52. au Grand Rabbin de France Jacob KAPLAN, Paris

Parmi les Juifs rapatriés d’Algérie se sont trouvés plusieurs rabbins qui souhaitaient, en France, exercer leur ministère dans des communautés formées également de rapatriés. Ils n’étaient pas diplômés du Séminaire Rabbinique de Paris mais avaient effectué leurs études rabbiniques auprès de yechivot ou de rabbins en Algérie. Le Grand Rabbin de France décide de leur accorder seulement le titre de "Ministres du Culte". Aussi les invite-t-il uniquement à la première journée de l’Assemblée Générale de l’Association des Rabbins Français, sans les convier à la seconde. André Neher, qui s’est énormément investi pour venir en aide aux rapatriés d’Algérie (1) et à ceux de leurs rabbins qu’il a pu rencontrer, s’insurge contre cette discrimination. Invité lui-même à cette Assemblée Générale, il explicite dans la lettre ci-dessous les raisons de son refus d’y assister.


Strasbourg, le 10 juin 1965

Cher Monsieur le Grand Rabbin,


J’ai bien reçu l’invitation à assister à l’Assemblée Générale de l’Association des Rabbins Français qui se tiendra le mardi 15 et le mercredi 16 juin 1965.

Je suis au regret de devoir vous dire que pas plus que l’année dernière, je n’assisterai cette année à cette Assemblée, et pour les mêmes raisons.


Vous savez combien la situation des Rabbins rapatriés d’Algérie, que vous appelez dans les documents officiels "Ministres du Culte responsables d’une Communauté", me tient à cœur. Je vous ai soumis différentes propositions d’un Statut provisoire, semblable à celui que la France avait accordé en 1918 aux fonctionnaires alsaciens du régime allemand (2). Je suis navré que vous n’ayez jamais soumis cette proposition à un examen sérieux.


Je trouve déplorable pour l’avenir de nos Communautés que les responsables d’une Communauté ne soient pas associés à la discussion des points de l’Ordre du Jour du mercredi 16 juin. Toutes les questions de cet Ordre du Jour devraient concerner au plus haut point les responsables des Communautés et je ne comprends pas que ces points soient discutés à huis clos.


De plus, la discrimination blessante établie entre Rabbins et Rabbins me paraît contraire aux principes élémentaires de l’éthique juive. Mieux vaudrait ne pas inviter du tout les "Ministres du Culte" que de les inviter pour un jour et de leur fermer les portes des réunions du lendemain. Je ne vois pas d’autre expression pour qualifier cette attitude que celle de melavin penei 'havero be-rabim et vous comprenez ma peine en constatant que ce sont les hautes autorités rabbiniques qui mettent en pratique un tel principe.


Je vous prie, cher Monsieur le Grand Rabbin, de croire à l’entière confiance que je place en vous pour reprendre l’examen de tout ce problème et vous voudrez bien accepter l’assurance de mes sentiments très déférents et dévoués.


André Neher

Notes :
  1. Cf. supra, "Note d’urgence" du 23.6.1962 et "Pas de vacances à l’Accueil" de juillet 1962.
  2. Lorsque, en 1918, l’Alsace est redevenue française, après quarante-huit ans d’annexion à l’Allemagne, des problèmes administratifs se sont posés. Un certain nombre d’enseignants, notamment, étaient titulaires de diplômes allemands inférieurs en niveau à ceux exigés par la législation française, mais ils avaient des années d’ancienneté. Le Gouvernement français a trouvé un moyen d’arranger les choses sans les obliger à repasser des examens, ce qui aurait été à la fois humiliant et impossible pour ceux ayant atteint un certain âge. A donc été constitué un "cadre local", valable uniquement pour ces cas spécifiques, et non reconductible. Après 1962, André Neher a proposé qu’un système similaire soit appliqué aux rabbins formés en Algérie et arrivés en France : les plus jeunes pourraient éventuellement passer les examens de l’École Rabbinique mais pour les plus âgés, il a suggéré de trouver une solution analogue à celle du "cadre local" d’Alsace.
Lexique :


© : A . S . I . J . A.  judaisme alsacien