Président de l’Amitié judéo-chrétienne de France, Paris
C’est au président de l’Amitié judéo-chrétienne de France et à ce titre qu’André Neher adresse à Jacques Madaule cette lettre qui se passe de commentaires.
Cher ami,
Un de mes amis strasbourgeois, Monsieur Raymond Heymann, vient d’assister à la représentation du "Vrai Mystère de la Passion" d’Arnoul Gréban (1), qui se déroule depuis le 11 juin sur le parvis de Notre-Dame de Paris.
La douloureuse émotion éprouvée par lui l’a blessé au cœur : elle lui a dicté une bouleversante lettre d’indignation et de révolte destinée à André Malraux, et dont vous voudrez bien trouver ci-joint la copie.
M. Heymann m’a remis, d’autre part, un exemplaire du luxueux programme édité par la Ville de Paris, sous le haut patronage d’André Malraux, de Monseigneur Feltin, de Monseigneur Blanchet, et d’une longue liste des plus hautes personnalités civiles et religieuses de Paris.
Ce programme comporte, en grande page, la reproduction de quatre gravures médiévales dont deux d’entre elles sont munies, en grands italiques, des légendes suivantes :
Ai-je besoin de dire quel choc cette lecture a provoqué en moi ? Vous le ressentez certainement comme moi et comme le ressentiront tous ceux qui ont le courage ou la candeur de prendre au sérieux la lutte menée contre l’enseignement du mépris, sous l’impulsion de Jules Isaac et de Jean XXIII.
Comment ! Dans l’année où le Concile (2) va terminer ses travaux, quatre années après la suppression du terme "perfides" dans la liturgie du Vendredi-Saint, ce terme, et d’autres analogues, s’étalent dans un texte imprimé, que liront et qu’emporteront avec eux des centaines de milliers de Français et d’étrangers, texte qui confirmera dans leur esprit l’antijudaïsme, l’antisémitisme, que la représentation même du Mystère d’Arnoul Gréban aura déjà suffisamment attisés en eux. Et parmi les hautes personnalités qui ont donné leur caution morale et au choix de cette pièce et à l’édition du programme, aucune, aucune n’a été frappée par la valeur douteuse du choix, par l’aspect révoltant de l’édition ?
Lorsque, il y a quatre ans, un incident semblable s’était produit en Bavière, à l’occasion d’une représentation de la Passion, une campagne de la presse démocratique allemande, suivie par une énergique intervention du haut clergé catholique, ont mis bon ordre au scandale. Faut-il maintenant que les spectateurs de Deggenburg, privés de leur passe-temps, viennent le retrouver heureusement devant le parvis de Notre-Dame de Paris, avec la conviction réconfortante que, tout de même, on est moins antisémite, à l’heure actuelle, en Allemagne qu’à Paris ?
Je sais, cher ami, que je puis compter sur vous pour une intervention énergique, susceptible de mettre très rapidement fin à ce scandale à Paris. Votre haute autorité morale devrait y suffire. Si, toutefois, vous jugiez utile une intervention de ma part, je suis tout à fait prêt à la faire, en particulier au titre de mes nouvelles fonctions de Président de la Section française du Congrès Juif Mondial : j’y succède à Edmond Fleg, et j’ai la lourde responsabilité d’essayer d’être digne de celui qui, depuis le Quai aux Fleurs, eût certainement accueilli avec stupeur et indignation les échos du parvis de Notre-Dame (3).
Je suis votre très amicalement dévoué
© : A . S . I . J . A. |