55. au CONGRÈS JUIF MONDIAL (Dr. Nahum Goldmann (1), Président)

Le texte final de la "Déclaration sur les Juifs" de Nostra Ætate a été présenté au Concile Vatican II par le Cardinal Béa (2) le 15 octobre 1965 (3). En tant que Président de la Section Française du Congrès Juif Mondial, André Neher souhaite une prise de position de toutes les Sections du C.J.M. pour exprimer l’inquiétude des Juifs face à cette Déclaration.


Paris, le 19 novembre 1965

La section française du Congrès Juif Mondial souhaite que le Congrès Juif Mondial dans son ensemble et dans les options qu’il sera appelé à prendre en coopération avec les autres organismes juifs mondiaux, prenne à l’égard de la Déclaration sur les Juifs, récemment votée par Vatican II, une position nette et exprime, en tant que réaction juive à ce document, des sentiments de déception pour l’heure actuelle, et d’inquiétude pour l’avenir.


S’il est légitime de reconnaître que la déclaration, prise pour elle-même, réalise un progrès notable sur l’attitude séculaire de l’Église et constitue une référence doctrinale qui n’existait pas jusqu’ici d’une manière aussi positive, il est néanmoins indispensable de souligner qu’en replaçant la Déclaration dans le contexte de sa genèse, des décalages apparaissent auxquels personne n’a le droit de rester insensible : décalage entre les rédactions primitives et la rédaction définitive ; décalage entre le climat courageux d’où l’idée de la Déclaration avait jailli (Auschwitz, Seelisberg, Jules Isaac, Jean XXIII) et la prudence ecclésiastique qui a présidé au vote.


S’il est légitime que les Chrétiens se préoccupent de savoir comment on pourra rendre efficace la Déclaration, dont trop de passages demanderont de subtiles exégèses, la réaction juive doit pleinement partager et exprimer le souci manifesté par un certain nombre de Catholiques, et notamment par l’Abbé René Laurentin, qui écrit dans Le Figaro du 16 octobre 1965 : "[…] Supposons que l’éternel retour de l’histoire ramène une nouvelle persécution, un nouveau génocide, alors le risque pris de n’avoir pas arraché plus à fond les racines passionnelles de l’antisémitisme sera jugé comme une faute grave au regard de l’histoire […]."


La Section française du Congrès Juif Mondial estime que c’est travailler à l’avancement des objectifs réels et souhaitables du rapprochement entre Juifs et Chrétiens que d’exprimer aujourd’hui, au lendemain de la Déclaration, des inquiétudes de ce genre. C’est en rappelant inlassablement qu’au XXe siècle, c’est Auschwitz, et non le Golgotha, qui constitue la référence essentielle du problème des relations judéo-chrétiennes, que l’on peut espérer insuffler un peu d’esprit à une Déclaration qui n’a pas eu le courage de mentionner explicitement cette référence, prolongeant ainsi la politique du silence de Pie XII, dans des conditions politiques qui n’avaient aujourd’hui rien de comparable avec celles de 1943.

André Neher

Notes :
  1. Nahum Goldmann (1895-1982) est l’un des fondateurs du Congrès Juif Mondial et son premier président pendant de longues années. Profondément sioniste, il pensait cependant qu’un État juif ne répondrait jamais aux besoins de tous les Juifs et défendait l’existence, voire la nécessité, d’une forte diaspora juive. Ces vues lui ont parfois été reprochées, notamment par André Neher, qui y voyait l’expression d’une mentalité essentiellement diasporique.
  2. Augustin Béa (1881-1968), prêtre allemand de l’ordre des Jésuites, a été ordonné Cardinal par Jean XXIII en 1959. Il a été nommé à la tête du Secrétariat pour l’unité des Chrétiens et chargé des relations de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes, y compris le judaïsme. Le Cardinal Béa a toujours eu en faveur des Juifs des positions courageuses qu’il défendait fermement mais il a rencontré une forte opposition au sein du clergé romain.
  3. Cf. Les Églises devant le judaïsme – Documents officiels, 1918-1978, Textes rassemblés, traduits et annotés par Marie-Thérèse Hoch et Bernard Dupuy*, Paris, Cerf, 1980.


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