Fils d'Isaac Sekel de Mutzig, il était né à Ribeauvillé en 1739 ; son père était le chef de la communauté juive, à laquelle était rattachée celle de Bergheim. Isaac Sekel était le fils d'Aron Meyer (c'est-à-dire Aron fils de Méir), qui exerçait la même fonction à Mutzig. Ainsi le nom de famille Meyer était-il sans doute le prénom du bisaïeul de Jacob, consacré par la notoriété de l'aïeul. Toutefois, comme c'était l'usage avant 1808, ce patronyme n'était ni obligatoire, ni immuable ; c'est pourquoi il ne figure pas dans les premiers documents hébraïques que nous possédons sur Jacob Meyer. (Voir mon article : Une oraison funèbre de Jacob Meyer, Revue des Etudes juives (XXIV, 1/2, janvier-juin 1965, p. 213-218).
D'après Ginsburger sa mère s'appelait Gelche, et était la fille du fameux "grand rabbin d'Alsace" Samuel Sanwil Weil, à qui cet historien a consacré une étude : Samuel Sanwil Weil, rabbin de la Haute et Basse Alsace (1711-1753) (REJ XCVI, 1933, p. 54-75 ; 179-198).
Jacob, qui avait de qui tenir, fit ses études à Karlsruhe et
à Francfort, et il eut pour maître le savant David Tewele Scheuer,
plus tard rabbin de Mayence, et Salomon Salmann de Berlin.
Dès 1762 nous le trouvons à Niederhagenthal, où il compose
un petit traité sur le calendrier, intitulé Yode'é
ha-itim ("Les Connaisseurs des temps", expression empruntée au Livre
d'Esther 1:13). Celui-ci ne fut jamais imprimé, mais il est conservé
à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, dont
il est le manuscrit hébraïque no 4 (Catalogue de S. Landauer : n°
3930 du catalogue général du Dr E. Wickersheimer). L'auteur s'y
désigne sous le nom de "Yâakov dit Yekel, fils du rabbin
Yitshak Sekel Mutzik de Rapschwihr, domicilié pour le moment ici à
Niederhagenthal".
Aussi curieux que cela peut paraître, non seulement l'orientaliste Landauer
n'a pas restitué le nom de Jacob Meyer, mais Ginsburger lui-même,
de qui Wickersheimer a tiré sa documentation sur les matières
juives, fournit tous les détails biographiques sur ce personnage, qui
"mourut grand rabbin à Strasbourg en 1830", mais omet de dire sous quelle
identité il est généralement connu.
Par la suite Jacob Meyer fut appelé à fonctionner comme dayane
(adjoint au rabbin, spécialisé dans les décisions rituelles)
à Rixheim, toujours
dans le Haut-Rhin. Le dénombrement général de 1784-1785
mentionne "Jacques Meyer, commis-rabbin" dans cette localité.
Mais c'est dans le Bas-Rhin qu'il devait occuper de hautes charges. Tout d'abord
il devint rabbin de Niedernai,
l'une des principales communautés de la région, dont le beith
dîn (tribunal rabbinique) était réputé
dans toute l'Alsace, et au delà. Il y succédait au fameux maître
de la Tora Benjamin
Hemmendinger (et non directement à Joseph Steinhart, comme l'affirme
Ginsburger). C'est à Niedernai qu'il assista aux orages de la Révolution
et qu'il passa les premières années de l'Empire. Aussi est-ce
en tant que rabbin de cette localité qu'il siégea à l'Assemblée
des Notables en 1806 et au Grand
Sanhédrin de Paris en 1807.
Les documents de l'administration préfectorale que nous possédons nous montrent en quelle estime le tenaient les chrétiens. (Toutes ces pièces figurent au dossier D390 (608) versement préfectoral pour l'arrondissement de Sélestat des Archives départementales du Bas-Rhin). Le 23 juin 1806, le sous-préfet de Sélestat, Cunier, le présente en tête de la liste des candidats qu'il propose pour l'Assemblée des Notables. Il signale qu'il exerce le rôle de traducteur-juré auprès du Tribunal de l'arrondissement et souligne qu'il "jouit d'une réputation intacte" et qu'il "a des lumières". C'est un témoignage exceptionnellement favorable. Effectivement, les maires sollicités de donner leur avis n'ont trouvé personne d'autre que lui qui remplisse vraiment les conditions exigées, et notamment qui sache le français couramment.
Néanmoins, il préférait écrire en allemand. Ainsi, quand le sous-préfet lui communiqua son arrêté du 22 juillet 1808, réglant la procédure à suivre lorsqu'un juif fait appel contre le refus du Conseil municipal de lui accorder un "certificat de non-usure" pour qu'il puisse recevoir une patente et exercer un commerce (la patente lui sera remise provisoirement et le Conseil devra articuler contre lui des faits précis, auxquels il sera autorisé à répliquer), le rabbin Meyer répondit en ces termes :
(J'ai eu l'honneur de recevoir hier votre très honorée du 22 courant,
avec les exemplaires joints de votre arrêté du même jour.
Je vous en suis extrêmement obligé, et je vous remercie de l'honneur
dont vous m'avez comblé avec votre missive, et particulièrement
de la bonté que vous avez manifestée en arrêtant la décision
que vous avez prise au sujet des patentes en faveur des adeptes de ma religion
et en leur rendant justice. Etant persuadé de longue date de vos sentiments
d'humanité, je n'ai jamais pu douter que vous contribueriez de votre
mieux, Monsieur, à soutenir une partie des concitoyens français
haïs sans motif par le commun des hommes, et que vous les aideriez à
jouir de leurs droits.
En ce qui me concerne, je ne sais pas comment je pourrai m'acquitter de la dette
que j'ai contractée envers vous. Ayez la bonté de me fournir une
occasion de vous servir : car alors je témoignerai que je suis respectueusement
Votre dévoué serviteur.)
Bien plus, parmi tous les textes qui traitent de l'usure des juifs sous Napoléon
Ier, le plus impitoyable me semble justement la diatribe du rabbin de Niedernai
contre ses coreligionnaires malhonnêtes. En effet, on peut toujours taxer
d'antisémitisme aveugle les non-juifs qui criaient que les juifs les
écorchent, surtout quand de si nombreux témoignages non suspects
affirment que les enfants d'Israël étaient de pauvres malheureux,
qui s'efforcent tant bien que mal de subvenir aux besoins de leurs nombreuses
familles avec les seuls moyens laissés à leur disposition par
une législation cruelle, auxquels on ne peut exiger qu'ils renoncent
du jour au lendemain.
Mais quand c'est leur propre chef spirituel qui les apostrophe, au cours d'une
oraison funèbre prononcée
en 1805, et conservée en manuscrit à la Bibliothèque de
Strasbourg (j'ai démontré dans l'article précédemment
cité qu'elle a Jacob Meyer pour auteur), on ne peut plus parler de préjugés.
Effectivement, lorsque David
Sinzheim eut choisi le poste de grand rabbin du Consistoire central, Jacob
Meyer, comme nous l'avons vu plus haut, exerça l'intérim, et fut
à partir de 1813 le grand rabbin en titre du Bas-Rhin.
Malgré son âge avancé, il put remplir encore ses fonctions
pendant dix-sept ans, et, comme il était d'usage alors, il les concilia
avec celles de président du Consistoire.
D'après Ginsburger, il avait composé un grand nombre d'ouvrages talmudiques, mais ils n'ont été identifiés dans aucune grande bibliothèque. Comme le même auteur pense que ses manuscrits ont été confiés à son disciple Léopold Sarrasin (dont j'ai évoqué la figure dans l'Almanach de 1965), peut-être en trouverait-on la trace à la Bibliothèque de la Synagogue de la rue Cadet, à Paris, héritière de l'oratoire où officia le rabbin Sarrasin. D'autre part, il envoya au ministre des Cultes de Napoléon un mémoire très vigoureux contre le serment more judaico (R. Aschel, Napoléon et les juifs, p. 566).
L'article mortuaire du Courrier du Bas-Rhin (30 mai 1830) déjà rapporté par M. Ginsburger, mérite néanmoins d'être reproduit, car, pour l'époque, il fait montre d'une estime assez inhabituelle à l'égard d'un israélite. En voici le texte :
Les Sheéloth outechouvoth du grand rabbin
Jacob MEYER intitulées EMET LE-YAAKOV sont parues aux édition MORASHA- Ma'hone Aarone Veyisraël.
Une préface historique du rabbin Yoel CATANE traduite en français,
un préambule du grand rabbin Max WARSCHAWSKI
figurent dans le livre. Le rabbin Claude HEYMANN président de MORASHA écrit dans son avant-propos : "L' association MORASHA qui s 'est donnée pour mission de préserver et de faire connaître le patrimoine juif alsacien dans toute sa diversité est heureuse de voir se réaliser la présente édition du livre du grand rabbin Jacob Meyer. Après avoir montré l' importante du rôle des 'hazanim-chantres dans l'Alsace rurale du XIXème siècle, MORASHA a voulu mettre à la portée du public l' oeuvre écrite d 'un des grands rabbins les plus discrets, car un peu ignoré des historiens, du judaïsme sous l'Empire". Le livre est disponible à Strasbourg auprès du Rabbin Claude HEYMANN : 5, rue de l' Observatoire 67000 Strasbourg - claudaluheymann@wanadoo.fr tél : 03.88.45.09.26. au prix de 25€ frais d 'envoi compris. |