143. à APPROCHES (la Rédaction), Haïfa

Le philosophe-poète Benjamin Fondane, mort à Auschwitz, est l’auteur, avant la seconde guerre mondiale, d’une œuvre exceptionnelle. André Neher, qui a été l’un de ses premiers admirateurs, vient de recevoir un numéro spécial consacré à Benjamin Fondane, publié par la revue littéraire Approches, de l’Université de Haïfa. Il écrit à la Rédaction de la revue pour exprimer sa déception face à ce qu’il ressent comme une injustice : que lui-même soit absent de ce numéro spécial. C’est pour lui l’occasion de rappeler combien Benjamin Fondane est pourtant présent dans son œuvre.


août 1985

Projet de lettre (1)


Le Numéro spécial est assurément très précieux, notamment par la publication des nombreux inédits. Mais, dans l’ensemble, il donne l’impression que ce n’est qu’avec le travail (admirable, par ailleurs) commencé par Michel Carassou (2) vers 1978 que tout a commencé pour la "découverte" de Benjamin Fondane.
Cela est injuste pour des chercheurs 'olim [nouveaux immigrants] de Roumanie, que je connais à Jérusalem et qui ont travaillé sur Fondane en Roumanie et ne souhaiteraient pas mieux que de continuer leur travail ici… si on s’adressait à eux.


Cela est injuste aussi pour des chercheurs 'olim de France, qui auraient eu quelque chose à dire… si l’on s’était adressé à eux. Peut-être croyez-vous que je pense à moi-même ? – Eh bien, oui ! J’avoue être déçu (à juste titre, je le crois) de ne figurer dans ce Numéro spécial que par deux mentions bibliographiques postérieures à 1979.

Connaît-on si peu, à Haïfa, à Tel-Aviv où j’ai pourtant enseigné moi-même, l’œuvre d’André Neher ? On pourrait écrire une étude (qui ne serait pas amusante seulement, mais instructive et indicative du mouvement par lequel l’œuvre de Benjamin Fondane a été patiemment tirée de l’oubli), oui, une étude sur les références (brèves ou denses, mais constantes et continues) au nom et à l’œuvre de Benjamin Fondane dans l’œuvre d’André Neher.


Depuis Transcendance et Immanence, conférence prononcée en décembre 1945, publiée en 1946, reprise en 1962 dans le volume L’existence juive, depuis aussi ma thèse de doctorat sur Amos, soutenue en 1947, publiée en 1950, à travers livres, études, articles (souvent dans des encyclopédies dans lesquelles le nom de Benjamin Fondane, "oublié" dans les rubriques générales littéraires ou philosophiques, apparaît seulement grâce à ma contribution sur la pensée juive), j’ai composé un panorama spirituel, juif surtout, de Benjamin Fondane, dont je n’ai donné dans Ils ont refait leur âme (1979), cité dans votre bibliographie, qu’un trop bref résumé. Grâce à la jonction que j’ai établie dans mon Moïse et la vocation juive (1956) entre le thème de l’Exode et le poème de Fondane, "C’est à vous que je parle, hommes de antipodes", que j’ai inséré dans ce Moïse, grâce aussi à la diffusion de ce Moïse qui est mon best-seller, ce poème de Fondane a réapparu, depuis 1956, dans les différentes langues dans lesquelles mon Moïse a été traduit jusqu’ici […] : anglais, italien, espagnol, allemand, hébreu, japonais… Une étude comparative de ces traductions serait, en elle-même, instructive.


Ensuite, les si nombreuses conférences où j’ai parlé de Fondane ! Elles sont naturellement moins connues. Pourtant, beaucoup d’entre elles ont été publiées en plaquettes ou insérées dans l’un ou l’autre de mes livres. En cherchant bien, le chercheur peut les trouver…

Une note émouvante pour terminer et pour souligner notre fidélité à Benjamin Fondane : en mai dernier, lors de la commémoration du quarantième anniversaire de la libération des camps, devant le monument de Roglit, où figure le nom de Benjamin Vecsler (c’est-à-dire : Benjamin Fondane) et celui de sa sœur, dans le convoi n° 75 de Drancy à Auschwitz, ma femme a lu ce poème de l’Exode : "C’est à vous que je parle…". À ce moment, à cette place, c’était bouleversant…


Notes :
  1. Nous publions ce projet de lettre tel que nous l’avons retrouvé dans les Archives André Neher.
  2. Ni Benjamin Fondane ni sa sœur, tous deux morts à Auschwitz, n’ont eu d’enfants. La veuve de Fondane, Geneviève Fondane, après avoir eu la certitude de la mort de son mari, est entrée dans la Communauté de la Solitude de Notre-Dame de Sion, confiant à sa sœur le soin de s’occuper des œuvres de Benjamin Fondane. Celle-ci a elle-même chargé Michel Carassou, qui travaille dans l’édition, de s’en occuper.
Lexique :


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