48. à Renée NEHER, Paris

Renée Neher arrive à Paris au chevet de son père subitement affaibli. André Neher l’accompagne mais est rappelé d’urgence à Strasbourg car sa propre mère se trouve dans un état grave. Le samedi soir 21 décembre, Renée lui apprend par un coup de téléphone le décès du Docteur André Bernheim. André écrit à Renée, sous le coup de l’émotion, avant de la rejoindre à Paris pour l’enterrement. Celui-ci a lieu le 23 décembre. Le couple repart aussitôt pour Strasbourg où, trois jours plus tard, la mère d’André Neher, Rosette Neher, s’éteint à son tour, le 26 décembre.


Strasbourg, dimanche 22 décembre 1963, 15h

Je prends ce beau, ce bon papier de notre Papa (1) pour t’écrire, mon admirable, si courageuse, si unique Renée, tellement digne de Papa et de Maman (2). Tu agis comme ils voulaient, comme ils veulent que tu agisses, et tu me donnes la plus bouleversante marque de ton si profond et inépuisable amour.


Nous essayons, au téléphone, de nous mettre au courant l’un l’autre, jusqu’à ce que je puisse, enfin, te serrer dans mes bras et, devant le cercueil de Papa, donner l’ultime témoignage de notre union. Mais nous sentons aussi combien cette union est plus forte par cette grande épreuve, combien elle se confirme dans cette confiance réciproquement indéchirable, qui anima aussi l’union de Papa et de Maman.


C’est ce que je voulais t’écrire, ma Renée, si émouvante fille de Grand-Maman (3), comme j’essaie moi-même, timidement, d’être le fils de Papa. Le sublime geste de bénédiction paternelle, jeudi dernier, qui fut son ultime geste terrestre à mon égard, continuera éternellement à me placer devant lui, pour m’efforcer d’être plus digne de lui que je ne l’ai toujours été, dans le devoir et le courage, grave et souriant – à tes côtés, avec toi, qui n’y as jamais, jamais failli et qui as été par là la source de mon bonheur, comme tu l’étais de Maman et de Papa.


C’est, à dix-neuf ans de distance, un père qui me quitte, que je perds à nouveau. Nous ne nous connaissions pas encore, toi et moi, mais déjà Papa était au chevet de Grand-Papa Albert (4), comme pour annoncer le relais, comme pour me dire que mon Papa me serait, sous une autre forme mais avec la même bénédiction, redonné.


Puisses-tu, Renée, seule maintenant sur la route terrestre dans ta marche d’enfant, sentir qu’en moi tu retrouves plus intensément tout ce que Papa et Maman espéraient que tu trouves en moi, lorsqu’ils ont permis et souhaité que notre vie ne soit qu’une, lorsqu’ils ont eu le bonheur de constater, chaque jour, n’est-ce pas, Renée, que notre vie n’est qu’une. Puisses-tu retrouver en moi l’éternelle présence de leur bénédiction.


Je t’embrasse éperdument. Ton

Bou (5)

Notes :
  1. Le Docteur Bernheim, à la retraite, avait donné à André Neher des blocs de papier d’ordonnance qui lui restaient. Celui-ci les utilise souvent pour des notes de cours. Il s’en sert ici pour écrire à son épouse.
  2. "Papa" et "Maman" : André et Marguerite Bernheim, les parents de Renée Neher.
  3. Rosette Neher, la mère d’André Neher.
  4. Albert Neher ("Grand-Papa"), le père d’André Neher, est décédé en 1945. Renée Neher ne l’a pas connu mais son père, le Docteur Bernheim, réfugié à Lyon durant la guerre, avait soigné Albert Neher déjà très malade.
  5. Surnom affectueux donné en famille à André Neher.


© : A . S . I . J . A.  judaisme alsacien