Sa tante tient une colonie de vacance ; il y réalise des spectacles de théâtre avec des enfants : "J'imitais Chaplin, qui était mon dieu". Il y monte aussi des contes taoïstes et chinois.
Lorsque des rumeurs se propagent sur les prochaines opérations de débarquement, le lieu n'est plus jugé assez sûr, et on envoie Marcel se cacher dans une maison à Sèvres près de Paris. C'est ainsi qu'il peut suivre les cours de Charles Dullin, au Théâtre de la Cité ou Sarah-Bernhardt. Il étudie aussi avec Étienne Decroux, le maître de Jean-Louis Barrault et le père fondateur de la "grammaire" de l'art du mime qu'il appelait la "statuaire mobile".
"Quand la France a été libérée, je me suis engagé, en novembre 1944, dans la 1ère Armée, celle de Delattre de Tassigny. Nous étions en Alsace. Je suis rentré en Allemagne par Karlsruhe. "
Le 22 mars 1947, jour du 24e anniversaire de l'artiste, sortira de l'ombre des coulisses un drôle de personnage, Pierrot lunaire, "hurluberlu blafard" à l'œil charbonneux et à la bouche déchirée d'un trait rouge, un drôle de haut-de-forme sur la tête, avec une fleur rouge tremblotante en guise de panache : BIP était né.
"J'ai mis le maquillage blanc, en souvenir du Pierrot, le mime
blanc du 19e siècle." C'est ainsi qu'il a recréé
un art nouveau d'un art ancien, à l'aide de la grammaire de Decroux.
"Le secret, dit-il, c'est le poids de l'âme. Dans la salle, il se crée
une sorte d'hypnose: je m'identifie au public et le public s'identifie à
moi."
Rien ne lui échappe : de Charlie Chaplin à la guerre en Irak,
de sa carrière à sa vie, il exprime tout à travers "BIP".
Ce pantomime au langage universel, qui peut communiquer aussi bien avec un
Papou qu'un Japonais par un geste, un regard, parle rarement mais quand il
le fait, il ne dit pas n'importe quoi, comme au cours d'une récente
tournée américaine où il s'est exprimé sur la
paix et la nécessité pour les nouvelles générations
de trouver d'autres solutions que la guerre.
Son génie et son talent révèlent un sens aigu de l'observation.
Il sait brosser le tableau de l'humanité dans ses moindres détails,
il donne à son art une dimension poétique intemporelle, et garde
toujours, même quand il aborde des sujets graves, cet espoir et cette
foi en la vie qui imprègent ses sketches.
"D'emblée, se souvient-il, j'ai eu d'excellents articles dans la presse new-yorkaise, ce qui m'a beaucoup aidé à l'époque. Au départ, j'étais venu pour deux semaines à Broadway (à New York) et puis tout s'est enchaîné. J'ai fait de nombreuses tournées aux États-Unis, certaines longues de six mois, et depuis 1955 je suis venu aux États-Unis en moyenne tous les deux ans".
"D'une façon générale, remarque-t-il, le public américain est beaucoup plus mystique qu'on ne le croit. Je le constate dans mes numéros qui traitent des thèmes profonds. Pour les Mains avec la lutte du Bien et du Mal, la Création du Monde ou Adolescence, Maturité, Vieillesse et Mort, le public est non seulement attentif mais touché".
Il a joué devant quatre présidents de la République américains (Johnson, Ford, Carter, Clinton), et c'est d'ailleurs à New York que se trouve la "Fondation Marceau", temple du mime où sont conservées toutes ses archives.
Marceau se souvient de sa première représentation à Los Angeles devant un parterre de stars : Charles Laughton, Paul Muni, Gary Cooper, Cary Grant, Jack Lemmon, les Marx Brothers, Ginger Rogers, Fred Astaire et Danny Kaye. "J'étais ébloui". Et il se remémore aussi ses rencontres avec Max Senett, quelques mois avant sa disparition et aussi avec Stan Laurel, chez qui il allait parfois prendre le thé quand il passait par Los Angeles. Marceau reconnaît d'ailleurs qu'il ne lui aurait pas déplu de naître trente ou quarante ans plus tôt pour connaître Hollywood au temps du cinéma muet. "Dans ce cas, confie-t-il, peut-être serais-je passé directement au cinéma".
C'est à Rome lors du tournage de "Barbarella" de Roger Vadim en 1967,
que Marceau rencontrera pour la seule et unique fois son idole : Charlie Chaplin.
"Il s'apprêtait à partir pour Vevey (son lieu de villégiature
en Suisse) et était accompagné de trois des ses enfants. Il
leur a demandé de venir me saluer et je suis venu le saluer à
mon tour. Vous pensez si j'étais ému !".
"S'il n'avait pas créé le personnage de Charlot au cinéma,
je n'aurai peut-être pas créé Bip au théâtre.
Pour moi, il est resté le maître".
Comme il n'est pas d'édifice sans fondations, Marcel Marceau a, sa vie durant, voulu voir naître une école internationale de mimodrame afin que la "grammaire" réinventée par Etienne Decroux et cinquante années d'expérience ne se perdent plus.
Cette Ecole, subventionnée par la Ville de Paris, voit enfin le jour en 1978, et toutes les disciplines voisines du mimodrame y sont enseignées, selon le vœu de son créateur : "Il ne suffit pas d'utiliser une technique, de sortir d'une école pour devenir artiste. Il faut créer un esprit et une méthode dramatique qui fassent évoluer l'élève. […] Ils s'apercevront que l'édifice de leur technique, que la mécanique du tragi-comique, que les codifications d'un style et d'un esprit s'instruisent à l'école et se complètent par l'expérience de la vie et de leurs rapports avec le public".
Marcel Marceau est le grand inspirateur des artistes de la pantomime dans le monde entier, avec des disciples comme Hanokh Rosen, le célèbre mime israélien.
Marcel Marceau est :
Officier de la Légion d'Honneur
Commandeur de l'Ordre National du Mérite
Commandeur des Arts et Lettres
Marcel Marceau est décédé à Paris le 22 septembre
2007 (jour de Yom Kipour) âgé de 84 ans, entouré de l'affection
de ses enfants.