Une maladresse considérable est sans doute à l'origine de l'embargo mis
par le ministère français de la Culture sur le transfert à Jérusalem de
la synagogue de Balbronn dans le nord de l'Alsace.
Un peu plus de cent ans se sont écoulés depuis qu'a été édifié sur cette terre d'Alsace, le bâtiment de style néo-roman de la synagogue de Balbronn.
Sa façade en grès rose des Vosges, ses galeries et ses balustrades en bois de sapins devaient être transférées à Pisgat Zeev dans le Nord de Jérusalem afin de servir de lieu de culte à la communauté francophone de ce quartier dès les fêtes de Roch HaShana (nouvel-an juif) qui doivent se tenir avant la fin du mois.
Or, cette heureuse initiative a été récemment bloquée par une décision du cabinet du ministre de la Culture, Catherine Trautmann, qui est pourtant une amie sincère de la communauté juive. Une grande partie des Français de Jérusalem et d'ailleurs ont été bouleversés par la suspension de ce projet exemplaire et ils l'ont fait savoir aux personnalités politiques concernées par cet acte profondément choquant. Les membres de cette communauté ont en effet peine à comprendre pour quelle raison ils doivent subir ce préjudice moral indéniable.
Une histoire exceptionnelle
L'affiche qui était apposée sur le chantier à Jérusalem : "Ici sera construite la synagogue Nahalath Emeth. Transfert en Israël, reconstitution et reconstruction de la synagogue de Balbronn (Alsace, France), édifiée en 1895 par les Juifs de Balbronn, et désertée par une communauté disparue." |
Voir
le débat au Sénat du 25 novembre 1998 |
Grâce à un très généreux philanthrope et au don du terrain par la municipalité de Jérusalem, le montage de cette opération complexe a abouti, et obtenu dès 1993 toutes les autorisations nécessaires, y compris celle de l'architecte des Bâtiments de France. Maintenant, après l'embargo, le groupe de travail qui pilote l'opération souligne que ce brusque changement de politique a d'ores déjà causé des pertes financières considérables.
Que va devenir la plate-forme de 400 mètres carrés réalisée par la communauté francophone de Pisgat Zeev pour accueillir ce bâtiment ? Qui pourra éviter la cascade de procès que ne manqueront pas d'intenter les sous-traitants qui ont investi un travail important dans ce projet ? A Strasbourg, des marchés pour le démontage de l'édifice avaient été signés avec une entreprise spécialisée dans les monuments historiques ainsi qu'avec des artisans alsaciens chargés de sauver les vitraux, les boiseries...
L'écrivain Elie Wiesel prend une part active à la défense
de ce projet car la synagogue de Balbronn a pour lui valeur de symbole. Il semblerait
toutefois que jusqu'à ce jour ses interventions personnelles soient restées
sans réponse.
Il faut rappeler aussi que l'intégralité du financement a été
trouvé auprès de philanthropes américain proches du prix
Nobel Elie Wiesel, conscients de la dimension hautement émotionnelle
du projet. Qui remboursera les cinq à six millions de francs investis
dans l'opération ?
Cette malencontreuse affaire a soulevé une émotion d'autant plus vive au sein de l'importante population française d'Israël qu'une partie non négligeable de la communauté juive de Balbronn et de ses alentours a malheureusement disparu dans la Shoah.
C'est sur la foi d'un avis favorable de l'architecte des bâtiments de France que des investissements considérables ont déjà été effectués, et une structure d'accueil réalisée à Jérusalem. Il ne faut pas minimiser l'importance de cette affaire : cet embargo représente l'éclatement d'un symbole fort de l'amitié franco-israélienne, qui doit être préservée et qui peut l'être. La présence et l'éclat d'une ancienne synagogue de France, en terre d'Israël aurait constitué une trace tangible de la production et de la symbiose de deux grandes cultures et de la mise en valeur d'un patrimoine artistique commun.
Une décision injustifiée
Tout le monde sait que l'art des cathédrales a puisé une partie de sa force dans l'inspiration biblique. On sait moins que cette synagogue du XIXe siècle que l'on a voulu faire surgir de son écrin alsacien pour la placer sur le haut des collines de la ville sainte, est directement inspirée d'un art européen emprunté par les Juifs à leur milieu. Le temple de Balbronn constitue un organe à ressusciter pour les fils des générations de survivants.
Les technocrates qui peuplent les cabinets ministériels ont été incapables de mesurer l'onde de choc et l'intensité de la polémique en cours, car ils ont pris une décision d'urgence sans aucune concertation. Même en recoupant nos sources, nous avons peine à percer les raisons mystérieuses qui ont présidé à la mise sous embargo du transfert d'une synagogue. Et si le mobile invoqué était le bon, en serait-il plus acceptable ? Selon certaines informations, c'est la peur des réactions de J-M. Le Pen qui aurait présidé à la suspension de ce projet. Les hommes politiques que nous avons alertés ont tout de suite compris notre réaction, et ont sans doute réalisé que cette mise sous séquestre s'inscrit bien à contre-courant de la volonté de M. Jospin et du président Chirac de reconnaître des droits aux survivants de la déportation en France.
Le transfert d'une synagogue n'est pas un acte banal. Bien au contraire, la reconstruction de cette Maison de prières symboliserait de façon spectaculaire le pont jeté entre deux séquences de l'histoire, entre deux continents pourtant soudés par le sens de la civilisation. Nos amis en France, parmi lesquels M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères du Sénat, ne s'y sont pas trompés et ils s'emploient maintenant à faire revenir les fonctionnaires négligents sur une décision injustifiée qui jette le trouble dans nos consciences.
Tous les efforts déployés par les Français d'Israël pour faire entendre leur voix n'ont pas encore abouti à l'annulation de cet embargo, mais ils n'auront de cesse avant d'avoir obtenu le transfert de la synagogue de Balbronn sous le soleil de Judée.
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