Les échanges entre André Neher et Emmanuel Lévinas, de même que leurs rencontres, ont souvent pour objet la préparation des Colloques des intellectuels juifs de langue française. Mais ils s’adressent également leurs publications respectives. Emmanuel Lévinas a reçu d’André Neher un exemplaire de L’existence juive, recueil qui regroupe des textes parus isolément. Il l’en remercie et lui exprime son intérêt à la lecture du livre.
Cher ami,
Je vous remercie de l’aimable envoi de L’existence juive. J’ai passé une bonne partie de mon samedi à en feuilleter les pages déjà lues ailleurs (et, à mon avis, il en reste dans vos cartons au moins la mesure d’un autre volume) et surtout à lire les études que j’ignorais et, notamment, celles que vous avez consacrées à Saül et Césarée-Babel et Jérusalem, que je trouve très remarquables. La dernière, par une espèce de coïncidence, faisait écho aux pages du Traité Meguila étudiées cette semaine même. Qu’on puisse se séparer de vous sur tel ou tel autre point, vous le concevez aisément. Mais il faudra vous remercier inconditionnellement d’avoir ouvert la dimension même de cette réflexion qui n’a pas encore de nom puisqu’elle se distingue et de la philologie des historiens qui renoncent à la recherche de la vérité et du réalisme naïf de l’orthodoxie incapable de philosophie. La difficulté de ce genre nouveau consiste peut-être à le pratiquer pour lui-même, à dire toutes ces choses directement et non pas à propos d’autre chose. Et là, il faut toute la grâce de votre texte – ce "je ne sais quoi" d’heureux et d’inimitable – qui assure l’équilibre. Je ne vous cacherai pas que, de plus, pour ma part, je ne vous lis pas seulement avec les yeux, mais toujours aussi avec l’oreille, comme une partition.
Je rentre de Marseille et d’Aix, où j’ai eu à parler sur l’invitation de cette charmante Madame Valabrègue devant un public judéo-chrétien (1). J’ai pu constater combien votre audience est grande partout. Ce voyage (que je crois même avoir fait un peu à cause de votre refus de dernière heure) m’a empêché de vous entendre chez Madame Halphen (2) et de travailler avec Messieurs Jules Braunschvig et Eugène Weill et vous-même. Il faut fixer dès maintenant l’heure de notre rencontre du 29 mars. Nous déjeunons au C.J.M. à 12h30 (3). À quelle heure pourrons-nous nous rencontrer à l’Alliance ? (4) Le matin ? En fin d’après-midi ? Je vous serais très obligé de me fixer dès que possible.
[…] Avec tous mes hommages pour Madame Neher et tous mes sentiments bien cordiaux.
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