Dans la seconde moitié du 19ème siècle, un habitant de Hégenheim écrit et publie des textes de théâtre qui font de lui un important représentant de la littérature yiddish-alsacienne.
On sait que depuis le 19ème siècle au moins, d'abord dans les villes puis à la campagne, la communauté juive s'est implantée en Alsace et a développé un mode de vie et de pensée original, en relation avec celui du judaïsme de l'aire alémanique et avec la civilisation environnante. A Hégenheim, c'est après la guerre de trente ans et le rattachement du Sundgau à la France (1648) qu'une nouvelle communauté juive s'est formée, après que fut expulsée la communauté juive de Hésingue. Le 9 janvier 1673, Hannibal de Baerenfels, seigneur de Hégenheim, vendit à la Judenschaft naissante du lieu, un champ situé "du côté du moulin extérieur", à charge pour les acquéreurs d'y établir leur cimetière et de lui payer un droit à chaque enterrement. Dans les années qui suivirent, le nombre des ménages juifs alla en augmentant dans le village.
C'est dans cette communauté que naquit à Hégenheim, en 1833, Maier (ou Mayer) Woog qui allait se faire connaître pour ses écrits.
Dès 1903, le professeur Henri Schoen, dans son ouvrage Le Théâtre Alsacien, publié à Strasbourg par les Editions de la revue alsacienne, ne manque pas, quelques années à peine après la mort de Woog, de mentionner notre auteur et de citer dans la biographie toutes ses oeuvres. Voilà comment il le présente :
En 1974, dans son étude Le Théâtre populaire alsacien au 19ème siècle, Jean-Marie Gall ne consacre aucun paragraphe à notre auteur mais mentionne néanmoins quelques unes de ses oeuvres dans la Bibliographie du théâtre populaire alsacien au 19ème siècle.
Il faut attendre que paraisse en 1993 La littérature dialectale alsacienne, une anthologie illustrée d'Auguste Wackenheim (publiée aux Editions Prat à Paris), pour que Maier Woog trouve une place certainement digne de sa production littéraire. Le professeur Wackenheim présente Maier Woog comme "un exemple de littérature Yiddish-alsacienne" et le place aux côtés des "fondateurs" de la littérature alsacienne dialectale du 19ème siècle : Auguste Lamey, Stoeber, Arnold, Engelhardt-Scweighaeuser, Hartmann et Hirtz. Il consacre ainsi 41 pages à notre auteur, allant jusqu'à publier, outre une courte étude sur l'écrivain lui-même et une analyse de toutes ses pièces, un glossaire des termes judéo-alsaciens dans l'oeuvre de Woog, ou le vocabulaire concernant l'argent et l'alcool ou encore les mots d'origine française dans ses écrits.
Auguste Wackenheim s'explique sur l'intérêt particulier porté à l'oeuvre de Woog :
Maier Woog est né à Hégenheim en 1833 et mort à Mulhouse en 1896. Il était affligé de cécité et vivait du très maigre produit de ses pièces. Il en a publié une vingtaine, toutes écrites en dialecte judéo-alsacien. Sa dernière pièce a été publiée en 1895.
Maier Woog a vécu à Hégenheim, non loin de Bâle, sur le versant français de la frontière franco-suisse. A Hégenheim vivaient de nombreuses familles juives : en 1850 il y avait 785 israélites pour une population de 2151 habitants. En 1931 il n'en restera que 34 pour 1872 catholiques et 99 protestants (sur une population totale de 2039 habitants). Il y avait un ancien cimetière, un asile pour vieillards et une synagogue.
Woog semble avoir eu de nombreux lecteurs réguliers et fidèles auxquels il adressait les opuscules au fur et à mesure de leur parution. j...]
On ne sait pas grand chose de la position sociale de Woog. ll semblerait qu'il ait été marchand de tissus. Il ne fait par ailleurs jamais allusion dans ses écrits à son invalidité de vision. Etait-il entièrement aveugle (on l'appelait le "Blind-Maier") ou souffrait-il simplement d'un affaiblissement de la vue ? Il semblerait qu'il se faisait conduire par un garçon pour proposer ses pièces de théâtre dans les milieux juifs de Bâle, de Mulhouse et de La Chaux-de-Fonds.
Les textes de Woog sont destinés à être mis en scène, même lorsqu'il ne s'agit que de monologues ou de dialogues, mais nous ne savons pas dans quelles conditions ces pièces ont été jouées. Ils contiennent parfois des Fraubasengespräche.
Autour d'un thème central, toujours très populaire - les mariages, souvent arrangés, les épisodes de la vie courante, les fêtes de village (d'Chilbi) - l'auteur se complaît à faire de nombreuses digressions. Il ne se préoccupe guère de l'orthographe des mots utilisés, qu'il s'agisse du haut alémanique ou du Yiddisch.
La synthèse de ces deux modes d'expression résulte en un parler judéo-alsacien du Sundgau qui rappelle celui de Nathan Katz et de A. Hemmerlin. Certains mots typiquement sundgoviens sont intégrés, tels "ammel", "griene" ou "gompe". [...]
On trouve chez cet auteur, certainement replié sur lui-même du fait de son infirmité, une certaine propension à l'hypocondrie.
Woog a écrit presque exclusivement en vers. Ses pièces de théâtre ont une forme arnoldienne ; elles en ont le caractère populaire et contiennent également beaucoup d'expressions alsaciennes d'origine française, mais comportent moins d'action et sont moins bien structurées et moins polymorphes quele Pfingstmontag. On y relève cependant une description sociologique de certaines communautés israélites du Sundgau, mais également d'autres régions d'Alsace.
Le multilinguisme de Woog est très particulier. Il utilise indifféremment. dans la même pièce des mots d'origine diverse pour désigner le même concept...
On s'étonnera peut-être de ce que cet écrivain très populaire ne soit pas cité dans les anthologies alsaciennes. On trouve sa trace dans l'ouvrage d'Henri Schoen, mais il n'est cité ni dans le Schnatzkästel de 1877 ni dans sa réédition de 1913. Faut-il penser que Woog a été considéré comme un "écrivain mineur" ?
Pour Auguste Wackenheim, l'oeuvre de Woog semble avoir une valeur linguistique certaine, ayant fait, dans un certain sens, travail de pionnier en utilisant pour ses pièces " un parler qui s'éteint " (selon l'expression de Louis Uhry).
Voici la liste des publications de Maier Woog qui s'échelonnent de 1873 à 1896. Il faut savoir cependant que Woog a très souvent réédité certaines de ses pièces en leur donnant un autre titre et qu'il a également réutilisé de petits chapitres de ses textes en les intégrant à d'autres opuscules.
1873 : | Hagener Marktplatz : premier opuscule, aujourd'hui introuvable, dont le texte sera repris en 1888 dans Deforim Beteilim. |
1874 : | Brief vont Schnappsackhaiera an der Wolf : feuille volante présentée comme les " Schnitzelbank ". |
1876 : | Der Gaasejopper geht ouf die Freierei Oder die heiratslustige Zippe : pièce qui se passe dans le Bas-Rhin. Il s'agit de trouver un mari pour une fille unique qui avance en âge. |
1877 : | Der Gaasejopper macht Chasen : suite de la précédente. |
1878 : | Hagada von Pessach mit Einleitung des Pessachwochen : petit opuscule. Parodie qui tourne en ridicule les préparatifs pour les fêtes de Pâques. |
1878 : | Allerlei Lustiges aus dem Elsass : cet opuscule comprend des lettres échangées entre Wolf et Schnappsackaieri, ainsi qu'une petite pièce intitulée Gespräch einiger Frauen Morgens auf deù Marktplatz in Hägenheim. |
1879 : | Merkwerdigi Chiduschim aus'm Elsass : opuscule comprenant deux textes. |
1880 : | Schmues-Berjendes : recueil de 31 pages réparti en trois chapitres. |
1881 : | Zwiecker-Leib als Millionar in der Khille Kaudesch Metz |
1882 : | Fuer e Rappe dreierlei : un dialogue symbolique et quatre petites pièces. |
1883 : | Gaasejopper als Almon |
1884 : | Schluss |
1884 : | Bas Jericho oder dos kranke Tikhterlein : comédie |
1886 : | Neuigkeite ussem Himmel |
1887 : | Drei Narre of eim Karre |
1888 : | Deforim Beteilim Leeri Keilim : dialogues |
1889 : | Der wankelmüthige Chosen : saynète |
1890 : | Die allerluschtigste Freitagsnacht am Winter |
1891 : | Der Chasenetag im Greisenalter |
1892 : | Champagner Härtzel von Metz |
1894 : | Vater und Sohn, beide als Heiratskandidaten : pièce |
1895 : | Zum Zeitvertreib. |