© Jacques Bronstein |
Textes de R. Neher-Bernheim sur le site :
|
En 1940, après la débâcle, sa famille se replie à
Lyon où son père, le Docteur André Bernheim, se met à
la disposition du Consistoire Central où "il fait tout son possible pour
nourrir et héberger tous les réfugiés Juifs".
Rina abandonne l'Université dès 1942, rejoint les réseaux
de résistance juive et participe à la recherche de "planques"
pour des enfants juifs.
L'été 1942, elle s'occupe pendant trois jours sans interruption
d'une centaine d'enfants juifs arrachés à la déportation
et cachés dans un hangar de Lyon.
Marquée à jamais par ce qu'elle venait de vivre, dès la
libération, de retour à Paris, elle s'engage à fond dans
la vie communautaire juive dans le but premier de "ne pas oublier l'atmosphère
des années terribles, 1939-1945, consciente que le grand drame juif échapperait
aux générations nées après la tourmente". Aussi,
dès 1945, à Vaux, elle participe à des cercles d'études
juifs, à des cours, car elle veut absolument parfaire sa culture juive,
est une disciple du Rav Osi Wallach et de Jacob Gordin.
Elle crée un journal pour enfants L'Arche de Noé ; plusieurs
années plus tard, publie avec une équipe d'amis le Temps qu'on
n'oublie pas, recueil, dit-elle dans sa préface, "qui n'est pas
le bilan larmoyant d'un deuil affreux mais se veut débouchant sur l'avenir
".
Sa devise sera "Souviens toi de ce que t'a fait Amalek, pour marcher de l'avant
sur la route plénière d'Israël".
Fin 1947, Rina Bernheim épouse André Neher qui vient de soutenir
sa thèse de doctorat d'Etat.
Ce couple est admirable pour sa cohésion, son sens des responsabilités
communautaires, sa volonté de faire connaître à un large
public juif et non juif toutes les facettes du judaïsme.
C'est à Strasbourg, comme l'écrit le grand historien Jules
Isaac, que s'élabore "l'oeuvre que bâtissent ensemble, unissant
à une foi brûlante de rigoureuses méthodes scientifiques,
André et Renée (Rina) Neher".
Ensemble ils écrivent L'histoire biblique du peuple d'Israël
(1962) puis André Neher fait connaître le Maharal de Prague à
un public universitaire tandis que Rina s'attelle à la rédaction
de L'histoire juive de la Renaissance à nos jours, tout en donnant
nombre de cours, conférences, sans négliger les colloques et les
rencontres.
En 1948, dès l'ouverture de l'école Aquiba, elle fait partie de la première équipe de professeurs et enseigne les lettres classiques. Dans les années soixante, elle se donne corps et âme à l'accueil et l'intégration des Juifs d'Algérie. Ainsi, toute sa vie, sut-elle allier recherches intellectuelles et activités communautaires et sociales.
Après la guerre des six jours, le couple Neher monte en Israël
et s'installe à Jérusalem, "la Jérusalem, c'est l'homme
juif, donnant plus de sens à ce qui en possédait déjà
" (dira André Neher). Rina Neher enseigne à l'Université
de Jérusalem, donne des cours à l'Institut Mayanoth, sa maison
est grande ouverte, elle participe à l'intégration des Juifs d'Ethiopie
et de Russie.
A la mort de son mari en 1988, elle continue, comme elle le lui avait promis,
à écrire, à faire des conférences et, au moment
de son décès, elle avait encore plein de projets qui, malheureusement,
ne se concrétiseront pas.
Nous avons perdu un guide, une grande historienne, une grande dame...
Madame Rina Neher-Bernheim za"l nous a quittés le 29 décembre 2005 (28 kislev 5766) à Jérusalem. Spécialiste de l'histoire juive, elle était l'auteur de nombreux ouvrages qui faisaient autorité dans ce domaine. Elle collaborait aussi à l'oeuvre de son mari, et elle avait participé activement à la composition de ces pages internet dédiées à la mémoire de celui-ci.
Pour évoquer sa mémoire, nous reproduisons ici une page du Dur bonheur d'être juif (pp.26-30), un dialogue entre André Neher et Victor Malka, publié aux Editions du Centurion en 1978
- Y a-t-il eu alors
des signes visibles de cette maturité d'André Neher ?
- Beaucoup. Mais le plus visible, certainement, est mon mariage, trois
ans plus tard, avec Renée Bernheim, en décembre 1947.
- C'est l'entrée dans votre univers d'un univers nouveau, différent,
complémentaire?
- Complémentaire, bien sûr. L'avenir l'a amplement montré.
Différent, non. Et c'est là le mystérieux pouvoir du tiqqoun
dont vous parliez tout à l'heure.
- Vous vous connaissiez et vous vous êtes choisis parce que vous
saviez qu'il y avait entre vous une affinité profonde ?
- Exactement. Renée et moi, nous nous connaissions par nos écrits
longtemps avant de nous connaître personnellement. Nos fiançailles
ont donc pu être rapides. Nous avons découvert que les paysages
antérieurs de nos vies encore séparées étaient parsemés
de points de rencontre dont nos fiançailles ont été, en
quelque sorte, la confirmation.
Sur le plan personnel d'abord. Mon père est tombé gravement malade
à Mahanayim,
en automne 1944, et pour le soigner nous sommes allés à Lyon,
où se trouvait mon beau-frère, le Dr Gaston Revel. Celui-ci a
fait appel à un spécialiste, le Dr André Bernheim, le père
de Renée. C'est lui qui a été au chevet de mon père
durant les derniers jours d'une maladie implacable, comme médecin, mais
aussi comme un ami de la dernière heure car, entre les deux hommes, il
y avait énormément de choses communes, dont le médecin
entretenait le malade avec une grande patience : la curiosité en toutes
choses, le goût du bricolage, des antiquités, l'humour aussi, discret
et délicat, l'aristocratie spirituelle et morale...
- Où était alors Renée ?
- Elle était déjà rentrée à Paris, pour
ses études, précédant le retour à Paris de ses parents
avec qui elle avait passé la guerre à Lyon.
- Passé la guerre, c'est un euphémisme. Tout le monde sait
quelle a été l'activité exemplaire du Dr André Bernheim,
au Consistoire central, à Lyon, aux côtés du président
Léon Meiss et du grand
rabbin Jacob Kaplan, son courage face à Vichy, ses liens
avec la Résistance. J'imagine que Renée participait à tout
cela.
- Elle a été engagée dans cette forme remarquable
de Résistance qui consistait à sauver des enfants, à les
soustraire à la Gestapo. Il fallait leur procurer des fausses cartes
d'identité, trouver des familles, des institutions, parfois des couvents
qui acceptent de les cacher. Seulement ce n'est pas son père directement
qui a introduit Renée dans ce réseau organisé par l'OSE
et les Éclaireurs israélites de France. C'est le Dr Gaston Revel.
- Votre beau-frère ?
- Et c'est ainsi que Renée a connu mon beau-frère, ma sœur
Suzel, leurs enfants, bien avant d'avoir entendu mon nom.
- Et lorsqu'elle vous a rencontré, vous étiez lié
à elle par des souvenirs communs qui ont été un élément
de ce que vous appeliez "confirmation" dans vos fiançailles.
- Il Y a beaucoup plus. Lorsque moi, je l'ai rencontrée elle, j'ai
rencontré avec elle ses parents, sa famille. Or ils sont entrés
dans mon univers d'une manière quasi organique. Par leur manière
de concevoir l'humain, d'abord.
- Famille pratiquante ?
- Non, plutôt " assimilée ", mais néanmoins
attachée à toute la frange "universelle" que les Neher-Strauss
ne séparaient pas de leur "particularisme" juif et que les
Bernheim-Wellhoff puisaient dans leur "condition juive", acceptée
avec lucidité et fierté. La découverte de ce judaïsme
si bien décrit par Edmond Fleg dans L'enfant prophète
m'a beaucoup enrichi. Lorsqu'il n'est pas caricatural, mais assumé avec
sérieux, comme c'était le cas chez mes beaux-parents, il comporte
en lui quelque chose de grand qui force le respect: une éthique de l'approche
d'autrui; une distinction naturelle, une noblesse de la pensée inséparable
de l'action. Bref, cet idéal que Renée et moi nous avons essayé
de ne pas trahir, et que, par des cheminements très différents,
Renée et moi avons appris, chacun, chez nos parents.
- Sa panoplie tricolore est restée, à peu de choses près,
intacte ?
- Elle l'était au moins au début de notre rencontre. Une
réponse d'elle à Paul
Klein, préparant son "alya" ("montée"
en Israël) vers 1947, le montre. Elle a été publiée
dans Yechouroun. Et lorsque, aujourd'hui, Renée relit ce qu'elle
écrivait alors : "Jamais je ne pourrai m'habituer à un paysage
autre que celui de la France", elle en sourit et caresse du regard "son"
paysage, celui de Jérusalem. Quoi qu'il en soit, cet ensemble psycho-social
de 1947 a merveilleusement facilité l'harmonie entre la famille de Renée
et la mienne. Ma mère est demeurée dans notre foyer, à
Strasbourg, depuis notre mariage en 1947 jusqu'à son décès
en 1963. Mes beaux-parents sont venus souvent à Strasbourg, notamment
pour les soirées de Seder
de la fête de Pâque. C'était la mise en commun
à la fois des traits de caractère de deux familles, de l'éthique
de leur existence, et aussi d'un passé dans lequel l'histoire et la légende
se complétaient par l'évocation des ancêtres et la poésie
des cigognes d'Alsace, qui revenaient chaque été de Jérusalem,
comme nous étions nous-mêmes revenus de Lyon ou
de Mahanayim.
...1947, c'est l'année où j'ai rencontré Renée
Bernheim. Nous nous sommes mariés en décembre de la même
année. Or Renée a été, en tant que sympathisante
des E.I., une des organisatrices de ces Camps du Chambon, et, en marge de ces
Camps encore, l'une des disciples les plus proches à la fois d'Osi Wallach
et de Jacob Gordin. A l'instar des "mousquetaires", elle a été
pour moi un stimulant, cette fois-ci, de la découverte de ce que vous
appeliez le "Nouveau Monde" du Maharal
et de la mystique en général, cette terra incognita de
mes premiers maîtres. Ses notes prises aux cours de celui que tout le
monde appelait : Monsieur Gordin, sont, après notre mariage, devnues
notre bien commun. Renée est une des rares élèves de M.
Gordin qui ait pris des notes développées. Elles sont, à
notre grand regret, restées inédites.
(...)
Renée et moi, nous lisions ensemble ce cours de Sidrot chaque Chabbat. Nous en tirions la matières pour des exposés que nous faisions, elle et moi, au Mercaz, la Communauté des Jeunes et des Etudiants de Strasbourg. Et, Chabbat après Chabbat, je découvrais un éclairage des Sidrot qui m'était absolument étranger et que Renée précisait pour moi en complétant la lecture des notes par le rappel de ce qu'elle n'avait pas noté.
- Cette fois c'est le duo mystique avec Renée. Et, comme pour Transcendance et immanence qui avait été une conférence avant de devenir un texte écrit, avant de faire de la théologie du Maharal un livre, vous l'avez présentée sous forme d'une conférence qui a fait date elle aussi.
- C'était la conférence inaugurale du CUEJ, le Centre universitaire d'Études juives, en 1960, dans la salle Descartes de la Sorbonne, pleine à craquer, au point que des centaines d'auditeurs ont dû rester dehors. Vous vous en souvenez ?
- Parfaitement, parce que j'étais de ceux qui sont restés dehors ! Mais alors pourquoi ces vingt ans, de 1947 à 1966, pour développer l'écorce mystique de votre pensée, pour déboucher de plein front sur le Maharal ?- Pour deux raisons. La première, c'est que dans le duo entre Renée
et moi, il y a eu constamment réci procité. Elle m'a fait pénétrer
dans la mystique de M. Gordin. Je l'ai fait pénétrer, elle, dans
mon interprétation de la Bible. La Bible, elle la connaissait sur tout
par certains cours de la Sorbonne, très attachés à la critique
biblique et qui d'ailleurs ne la satisfaisaient pas. Elle avait lu et apprécié
Transcendance et immanence.
Nous nous sommes connus au moment où je rédigeais les dernières
pages d'Amos. Alors s'est établie une coopération constante,
sur le plan biblique, dont notre Histoire biblique du peuple d'Israël,
rédigée en commun, est le signe le plus tangible. Mais deux gros
volumes totalisant 800 pages, ce n'est pas de l'improvisation.
En plus de nos activités et de nos publications à chacun séparément,
l'élaboration, la mise en chantier et la réalisation de notre
Histoire biblique ont demandé de longues années de mise en commun
de la dimension biblique de notre pensée.