Le judaïsme rural dans le Bruch de l'Andlau : l'exemple de Fegersheim
Bertrand Rietsch
Publication de la Société d'Histoire des Quatre Cantons
(Benfeld, Erstein, Geispolsheim, Illkirch-Graffenstaden) - 2003


Cet article ne se veut pas une étude exhaustive du judaïsme de notre village : il s'agit plutôt de proposer une chronologie pouvant servir à la compréhension de l'essor et du développement de cette communauté, de sa difficile acceptation dans un milieu villageois catholique, puis de son extinction récente.
En faisant le bilan des publications ayant trait à l'évolution de Fegersheim, force est de constater que très peu de documents traitent de la communauté juive de ce village, pourtant l'une des plus importantes du sud de Strasbourg, se montant au plus fort de son développement à plus du quart de la population villageoise.

I.   LES DONNÉES

L'étude du monde juif avant la Révolution de 1789 se révèle être une tâche ardue, du fait de certaines particularités propres aux coutumes et rites juifs.

1. La relative rareté des documents

Si dans les villages catholiques ou protestants les divers moments forts de la vie tels que les baptêmes (ou naissances), mariages, sépultures (ou décès) sont répertoriés dans les registres paroissiaux, il n'existe rien de comparable chez les israélites avant la Révolution française. De ce fait, les principales sources d'information sont les suivantes :

L'étude de ces différents documents permet de reconstituer avec le plus de sérieux et précisions possible la généalogie des familles, et par là-même les liens tissés par la communauté, d'une part à l'intérieur du périmètre villageois, d'autre part vers l'extérieur. Il est à noter le fabuleux travail de A. A. Fraenkel qui a recensé tous les contrats de mariages juifs du 18ème siècle dans les deux départements des Haut- et Bas-Rhin (1). Ce document sera l'une des références du présent article.

2. L'absence de noms patronymiques

La tradition juive veut qu'un enfant porte son prénom, accolé au prénom de son père. Ainsi, lorsque l'on parle de Salomon Isaac, il s'agit de Salomon, fils d'Isaac. Si Isaac était le fils de Nathan, la chaîne s'établirait de la façon suivante : Salomon Isaac fils de Isaac Nathan, lui-même peut-être fils de Nathan Hirsch, etc. Certains prénoms étant très répandus (Salomon, Isaac, Lôb, Nathan, Gabriel...), les cas d'homonymie sont très fréquents, et la reconstitution familiale en est rendue d'autant plus délicate. Dans l'exemple ci-dessus, il apparaît que le grand-père paternel de Salomon Isaac s'appellerait Nathan Hirsch : il n'y a plus aucun "signe" de parenté entre le petit-fils et son grand-père paternel.

Pour remédier à cet inconvénient et devant l'accroissement rapide des populations, un décret promulgué par Napoléon Bonaparte en 1808 imposa à tous les juifs de prendre un nom patronymique sous trois mois. Là aussi, un précieux document (2) établi par Pierre Katz vient à notre secours ; il s'agit du répertoire exhaustif de toutes les prises de nom par les juifs du Bas-Rhin, reprenant la.constitution de chaque famille (chef de famille, épouse, enfants...), avec leurs noms avant 1808 et leur nouveau patronyme après 1808.

Ces réserves étant faites, nous aborderons la question juive sous les aspects démographiques, sociaux puis architecturaux. Les juifs de Fegersheim n'étant pas très nombreux dans le tout début du18ème siècle siècle, le parti a été pris de citer leurs noms ; cette façon de procéder permet de se faire une idée des patronymes en vigueur à cette époque, tout en gardant un certain respect vis-à-vis de ces "anciens".

Les textes en caractères italiques correspondent à la transcription intégrale des lettres et documents tels qu'ils ont été écrits en leur temps : les fautes d'orthographe ne sont donc que le reflet des façons d'écrire de l'époque conjuguées aux difficultés que pouvait avoir celui qui tenait la plume !


II.   LA SITUATION DE DÉPART, L'HISTOIRE RÉGIONALE

Sans vouloir reprendre l'histoire régionale juive, nous nous contenterons de poser quelques jalons servant à dépeindre la situation.

En 1349, l'Alsace est ravagée par la peste noire et la ville de Strasbourg menacée par ce fléau. Pour essayer d'endiguer cette catastrophe, les évêques se réunissent à Benfeld, accusent les juifs de répandre la maladie et décident de supprimer tous les juifs de Strasbourg. Le massacre eut lieu, mais cela n'empêcha pas la ville de subir de plein fouet les ravages de la peste. Après quelques épisodes d'acceptation de résidence des juifs moyennant le payement de taxes élevées, un édit de bannissement est promulgué en 1389 : de ce fait, les juifs sont interdits de résidence à Strasbourg durant quatre siècles, soit jusqu'en 1789. Nous citerons A. M. Haarscher (3) : "Ceux qui n'ont pas péri pendant ces massacres se sont réfugiés dans les petits villages... De citadin qu'il était, le judaïsme alsacien est devenu rural... Il est cependant permis aux juifs, si leurs affaires le nécessitaient, de passer la nuit soit au poste de garde, soit dans des auberges désignées par le Magistrat."

C'est dans ce contexte que se développera la communauté juive de Fegersheim. Le village, situé à 12 km au sud de Strasbourg, permet de se conformer aux obligations citées ci-dessus : résider hors des murs de Strasbourg, mais pouvoir y aller lorsque les affaires le nécessitent


III.   LE CONTEXTE MULTI-RÉGIONAL DU GRAND EST DE LA FRANCE

La carte reproduite ci-contre représente la dispersion des différentes communautés juives en 1850 dans le Grand Est français. Elle est extraite du livre de Michel Rothé et Max Warschawski (4).

On peut noter le "vide" entre Fegersheim et Sélestat : nous verrons ultérieurement que c'est surtout dans cette partie de l'Alsace que les juifs de Fegersheim chercheront leurs conjoints.
L'habitat juif alsacien est constitué de deux pôles essentiels : le Kochersberg dans le Bas-Rhin et la zone Wintzenheim-Soultz dans le Haut-Rhin.


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