25. de David BEN GOURION à André Neher

En Israël, les relations entre "l’establishment" rabbinique et le gouvernement se compliquent avec l’arrivée massive, depuis 1948, d’immigrants de toutes les origines. Pour tenter de résoudre la difficile question: "qui est juif?" (qui ne cesse, jusqu’aujourd’hui, de poser problème en Israël et en Diaspora), Ben Gourion s’adresse à quarante-trois personnalités juives, rabbiniques ou non, en Israël et en Diaspora, afin de recueillir leurs conseils. Parmi eux, quatre Juifs français: le grand rabbin de France Jacob Kaplan, le professeur René Cassin, vice-président du Conseil d’État et président de l’Alliance Israélite Universelle (futur Prix Nobel de la Paix en 1968), le professeur Henri Baruk, de la Faculté de Médecine de Paris, et le Professeur André Neher de Strasbourg. Les noms et les réactions de ceux que la presse israélienne a appelés les quarante-trois "Sages" ("'Hakhmei Israël") ont été publiés sur le champ dans différents journaux où cette enquête a ouvert de vifs débats (1).
Nous donnons ici quelques extraits en traduction française de la lettre adressée en hébreu par Ben Gourion aux quarante-trois "Sages" (lettre ci-dessous), puis la réponse d’André Neher à David Ben Gourion (lettre suivante).


Bureau du Premier Ministre
13 'Hechvan 5719 - 27 octobre 1958


Je m’adresse à vous à la suite de la décision adoptée par le Gouvernement israélien le 15 juillet 1958, selon laquelle une commission, constituée du Premier Ministre, du Ministre de la Justice et du Ministre de l’Intérieur, a été nommée pour examiner les règlements concernant la déclaration des enfants issus de mariages mixtes, dont les deux parents souhaitent que leurs enfants soient déclarés Juifs. Par cette décision, le Gouvernement a chargé la commission d’examiner "les opinions, à ce sujet, de personnalités juives en Israël et en Diaspora", et de formuler des règles de déclaration "en accord avec la tradition acceptée dans tous les milieux du judaïsme, orthodoxes et non-religieux de toutes tendances, et en tenant compte des conditions particulières d’Israël, en tant qu’État juif souverain dans lequel la liberté de conscience et de culte est garantie, et en tant que centre pour le rassemblement des exilés."


[…] Le Gouvernement a décidé que la religion ou la nationalité d’un adulte devra être enregistrée comme "juive" s’il déclare en toute bonne foi qu’il est juif et qu’il n’adhère pas à une autre religion. Conformément à la Loi de l’Égalité des Femmes en vigueur en Israël, les deux parents sont les tuteurs de leurs enfants ; si l’un d’eux décède, le survivant est le tuteur. En général, donc, la déclaration des deux parents est acceptée dans tous les cas où il faut déclarer un enfant qui n’a pas encore atteint la majorité.


[…] Quatre considérations devront être prises en compte comme un tout pour la compréhension du problème:

  1. Le principe de la liberté de conscience et de culte a été garanti en Israël par la Proclamation d’Indépendance et par les Règlements fondamentaux des gouvernements qui se sont succédés jusqu’à présent et qui comprennent des partis "religieux" et des partis "non-religieux". Toute coercition religieuse ou anti-religieuse est interdite en Israël, et un Juif a le droit d’être religieux ou non-religieux.
  2. Israël, à notre époque, sert de centre au rassemblement des exilés. Les immigrants arrivent de l’Est et de l’Ouest, de pays développés et de pays sous-développés; le mélange des différentes communautés et leur intégration dans une nation unique est l’une des tâches les plus essentielles et les plus difficiles d’Israël. Tous les efforts doivent donc être faits pour renforcer les facteurs qui favorisent la coopération et l’unité et pour extirper autant que possible tout ce qui contribue à séparer et à diviser.
  3. La communauté juive en Israël ne ressemble pas à la communauté juive de Diaspora. Dans ce pays, nous ne sommes pas une minorité soumise à la pression d’une culture étrangère ; ici, il n’y a pas besoin de craindre une assimilation des Juifs au milieu non-juif, telle qu’elle se produit dans de nombreux pays libres et prospères. Au contraire, il y a ici, dans une certaine mesure, des possibilités et des tendances à l’assimilation de non-Juifs au sein du peuple juif, particulièrement dans le cas de familles issues de mariages mixtes et qui s’installent en Israël. Tandis que les mariages mixtes en Diaspora sont un des facteurs décisifs d’une assimilation complète et de l’abandon du judaïsme, les mariages mixtes chez ceux qui arrivent ici, particulièrement d’Europe de l’Est, aboutissent en fait à la fusion complète avec le peuple juif.
  4. Par ailleurs, les Israéliens ne se considèrent pas eux-mêmes comme un peuple séparé des Juifs de la Diaspora ; au contraire, aucune communauté juive au monde n’est aussi profondément consciente de l’union et de l’identification avec les Juifs du monde entier que la communauté juive en Israël. Ce n’est pas par hasard que les Règlements fondamentaux du Gouvernement exigent du Gouvernement de prendre des mesures pour "l’approfondissement de la conscience juive chez les jeunes Israéliens, la recherche de leurs racines dans le passé du peuple juif et son héritage historique, et la fortification de leur attachement moral à la communauté juive mondiale, dans la prise de conscience de la destinée commune et de la continuité historique qui unit les Juifs de toutes générations et de tous les pays à travers le monde."

À la lumière de toutes les considérations ci-dessus, nous vous serions reconnaissants d’avoir l’obligeance de nous donner votre opinion sur la voie que nous devrions suivre pour l’enregistrement des enfants issus de mariages mixtes, dont les deux parents – le père juif et la mère non-juive – souhaitent déclarer leurs enfants comme Juifs.


David Ben Gourion


Note :
  1. Les réponses des quarante-trois "Sages" à la consultation de Ben Gourion ont été regroupées dans un volume en anglais: Jewish Identity, Modern responsa and opinions, A documentary compilation, Baruch Litvin, New York, Feldheim Publishers, 1965. Cet ouvrage donne aussi la liste alphabétique des personnalités contactées et leurs titres.


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