6. à Renée BERNHEIM, Paris
Strasbourg, le 7 août 1947

Renée, c’est par toi et ton nom que je commence ces quelques lignes, écrites à l’aube de la nuit dont le début à créé nos fiançailles. Fiancée, ce mot contient tout le souvenir de notre passé, tout l’espoir de notre avenir, toute l’exaltation fervente et réelle de notre présent.


Je place ensuite ces quelques mots dont je ne sais plus si je te les ai dits hier soir ; peut-être se sont-ils perdus dans l’émotion ; je désire que tu les entendes. Est-ce que j’ai dit que je t’aime ? D’un amour pas comme les autres, que je place en ton âme, qui seule peut le contenir. Est-ce que je t’ai dit que tu es belle ? D’une beauté pas comme les autres, que tu mets en mon âme, qui seule peut la contenir. Est-ce que je t’ai dit que tu es simple ? D’une simplicité pas comme les autres, que nous poserons entre nos deux âmes, afin que tout reste toujours aussi simple entre elles que ce fut hier. Est-ce que je t’ai dit que tu es pieuse ? D’une piété que Dieu seul inspire et guide.


Vois-tu, en partant de toi, je me suis élevé jusqu’à Dieu. Ta tête, veux-tu, incline-la légèrement, que je puisse poser mes mains dessus pour te bénir, comme un jour nous bénirons nos enfants, oui, que Dieu le permette, nos enfants :

Yévarékhékha Ha-Chem ve-yichmerékha
Yaère Ha-Chem panav éleikha vi'hounéka
Yissa Ha-Chem panav éleikha vé-yassim lékha chalom
(1)


Au centre de cette méditation, j’ai donc placé Dieu, afin que le rayonnement de Sa bénédiction l’embrasse d’une limite à l’autre. J’ajoute maintenant ceux qui nous sont chers, afin qu’ils soient bénis avec nous. Tes parents, qui sont mes parents. Mes parents, qui sont les tiens. Oui, pas seulement Maman, mais aussi Papa, qui est heureux avec nous ; il fallait que notre rencontre se fasse à Lyon où, en nous quittant, Papa nous a laissé un message de vie. Nos frères. Mes sœurs. Tous les nôtres. Tous nos prochains. Tous nos lointains. Tous ceux à qui nous avons promis une part généreuse de notre bonheur.

Et je termine par moi. Ainsi j’aurai fermé le cercle. Car en me découvrant moi, c’est toi que je retrouve, puisque toi et moi, nous ne sommes plus qu’un.

Ah ! Quel bonheur et quelle bénédiction d’écrire : je t’embrasse, Renée, ma fiancée, comme je t’aime, de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon pouvoir.

André


P.S. Maman t’embrasse bien fort et te remercie. J’aurais voulu écrire un mot à tes parents, pour les remercier du merveilleux cadeau qu’ils m’ont fait hier soir. Mais je préfère avoir la tête un peu reposée. Répète-leur ce que j’ai dit hier soir : que notre choix n’est pas l’effet d’une décision subite, mais qu’il a mûri longuement, sans jamais chercher à s’évader de la réalité. Nous avons pensé que nous méritions, tous deux, de nous trouver par amour, d’un amour qui, chez nous, s’identifie avec la clairvoyance de toutes nos responsabilités. Renouvelle-leur l’assurance de mon affection filiale respectueuse, dévouée, entière.


Note :
  1. Bénédiction des Cohanim (Prêtres) par laquelle les parents juifs, de génération en génération, bénissent leurs enfants : « Que Dieu te bénisse et te protège / Qu’Il tourne Sa face vers toi et te soit favorable / Qu’il tourne Sa face vers toi et place sur toi la paix. » (Nombres 6, 24-26)

© : A . S . I . J . A.  judaisme alsacien