Après le décès de Jean Dahhan en 1966, André Neher est resté très lié à son frère Bernard Dahhan (1), artiste peintre, philosophe et historien de l’art, lui aussi atteint, comme son frère, d’une myopathie. Ils entretiennent une correspondance régulière. En réponse à une lettre de Bernard Dahhan d’octobre 1968, André Neher lui écrit pour lui faire part de sa satisfaction d’enseigner à des étudiants de l’Université de Tel-Aviv, dont il apprécie la soif de connaissances et le sérieux.
Jérusalem, le 8 novembre 1968
Mon cher Bernard,
Votre lettre m’a apporté un peu de votre présence, qui me manque beaucoup. Je suis pris ici dans un rythme très diversifié et accaparant de travail (cours à l’Université, conférences, séances de travail pour les problèmes de l’alya, etc.) qui ne me permet pas de faire des pauses et de reprendre haleine – sauf le Chabbat, évidemment, dans cette inépuisable atmosphère spirituelle de Jérusalem. Vos lettres me permettent ces haltes bienvenues, avec celles de Mme Amado [Lévy-Valensi], mais qui se font bien rares ces dernières semaines : nous l’attendons pour bientôt à Jérusalem (2).
Je vois que, vous aussi, vous êtes pris dans un rythme prenant, où les difficultés ne manquent pas. Je suis heureux que vous ayez pu surmonter celles du Centre et que vous puissiez poursuivre ce travail, un peu ingrat et lourd, mais dont bénéficient vos élèves (3).
Mes premiers contacts avec les étudiants de Tel-Aviv m’ont fait beaucoup penser à votre propre expérience pédagogique. J’ai trouvé ici des jeunes gens avides d’apprendre, reconnaissants de ce que je leur donne, entrant spontanément dans un dialogue vivant : le climat de vos propres cours – qui est, en France, si rare dans les Écoles ou dans les Facultés, où trop de jeunes sont blasés, sans idéal, sans ressort. Il est vrai qu’en Israël, les jeunes entrent à la Faculté leur service militaire accompli (trois ans !) ; ils sont donc mûris par une expérience dure, ils ont déjà découvert le plan sérieux de la vie et, surtout, dans tous leurs projets, il y a une finalité, un refus de l’absurde, une intention de conscience, qui me font retrouver le niveau des analyses de Jean [Dahhan] et des vôtres, et m’en offrent une confirmation "sur le terrain", si j’ose dire.
Vous comprenez au ton de ces lignes combien je suis satisfait de mon enseignement. Jusqu’ici, je n’avais fait en Israël que des conférences – brèves apparitions d’un soir ; maintenant, c’est un compagnonnage continu et approfondi avec des jeunes dont je sens combien ils sont réceptifs. Deux de mes leçons portent sur des philosophes juifs (le Maharal de Prague, XVIe siècle, et Nahman Krokmal, XIXe siècle), la troisième sur un sujet théologique ("Le silence de Dieu et le silence des hommes dans la Bible"). Ce sont, en réalité, des leçons de deux heures chacune, assez astreignantes, et faites, naturellement, en hébreu.
Ma femme travaille surtout dans les Bibliothèques et les Archives (4), et nous recevons beaucoup de jeunes "'olim" [nouveaux immigrants], venus récemment de France s’installer en Israël : M. Hazan et sa famille sont parmi eux, et ils s’adaptent merveilleusement.
Pour vous-même et pour votre chère Maman, que nous espérons en excellente forme, nos pensées les plus affectueuses et les plus fidèles.
Chalom mi-Yerouchalayim. Ma femme se joint à moi pour ce Chalom de Jérusalem !
Votre
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