56. de Elie WIESEL, New York (U.S.A.), à André Neher

Le Puits de l’Exil, la théologie dialectique du Maharal de Prague a paru en janvier 1966 et André Neher en a offert des exemplaires à certains amis. Au reçu de cet envoi, les réactions de personnalités aussi différentes qu’Elie Wiesel et le rabbin Moché Botschko, de la Yechiva de Montreux, témoignent de l’importance de ce livre. André Neher est l’initiateur des études maharaliennes en France où le Maharal de Prague est alors très peu connu, même dans les milieux juifs les plus attachés à la tradition.

Cette lettre est traduite de l’hébreu.


10 février 1966

Cher Professeur Neher,


Dans votre ouvrage sur le Maharal, vous m’avez fait découvrir deux mondes : le sien et le vôtre, et surtout le pont qui relie ces deux mondes. On y trouve des pages dans lesquelles on a l’impression que votre pensée court au-delà de sa pensée, comme pour lui ouvrir le chemin ; et la rencontre va au-delà de la pure recherche scientifique.


J’ai été tellement impressionné que j’avais l’intention de vous écrire une longue lettre – en m’arrêtant devant la beauté de telle ou telle explication nouvelle (par exemple l’idée des deux "palmes" avec le vide au milieu) (1), de telle ou telle expression – mais j’ai décidé qu’avant tout il fallait que je lise la source : le Maharal lui-même.


Car – je dois l’avouer : ses écrits ne m’étaient pas très connus. Chez nous, à la yechiva, on étudiait le Maharcha et le Maharam, ou le Tossafoth Yom Tov (2). Mais pas le Maharal. Le Maharil (3), on l’étudiait, mais pas le Maharal. Et ainsi donc, il faut que je retourne vers lui.


Mais je peux déjà vous dire que je vois dans votre livre une espèce de continuité par rapport aux livres qui l’ont précédé. Vous vous étendez longuement sur la puissance de synthèse du Maharal : c’est bien également la vôtre. Certes, je ne pense pas que vous vous situez toujours "au milieu" mais les deux extrémités vous traversent, et là est votre grand mérite : restituer une tonalité de sainteté à la pensée juive.


Heschel et moi-même discutons beaucoup de vos œuvres. Je lui ai déjà parlé de ce dernier livre. Et nous essaierons tous les deux, avec nos forces réunies, de trouver un éditeur en anglais. C’est très simple : le judaïsme américain a besoin de votre contribution, exactement au même titre que le judaïsme français, et peut-être plus encore.


"La troisième dimension" (4), dans votre ouvrage, constitue une création littéraire de première grandeur.


Recevez, mon Rav et Maître, une plénitude de bénédictions et soyez en paix (5). Avec mon profond respect, votre


Elie Wiesel

Notes :
  1. Ce thème est particulièrement développé dans le chapitre 16, intitulé "Les deux palmes vides".
  2. Trois éminents talmudistes d’Europe Centrale de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, à peu près contemporains du Maharal de Prague. Leurs œuvres sont très étudiées dans les yechivot.
  3. Maharil : Yacob ben Moshé Moellin (début du XVe siècle), talmudiste et astronome d’Europe Centrale.
  4. Titre de la troisième partie du livre.
  5. Formule élogieuse caractéristique du style "fleuri", propre à un certain type de correspondance en hébreu.
Lexique :


© : A . S . I . J . A.  judaisme alsacien