Le judaïsme rural dans le Bruch de l'Andlau : l'exemple de Fegersheim Bertrand Rietsch
Publication de la Société d'Histoire
des Quatre Cantons (Benfeld, Erstein, Geispolsheim, Illkirch-Graffenstaden) - 2003 |
XI. LA VIE DE TOUS LES JOURS, LES DIFFICULTÉS
A partir de la Révolution française, tous les citoyens sont libres et égaux. Tel est le sens des mots Liberté, Egalité, Fraternité, mais comme le plagiait un humoriste français décédé il y a quelques années : "Certains sont plus égaux que d'autres" (Coluche).
1. Dette de la Nation Juive d'Alsace
Tout d'abord, il y eut l'obligation de régler la Dette des Juifs d'Alsace. La lettre ci-dessous est reproduite avec l'orthographe de l'époque !
Lettre des juifs de Fegersheim, en mars 1807, à son Excellence Monseigneur le Ministre de l'Intérieur à Paris (36) :"Les soussignés habitans de la commune de Fegersheim... ont l'honneur d'exposer très humblement à Votre Excellence, qu'en exécution des délibérations des directoires des départements des haut et bas-Rhin du 1. juillet 1793, confirmés par arrêté du gouvernement du 18 Brumaire an 12 et de la répartition approuvée par Monsieur le Conseiller d'Etat-Préfet du département du bas-Rhin le 31 mai 1806, rendu exécutoire par l'art. 1 du décret impérial du 27 octobre dernier, le tout ayant pour objet l'extinction des dettes de la ci-devant nation juive d'Alsace, ils viennent d'être sommé de payer des sommes considérables entre les mains du caissier nommé à cet effet.
Ils se seroient aussi empressé d'effectuer le versement des sommes à eux imposées dans la répartition, si celle-ci auroit été faite proportionellement aux facultés et à la fortune réelle de chacun des membres de la nation juive, mais cette répartition est vicieuse dans son principe.
Ceux des membres de cette nation qui ont le plus de fortune, s'y trouvent porté pour des sommes modiques, et ceux qui par leur petit commerce et leur industrie gagnent à peine le plus nécessaire à leur existence, précaire, s'y trouvent impôsés à des sommes considérables.Cette disproportion dans la répartition provient de ce qu'on a pris pour bâse le montant des contributions publiques payées par chacun d'eux, au lieu de prendre pour bâse la fortune réelle de chacun.
Le riche qui fait valoir son argent en plaçant de fortes capitaux ne paye que la contribution personnelle et nobiliaire et se trouve conséquemment porté pour une somme très modique dans la répartition, tandis que le pauvre colporteur ou commerçant qui est dans le cas de payer outre la contribution ci-dessus encore le droit de patente s'y trouve porté pour des sommes considérables qu'il est dans l'impossibilité d'acquitter.
Et comme le Gouvernement, en ordonnant que les dettes de la ci-devant nation juive d'Alsace seroient supporté par tous les membres solvables de cette nation, avoit d'après tous les principes de Justice, l'intention d'y faire contribuer chacun en proportion de ses facultés et de sa fortune réelle, les soussignés très humbles supplians, ont l'honneur de prier Votre Excellence, de vouloir bien avoir égard à leurs observations et après les avoir pesé dans sa sagesse, engager sa Majesté l'Empereur et Roy à établir une autre bâse que celle des contributions publiques pour la répartition de la somme nécessaire à l'extinction des dettes de la nation juive d'Alsace.
Se reposant entièrement sur les sentimens de Justice de Votre Excellence, ils ont l'honneur d'être, Monseigneur
De Votre Excellence, les très humbles et très obéis-sans serviteurs.
Signé : Samson Bloch, Abraham Hemmerdinger, Salomon Raphaël, David Abraham, Michel Wolff Jonas Elias, Israël Jacob, Auscher, Nn, Isaac Jacob, Nathan David, Salmen Salomon.
Vu par nous Maire de la commune de Fegersheim la pétition ci-dessus signé par douze individus juifs habitans de cette commune et le contenu d'icelle certifié véritable Fegersheim ce 25 mars 1807 signé Schneider
S'ensuit une longue suite d'échanges de courrier, qui se terminera dix ans plus tard par le paiement des derniers concernés.
Ci-dessous trois suppliques représentatives de l'ensemble de celles envoyées, avec les réponses qui leur ont été apportées. Entre la date de la délibération (1793), confirmée en 1806, rendue exécutoire en 1807, et la fin des litiges (1817), il s'est écoulé 24 ans, soit l'équivalent d'une génération !
"... ont l'honneur de vous exposer... pour obtenir chacun d'eux la décharge d'une somme de 31 francs... l'exposant père âgé de 76 ans a été déjà depuis quelques années entretenu par le travail de son fils cadet, et les deux pauvres gagnent à peine leur existence journalière."
• Avis de Jacob Meyer, grand rabbin : "... propose d'exempter totalement le nommé Abraham Bloch qui figure sur le rôle sous le nom d'Heymann Bloch ; et de réduire à moitié la cotisation d'Israël Bloch. Strasbourg, 20 mai 1816."
• Proposition acceptée le 27 mai 1816 par le Conseil de Préfecture.
"... il se trouve cotisé ... pour une somme de 18 francs 28 centimes, comme il se trouve très pauvre, hors d'état dans ces tems de gagner pour lui et sa famille seulement le pain, ne peut même pas réparer sa chaumière qui menace ruine... il ose donc vous prier de vouloir bien ordonner qu'aucune poursuite soit dirigé contre lui, qui acheveroit de le rendre avec sa famille errant..."
• Avis de Jacob Meyer, grand rabbin : "... Le Consistoire propose de réduire à la moitié la cotisation du pétitionnaire. Strasbourg, le 27 mai 1816."
• Proposition acceptée le 1 juin1816 par le Conseil de Préfecture.
"... a l'honneur de vous exposer, que depuis l'assassinat commis dans la forêt de Hjyysheim sur la personne du mari de l'exposante, elle avoit fait procéder à l'Inventaire, d'où il résulte un déficit de 4 000 frs, elle se voit par la dans la nécessité de renoncer sur la succession et sans moien de payer les 52 frs 68 cts restans de celle de 62 frs 68 cts pour la quelle défunt son mari fut cotisé."
• Avis de Jacob Meyer, grand rabbin : "... Le Consistoire propose de réduire la cotisation à la moitié. Strasbourg, le 16 juillet 1816."
• Proposition acceptée le 26 juillet 1816 par le Conseil de Préfecture.
Les exemples ci-dessus nous montrent l'extrême misère dans laquelle devaient se débattre certaines familles juives.
2. Le certificat de non usure
Avant l'instauration des banques et autres caisses de crédit, l'argent étant physiquement rare, il était d'usage chez les paysans d'emprunter de l'argent aux juifs, moyennant un taux d'intérêt de 5 % en général. Néanmoins, "de nombreux chrétiens se plaignaient d'être victimes de l'usure pratiquée par les juifs (37).Devant les récriminations d'être exploités par les juifs, Napoléon Ier prendra une disposition qui a été nommée le "Décret infâme". En 1809, il impose à tous les juifs - et ceci aux seuls juifs - exerçant une profession commerciale ou industrielle, l'obligation d'obtenir un certificat de non usure, afin de recevoir leur patente."
C'est
en date du 25 mai 1813 que le conseil municipal (38), sous la présidence du maire Jacques Schneider, a accordé le certificat de non usure aux marchands juifs de Fegersheim. Le fait que ces certificats soient donnés en une seule fois à tous les marchands juifs du village laisse penser que les juifs de Fegersheim n'ont pas dû connaître les pressions qui se sont faites jour dans d'autres villages. Ci-dessous un extrait de la délibération, suivi des noms cités :
"...il est ordonné de réunir derechef le Conseil Municipal pour délibérer s'il y a lieu d'accorder des certificats de non usure aux Israélites qui demandent des patentes.
Le Conseil Municipal, après avoir examiné de près la conduite individuelle des Israélites de cette commune et après s'être persuadé de leur trafic sincère et sans usure, estime qu'il y a lieu de délivrer des certificats de non usure aux Israélites ci-après dénommés, savoir [à] :
On le voit, cinq ans après l'obligation de prise d'un nom patronymique édicté par Napoléon 1er, l'usage veut que les juifs soient cités sous leurs deux appellations, à savoir leur nouveau nom, à gauche, et leur ancienne dénomination, à droite.
Metzger David
ci-devant
David Abraham
Weil Nathan
ci-devant
Uhlmann David
Douer Schmulen
Werthenschlag Isaac
Isaac Salomon
Uhlmann Abraham
Auscher Schmulen
Klein Abraham
Fromel Abraham
Wildenstein Jacques
Jacques Lazard
Bloch Benjamin
Wolff Bloch
Wolff Alexandre
le même nom
Baumann Léopold
Loeb Jacques
Wolff Benjamin
Schielen Wolff
Hemedinger Abraham
Kalmen
Wildenstein Nathan
Nathan Lazard
Weil Salomon
Wolff Moïse
Masel Wolff
Klein Jacques
Jacques Feissel
Wolff Jacques
Meyer Marx
Marx Alexandre
Rueff Joseph
Joseph Jacob
Ledermann Raphaël
Fohlen Scheyen
Werthenschlag Emanuel
Salomon Mausché
Bloch Abraham
Heymann Isaac
Klein Abraham
Macholen Abraham le jeune
Bloch Emanuel
Hausmann Michel
Macholen Abraham
3. Le service militaire à l'époque napoléonienne
En ce ce début du 19ème siècle, les jeunes Français étaient incorporés dans l'armée en fonction d'un tirage au sort. Un mauvais numéro les obligeait à aller sous les drapeaux, avec tous les risques que cela entraînait. Par contre, en fonction des moyens financiers par exemple, il était possible de s'acheter un remplaçant, l'acte se faisant devant notaire. Cette clause n'était pas valable pour les juifs, mais après de nombreuses demandes, Napoléon accepta qu'un juif puisse se faire remplacer, sous la condition expresse que ce soit par un autre juif ! Si les actes notariés de Fegersheim nous donnent quelques exemples de ce type d' acte, il n'a pas été possible d'en trouver concernant deux conscrits juifs.
4. Les affaires, la police
En
premier lieu, nous verrons deux exemples d'affaires traitées par le juge de paix de Geispolsheim. Dans le premier cas, c'est au défendeur d'affirmer la vérité de ses allégations par le serment More Judaïco (39) devant le rabbin de Fegersheim et dans le deuxième cas, ce rôle est dévolu au demandeur.Nous rappellerons simplement que dans certains cas de figure, lorsque l'autorité judiciaire avait à traiter des affaires concernant les juifs, le juge imposait l'affirmation du serment devant le rabbin par le citoyen juif : cette mesure, totalement discriminatoire dans un état de droit, ne sera pourtant supprimée qu'en 1846.
Contre
Gimpel Gross, commerçant demeurant à Fegersheim, défendeur d'autre part.
Le demandeur conclut à ce que le défendeur soit condamné à lui payer la somme de soixante francs pour la moitié du prix d'un cheval sous poils bruns, qu'ils avaient acheté en communauté et dont le demandeur en a payé le montant en entier, lequel cheval ils ont revendu à feu Vetter, vivant Maître de poste aux chevaux à Fegersheim et dont le prix de revente est encore dû, aux intérêts de la dite somme depuis le jour de la demande et aux dépens ;
Le défendeur dit, que jamais il n'a acheté en communauté des chevaux avec le demandeur encore moins celui dont est question en la demande, conclut donc au renvoi de l'assignation avec dépens.
Considérant que le demandeur ne justifie d'aucun titre authentique ni d'aucune preuve légale comme quoi il y a eu communauté dans l'acquisition du cheval en question entre le demandeur et le défendeur ...
Pour ces motifs,
Nous Juge de Paix susdit avons débouté le demandeur de la demande et condamné aux dépens liquidés à trois francs soixante cinq centimes, et à charge néanmoins par le défendeur d'affirmer le huit janvier prochain, et ce devant le Rabin en la synagogue de Fegersheim comme quoi le cheval en question n'a point été acquis en communauté ou vendu.
Signé Zoepffel."
Gabriel Lehmann, commerçant, domicilié à Zellwiller, patenté par le Maire du même lieu le quatre août mil huit cent vingt huit, demandeur, comparant en personne d'une part
Et
Salomon Weyl, boucher, domicilié à Fegersheim, défendeur, comparant par le sieur François Joseph Schwend, père, propriétaire, domicilié au dit Fegersheim...
Le demandeur a conclu, aux fins de la citation de Schwend, huissier à Fegersheim, en date de 13 du courant... à ce que le défendeur soit condamné à payer au demandeur la somme de soixante quinze francs, que le défendeur lui doit pour prix d'une vache sous poils bruns et blancs qui lui a été vendue par le frère du demandeur Salomon Lehmann, commerçant de Zellwiller, au marché d'Obernai, il y a environ trois ans, aux intérêts depuis le jour de la demande et aux dépens.
A quoi il a été répondu par le défendeur qu'il convient d'avoir acheté la vache en question, mais qu'il en a payé le prix au demandeur ; qu'en conséquence il conclut à ce que le demandeur soit déclaré non recevable en sa demande et condamné aux dépens.
A quoi il a été répliqué par le demandeur qu'il est faux que le défendeur lui a payé le prix de la vache qu'il lui a vendu et qu'il lui a livré par son frère ; que, ne pouvant justifier du payement, les allégations du défendeur ne tendent qu'a éluder les condamnations qui doivent être prononcées contre lui ; qu'au contraire ses prétentions contre le défendeur sont suffisamment fondées, attendu que ce dernier convient du fait et ne peut justifier d'aucun payement ; qu'au reste il est à même d'affirmer la légitimité de sa prétention et qu'en conséquence il persiste dans sa demande.
Parties ouies : considérant
Que le défendeur convient d'avoir acheté la vache dont s'agit, et qu'il ne peut justifier d'en avoir payé le prix ;
Que par là le demandeur réunit une semi preuve en sa faveur ;
Qu'en conséquence il y a lieu de déférer le serment décisoire au demandeur ;
Que le demandeur offre d'affirmer par serment la légitimité de sa prétention.
Par ces motifs
Nous Juge de Paix du Canton de Geispolsheim, jugeant en matière civile, condamnons le défendeur à payer au demandeur la somme de soixante quinze francs, pour prix d'une vache sous poils bruns et blancs, qui lui a été vendue par le frère du demandeur Salomon Lehmann, commerçant de Zellwiller, au marché d'Obernai, il y a environ trois ans, aux intérêts depuis le jour de la demande et aux dépens liquidés à quatre francs quatre vingt douze centimes non compris les coût et levée du présent jugement, ceux de la signification d'icelui, les frais de transport et le coût du procès verbal qu'en sera dressé, de tout quoi il va être parlé et en tout le défendeur est aussi condamné ; à charge par le demandeur d'affirmer par serment More judaïco, devant le Rabbin et dans la synagogue de Fegersheim, que la somme adjugée lui est légitimement due ; fixons à ces fins le mercredi vingt huit janvier courant, dix heures du matin, au dit lieu, où nous nous transporterons assisté de notre greffier et où les parties seront tenues de comparaître..."
Jacques Klein, commerçant, domicilié à Fegersheim, demandeur comparant en personne, d'une part
Et
Jacques Wildenstein, commerçant, domicilié au dit Fegersheim, défendeur, comparant en personne, d'autre part.
... attendu que depuis et dans le courant de la présente année le défendeur est devenu propriétaire de la maison d'Antoine Antz, sise à Fegersheim rue dite Nesselgass, entre la propriété du demandeur et la rue communale, on verse tant d'eau par l'évier de cuisine, qui est établi vers la cour du demandeur, de manière que les eaux se répandent jusques dans la cour et au passage du demandeur pour entrer dans la maison, sans que le défendeur leur fait donner un écoulement dans la rue ou employer un moyen d'empêcher l'écoulement dans la cour du demandeur...
A quoi il a été répondu par le défendeur que l'évier qui donne de sa cuisine vers la cour du demandeur existe depuis longtemps, sans que lui ni le précédent propriétaire aient jamais été tenu de diriger les eaux autrement.
Et par le demandeur a été répliqué qu'il n'a jamais été assujetti à la servitude, que le défendeur prétend lui imposer, qu'il persiste en sa demande, et qu'il offre de justifier les faits, qui y ont donné lieu, tant par enquête que par l'aspect du local et qu'à cet effet il nous requiert d'ordonner la visite des lieux.
Suite le 28 octobre 1829 (liasse n° 435)
... nous sommes transportés à Fegersheim, rue dite Nesselgass, où étant arrivés dans la cour du demandeur Jacques Wildenstein et qu'à cet effet il a invité deux témoins à comparaître volontairement devant nous.
Est aussi comparu le dit Jacques Wildenstein, lequel a dit qu'il n'a moyen d'empêcher la visite dont il s'agit, qu'il offre d'y assister sous toute réserve de droit et qu'il nous requiert d'entendre les deux témoins, qu'il a appelés à comparaître volontairement, pour justifier ses droits et prétentions .
Nous Juge de paix.... Avons remarqué que l'évier établi dans la cuisine du défendeur, s'avance sur la cour du demandeur ; que la grande quantité d'eau, que l'on verse sans cesse par cet évier, se répand dans ladite cour, par conséquent nuit à la propriété du demandeur et pourrait même endommager le puits.
Sur quoi nous avons entendu les témoins du demandeur...
Premier témoin : Joseph Schlegel, âgé de soixante six ans, Maître maçon, demeurant à Plobsheim ;
Deuxième témoin : Jean Hoffmeister, âgé de soixante dix sept ans, tisserand, demeurant à Fegersheim.
Il a ensuite été procédé à l'audition des témoins du défendeur...
Premier témoin : Isaac Haussmann, âgé de trente ans, commerçant, demeurant à Fegersheim ;
Deuxième témoin : Laurent Walter, âgé de cinquante six ans, tisserand, demeurant à Fegersheim.
... Nous Juge de paix du Canton de Geispolsheim... ordonnons que l'évier restera tel qu'il existe aujourd'hui et que le défendeur fera à ses frais, dans les trois jours de la signification du présent jugement, une rigole encaissée, qui conduira les eaux sur la voie publique, et condamnons les parties chacune pour moitié et solidairement aux dépens..."
On notera que cette affaire concerne un problème de salubrité, d'hygiène ; ce n'est pas anodin, ce type de soucis sera une constante du 19ème siècle dans notre village. Les différents documents ci-dessous sont issus des rapports de gendarmerie du canton (43).
L'affaire qui suit est très importante au niveau des relations qu'entretient le conseil municipal avec la communauté juive. Le texte suivant est reproduit dans son intégralité.
Présents Jean Michel Scheyder Maire, François Jos. Beyhurst, Fr. Joseph Schalck, François Jos. Walter
Le conseil municipal
Vu la pétition présentée à Mr le Conseiller d'Etat Préfet du Bas-Rhin par la communauté juive de cette commune le 30 avril dernier.
Vu les budgets et comptes communaux de plusieurs années.
Considérant qu'il est notoirement connu que la rue dite Nesselgass a toujours été en vue par les autorités locales qui se sont succédées, et que depuis une vingtaine d'années, le fond en a été élevé d'un mètre ; qu'aucune des autres rue n'a eu de telles réparations, et qui cependant sont en bon état, parce que les habitants catholiques ne se permettent pas comme les israélites de verser les eaux de toutes natures et les immondices et matières fécales sur la voie publique ; que si cette rue est malpropre depuis un temps immémorial, il ne suit pas delà que les habitants catholiques en sont la cause ; mais bien les femmes juives, qui ne se donnent pas la peine de vider les urines (et ce sur leur fumier) ; la plupart des maisons sont dépourvues de lieux d'aisance, et donc il serait difficile à leur procurer une rue saine et propre. Que Fegersheim n'est pas réputé Ville ; et que les fonds communaux ne permettent pas de faire la dépense du pavé exclusif de la rue des juifs ou Nesselgass.
Pour ces motifs
Est d'avis qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur la demande folle et vexatoire de la communauté juive de cette commune, mais qu'il serait utile de leur enjoindre d'observer les dispositions de l'article 471 du code pénal qu'elle méconnaît absolument, et qui rend la rue qu'elle habite, et qui par là une observation de ces dispositions dans l'Etat ou elle se trouve souvent."
On le voit, la situation devait être explosive dans la commune. On verra que ce problème sera récurent, car en 1855 et 1856, ce type de situation se reproduira.
Pour continuer, quelques affaires tirées des rapports de tournées de la gendarmerie, ou de rapports établis par le commissaire de police à la préfecture.
Vue de la propriété "Le petit Château", que Salomon Wertenschlag voulait transformer en auberge. |
La réponse du commissaire de police d'Illkirch datée du 1er juin 1862 ne laisse aucune chance au demandeur :
"... Le petit château dans lequel le dénommé Werdenschlag Salomon, fils d'Isaac, commerçant à Fegersheim, désire ouvrir un débit de boissons est situé entre Ichtratzheim et Fegersheim, dans un endroit assez retiré pour qu'il soit possible d'exercer une bonne surveillance sur cet établissement ; du reste les 'débits de vin et autres liqueurs qui existent à Fegersheim n'ont pas besoin d'être multipliés, ils sont assez nombreux et sont plus que suffisants pour les besoins de la population, ils sont au nombre de 10 plus deux débits de vin aux pots renversés, et tout cela pour une population qui ne dépasse pas 1 854 âmes.
Le pétitionnaire, en disant dans la demande qu'il a été engagé par les principaux habitants de la commune à faire les démarches nécessaires pour obtenir l'autorisation d'ouvrir le débit dont il est question fait erreur, ou s'écarte de la vérité, car je vois figurer sur la demande les noms des nommés Reibel, Hertrich, Metz qui sont loin d'être des notables de la commune, mais bien trois ivrognes qui comptent pouvoir rester après l'heure de la retraite une fois que le cabaret de Werdenschlag sera ouvert au public.
Quant à la moralité du pétitionnaire elle est douteuse puisqu'à chaque instant des plaintes sont portées contre sa probité aux autorités locales."
Les services de renseignement ont l'air efficace, car la réponse du commissaire de police n'a pris qu'une semaine pour être mise noir sur blanc. On remarquera au passage qu'il y avait dix débits de boissons pour 1 854 âmes. A titre de comparaison, cela équivaudrait, en 2003, à une batterie de près de trente auberges disséminées dans la commune de Fegersheim-Ohnheim.
Après que le commissaire ait bien savonné la planche, le coup de grâce est asséné par le 27ème bureau de la préfecture de Strasbourg, en date du 10 juin 1862 :
"... Homme faible... avide d'argent, il permettrait sans doute tous les désordres. Très souvent il m'a été fait des plaintes contre sa probité dans son commerce de fil, contre sa loyauté. Ses fils et filles ne garantissent pas que les devoirs de la bienséance seront toujours observés... La propriété Werdenschlag se trouve à une certaine distance du centre de la commune, à l'écart, dans des conditions telles qu'une surveillance, une police réelle ne pourrait y être faite, et que tous les désordres pourraient y avoir lieu. Presque à mi-chemin entre Fegersheim et Ichtratzheim, sur les confins des deux banlieues, il serait très facile de s'y soustraire à l'action de la police des deux commu‑
nes ; les bois bosquets offriraient un asile à peu près sûr.
La situation de la maison, sa construction se prêteraient très bien pour faire la fraude, se soustraire à l'exercice de l'administration des vins ; je suis assez persuadé qu'on ferait bon usage de cette facilité.
L'intérêt des moeurs s'oppose à l'ouverture de ce cabaret. Il y aurait là des réunions immorales, des scandales qu'il est du devoir d'empêcher...
Les signatures que porte la demande ne sont pas sérieuses : la première semble être celle d'une fille ; la troisième est celle d'un jeune homme ; les autres : Waldejo, Seer, Hertrich, Metz, sont celles de pères de famille qui trop souvent oublient leurs devoirs ; tous quatre sont chargés d' enfants, et ne peuvent vivre que du produit du travail de leurs reins ; ce sont de petits laboureurs, et des artisans depuis trop longtemps on leur reproche d'être adonnés au jeu, à la boisson ; le nouveau cabaret ajouterait à la ruine de leurs famille."
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que le préfet rejette la demande le 21 juin 1862.
Copie de la demande de Salomon Wertenschlag |
Ces différents rapports ne font pas ressortir de spécificités propres à la communauté juive. On remarquera néanmoins que la période actuelle n'a rien à envier à celle décrite ci-dessus : des vols, des amendes, des délits constatés pour dépassement de l'heure d'ouverture des débits de boisson. Les rapports ne concernant pas les israélites ont été expurgés de cette série et font état de soucis totalement similaires.
5. Une exception : la représentation "idéale" du village
Nous avons la chance de voir ci-dessous un document déjà souvent publié mais dont certains aspects ont été occultés.
Cette carte a été écrite le ler avril 1918 : en dehors de l'église, de la gare, de la poste et de l'hôtel Schalck, nous pouvons voir la synagogue, la villa Werdenschlag ainsi que l'auberge Hausmann. Ainsi, les maisons et édifices juifs n'ont-ils pas été oubliés lors de la composition de cette carte postale. Cela est peut-être moins dû a une certaine tolérance intercommunautaire très hypothétique qu'au fait que l'éditeur (G. Blümlein de Francfort) et le distributeur (G. Kraemer de Wasselone) semblent tous deux être de confession israélite.
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