Avocat, grand homme politique et résistant, né à Mulhouse le 26 janvier 1910, Joë Nordmann est le fils de Léon Paul Nordmann, avocat et de Georgette Weil. Celle-ci, admirée pour son élégance et sa beauté, dotée d'une énergie exceptionnelle mise au service des siens , était native de Strasbourg, rue des Dentelles, dans le quartier des Tanneurs, où ses parents faisaient le négoce de peaux dépouillées .
Cette dernière modifia le prénom d'état civil, "Joseph", en Joë. Le prénom de Joseph est celui du grand-père décédé en 1908. Il est l'arrière-petit-neveu du rabbin Moïse Nordmann de Hégenheim.
Les premières traces de la famille Nordmann à Hégenheim remontent au 17ème siècle. Un des ancêtres, le médecin Achilles Nordmann de Bâle, publia le fameux mémoire relatif au Cimetière israélite de Hégenheim. Me Joë Nordmann, son épouse et ses cinq fils ont maintes fois parcouru le cimetière des aïeux à Hégenheim. A chaque visite, ils ont été touchés voire émerveillés par la beauté et la sérénité de ces lieux historiques.
Dans ce mémoire un chapitre est consacré à l'histoire de la famille Nordmann. Les Nordmann n'étaient pas des colporteurs errants, mais des notables bien ancrés dans le milieu rural de jadis. En 1692, les actes notariés, conservés aux ADHR de Colmar, stipulent l'achat d'un pré par le Juif de Hégenheim Moïsis Nortemann, et en 1693, l'achat d'une maison par Isac Nordemer. Un recensement effectué en Alsace en 1784, dénombre à Hégenheim onze chefs de famille Nordemann, dont cinq frères. Selon Achilles Nordmann, l'origine étymologique du nom de Nordmann, Nordemann ou Nordemer, pourrait être dérivée d'une localité appelée Nordheim en Franconie.
Les Nordmann (d'origine juive) dispersés aujourd'hui en France, en Suisse et aux Etats-Unis, auraient donc tous des ascendants originaires de Hégenheim.
A partir de la deuxième moitié du 19ème siècle, les Juifs de Hégenheim et environs émigrent vers les cités urbaines. L'industrialisation, les émeutes de 1848, puis la guerre de 1870, incitent les ressortissants juifs à quitter leur province. L'extrait d'un poème, écrit le 25 mai 1848 par le rabbin Moïse Nordmann, et traduit par son arrière-petit-neveu, Me Joë Nordmann, décrit ces émeutes de février 1848 :
La grande admiration que voue Me Joë Nordmann à ses aïeux, et particulièrement au rabbin Moïse Nordmann, est illustrée par quelques passages de son mémoire intitulé Une histoire de famille. Je cite :
A la déclaration de la guerre de 1914, Me Léon Paul Nordmann fait partir sa femme et ses enfants, Joë et Suzanne, en Suisse. Ils y résideront durant quatre ans, d'abord à Bâle, ensuite à Zurich.
Après la guerre, Joë fréquente le lycée à Mulhouse. Il y subit le mépris et son cortège d'humiliations. Ses condisciples le traitent de "boche" (son père était natif du pays de Bade), et en terminale ils rédigent un libelle dans lequel il est traité d'assassin du Christ. Heureusement, l'adversité a ceci de bon qu'elle aide à tremper le caractère.
Puis ses études de droit le mènent à Strasbourg et à Paris. Là, dans une ancienne écurie du quartier Mouffetard, il crée avec les copains du coin l'Etoile sportive des arènes. Ensuite, il devient avocat-stagiaire chez son père à Mulhouse, puis à Paris chez le futur Président de la République, Vincent Auriol, dont il sera le collaborateur jusqu'en 1939.
Durant un séjour de six mois à Berlin, il fait un voyage à Moscou pour les fêtes du 1er mai 1930. Comme la plupart des intellectuels idéalistes de son époque, Joë Nordmann est attiré par les idées révolutionnaires qui prônent la réalisation d'une justice sociale. Dès 1933, il adhère au Secours rouge international, puis au Parti communiste.
Mobilisé sur le front en 1939-40, il rentre à Paris en avril 1941, après six mois d'internement en Espagne. Il continue son action résistante dans la clandestinité et crée le Front national des Juristes. A partir de mai 1943, il rédige Le Palais libre, et en août 1944, il est directeur du cabinet de Marcel Willard, secrétaire général provisoire à la Justice.
En 1946, Joë Nordmann assiste, comme représentant de la Résistance judiciaire française, au procès de Nuremberg et en octobre de la même année , il fonde l'Association internationale des Juristes démocrates, dont il sera le secrétaire général, avant d'en devenir le président. Son esprit éclairé, sa perspicacité et son éloquence lui valent une brillante réputation.
Pendant la guerre froide, il défend les intêrets du Parti communiste français et du mouvement communiste international. Ainsi, il plaide en 1949 au nom de l'hebdomadaire Les lettres françaises, contre l'ancien officier soviétique Kravtchenko. Ce dernier avait mis au jour les réalités du système répressif de Staline.
En 1989, il est l'avocat de certaines parties civiles pour les crimes commis contre l'humanité, au procès de Barbie à Lyon, et en 1994, à celui de Touvier à Versailles. Me Joë Nordmann a toujours respecté sa ligne politique, système social, fondé sur la propriété collective, et a contesté le régime capitaliste dont le pouvoir est dépendant de la richesse. Toutefois, il est devenu très critique en ce qui concerne le système soviétique.
Me Joë Nordmann a été décoré de la Légion d'honneur, Croix de guerre 1939-45 et de la médaille de la Résistance avec rosette.
Au début de ce millénaire il a soufflé ses 90 bougies. A cette occasion la rédaction lui présente tous ses compliments et lui souhaite "auf hundert zwanzig".
(Joë Nordmann est décédé le 13 novembre 2005)
Mes plus vifs remerciements vont à Me Joë Nordmann et à son fils Me François Nordmann qui ont eu l'amabilité de mettre à ma disposition les documents nécessaires à cet article.
Ed. Actes Sud juin 1984 / 13 x 24 / 384 pages ; ISBN 978-2-7427-0763-8 , prix indicatif : 24 €
A quatre-vingt-cinq ans révolus, l’avocat voulait dresser un bilan de sa vie professionnelle et politique. La journaliste, elle, cherchait à comprendre la source d’un si long parcours de conviction communiste, en sonder la sincérité, en révéler les aveuglements, en éprouver la résistance.
Ils parlèrent de l’Alsace, de l’Allemagne, de la Russie, du Viêt-nam… Il lui raconta Abetz, Barbie, Touvier… Elle lui dit Staline, Kravtchenko, Soljenitsyne. Il lui répondit Front populaire, antifascisme, férocité de la société capitaliste. Il lui cita Thorez, Duclos, Hô Chi Minh, Nasser, Arafat…
De ces questions, de ces réponses est né ce livre, où la foi de Joë Nordmann apparaît à peine émoussée par le temps et les révélations sur l’URSS : elle est fondée sur d’autres valeurs.
La fidélité reste entière. Fidélité à l’esprit de la Résistance, qui lui fit créer et animer le Front national des juristes dans la France occupée. Fidélité à l’idéal démocratique qui le conduisit aux quatre coins du monde pour mener campagne pour la paix, contre le fascisme et le colonialisme. Fidélité à l’utopie qui freina sa dénonciation d’autres formes de dictature. Mais surtout fidélité à l’esprit de justice qui lui fit combattre le mercenaire Bob Denard, les milices patronales de Citroën et le mortel hexachlorophène qui infesta le talc Morhange…
Sans se livrer à la confession honteuse que d’autres communistes ont choisi d’offrir à la lecture, Joë Nordmann pose sur sa vie le regard du militant qu’il est resté : rarement triomphaliste, souvent critique, toujours mobilisable. Il nous livre sa traversée du siècle, une aventure portée par les vents de l’Histoire qui l’a mené du dogmatisme à la lucidité.