentes. En 1963, il revient en France pour deux ans comme shalia'h de l'immigration à l'Agence Juive.
Sa vie en Israël est jalonnée par de multiples engagements bénévoles : à la Commission des Justes de Yad Vashem, où il siège de nombreuses années, ou encore, en tant que trésorier, au comité directeur des Centres Fanny Kaplan, créés par le Rabbin Paul Roitman.
Homme d'action, homme d'étude, cet homme si durement frappé par la Shoah a reconstruit en Israël une magnifique et nombreuse famille, "ma revanche sur les Allemands" comme il aimait à le dire : ses trois fils ont fondé à leur tour une descendance en Israël.
Il a disparu, après une douloureuse maladie, à l'âge de 85 ans, en 2006.