68. au Congrès Juif Mondial

À son retour d’Israël, André Neher, en tant que Président de la Section française du Congrès Juif Mondial, juge indispensable de faire partager ses émotions aux responsables des différentes sections du C.J.M. Il y joint un appel à de nouvelles responsabilités.


Strasbourg, le 19 juin 1967

Chers amis,


Je reviens d’Israël où j’ai passé une semaine, partageant la vie d’un peuple aussi héroïque et noble dans la paix revenue que dans la guerre d’hier.

J’ai vu le jeune soldat revenir du front, déposer son fusil et reprendre aussitôt, sans délai ni transition, son tracteur ou sa charrue. J’ai assisté au recyclage pacifique d’un peuple vainqueur. Sans gloriole, ni cocardisme, il porte en lui la légende des cinq jours de lutte et de gloire, il compte fraternellement ses morts ; il rebâtit, sur les ruines ; il trace les plans et les programmes d’une existence qui surgira, renouvelée, du feu de l’épreuve ; déjà, il commence à les sculpter dans la réalité.


Revenu aux sources de deux mille ans d’histoire, porté par l’extase de centaines de milliers de frères et de sœurs, j’ai prié, chanté, pleuré, à l’aube de Chavouot, devant le Mur du Temple, cette muraille debout et radieuse, entre la terre et le ciel, comme une Mère accueillant ses enfants (1).


À l’instar d’autre Juifs de France, d’Angleterre, de Suisse, de Belgique, j’ai essayé d’apporter à Israël un peu de votre présence, le message d’identification de la Diaspora avec le destin messianique d’Israël. Chabbat dernier, en rencontre solennelle, le Grand Rabbin Jacubovitz (2), pour le judaïsme d’Angleterre, le Professeur Nelson Gluck (3), pour le judaïsme des États-Unis, et moi-même, pour le judaïsme de France, nous avons dit au Président de l’État d’Israël, Zalman Chazar (4), et au Maire de la Jérusalem-Libérée, Teddy Kollek, notre volonté inébranlable de partager, avec Israël, les responsabilités du Nouvel Israël (5).


Ces responsabilités, à l’heure actuelle, on peut à peine les embrasser du regard. Elles sont matérielles, politiques, morales, intellectuelles, religieuses, spirituelles. Elles devront culminer dans un grand mouvement d’alya. Elles sont à la mesure des événements gigantesques et bouleversants qu’il nous est donné de vivre.


Pour l’instant, elles exigent, de la part de la Diaspora, une disponibilité constante, une vigilance et une discipline sans faille, une lutte permanente dans l’unité retrouvée. Je sais que les Juifs de France sont et restent prêts à répondre au moindre de nos signes, à chacun de nos appels, à toutes les directives qui leur ont été et qui leur seront données. Je voudrais simplement vous dire, aujourd’hui, à mon retour d’Israël, qu’Israël, dans l’admirable accomplissement de son devoir messianique, nous fait confiance et attend que nous assumions notre part de ce devoir. L’unité du peuple juif à travers le monde constitue plus que jamais l’une des composantes décisives de l’espoir d’Israël.


Professeur André Neher

Président de la Section Française du C.J.M.

Notes :
  1. Pendant toute l’occupation jordanienne et contrairement aux accords d’armistice de 1948-1949, les Juifs n’ont pas eu le droit d’approcher du Mur Occidental. Les tout premiers jours après la fin de la guerre des Six Jours, des tireurs jordaniens isolés empêchaient encore l’accès au Mur. À l’aube de Chavouot 1967, pour la première fois depuis dix-neuf ans, les Juifs ont pu se rendre au Mur Occidental.
  2. Grand Rabbin d’Angleterre.
  3. Archéologue, représentant du judaïsme libéral aux États-Unis.
  4. Zalman Chazar (1889-1974) a été élu troisième Président de l’État d’Israël en 1963, succédant à Itzhak Ben-Zvi, puis a été réélu pour un second mandat présidentiel de 1968 à 1973.
  5. Dans une lettre du 20.6.1967 à Claude Kelman, André Neher précise davantage le contenu des rencontres auxquelles il a assisté en Israël :
    "[…] 2°) J’ai pu participer à un colloque chez le Professeur Talmon avec Elie Wiesel, André Schwarz-Bart, Claude Vigée, Agnon, Hazaz, Michel Salomon, et aussi des intellectuels israéliens et des officiers de l’armée israélienne. La conclusion intéressante était que l’aide de la Diaspora, sur le plan politique et moral, devait consister plutôt à consolider le potentiel d’unité juive acquis depuis ces dernières années de crise, qu’à essayer d’influencer le monde non-juif. Ce travail ne doit naturellement pas être négligé, mais la Diaspora rendra plus de services à Israël en restant une force juive vive et unie.
    3°) J’ai eu le privilège de représenter le judaïsme français dans la maison du Président Chazar, où s’étaient réunis, pour une séance constructive, la municipalité de Jérusalem, le Chief Rabbi Jacubovitzreprésentant le judaïsme anglais et le professeur Nelson Gluck pour le judaïsme des États-Unis. Nous nous sommes engagés solennellement à ne reculer devant aucun sacrifice matériel, financier ou moral pour aider Israël à faire de la Jérusalem unifiée la capitale lumineuse d’Israël et un lieu de conscience pour tous les hommes. […]" (© Archives André Neher)
Lexique :


© : A . S . I . J . A. judaisme