Chronique de la communauté juive de Lauterbourg (suite et fin)


1870 : l'amorce du déclin

La France déclara la guerre à la Prusse, le 19 juillet 1870. Le 26 juillet, les soldats prussiens investissent Lauterbourg, afin de se ravitailler. Les habitants durent nourrir et loger les troupes de passage (ainsi, Samuel Auscher hébergea le Grand Duc de Bade). La population répondit avec zèle à toutes leurs demandes, trop heureuse d'éviter les scènes de pillage, comme celles qui avaient eu lieu durant les guerres napoléoniennes. Quelques jours après le début des hostilités, un juif de Lauterbourg, Abraham Braun, fut arrêté avec ses amis dans le café Françoise (aujourd'hui, l'hôtel-restaurant du Cygne), pour avoir chanté la Marseillaise sur le passage des troupes prussiennes. Il sera condamné à payer une amende.

Dans son journal, l'instituteur israélite Abraham Asch, relate cette période. Ce journal est aussi un document qui nous renseigne sur la vie quotidienne et les conséquences locales de la guerre. Il raconte au jour le jour l'évolution des événements militaires, politiques et civils, avec des passages où s'expriment des élans patriotiques exacerbés, certes bien dans l'époque, mais qui démontrent avec éclat l'attachement qui lie les juifs à leur région et à ce pays.

Même si Lauterbourg est pour une fois relativement peu affectée par les batailles, la guerre de 1870 y laisse des traces humaines et économiques très profondes. L'Alsace et la Moselle sont annexées par l'Allemagne et beaucoup parmi les habitants, juifs et non-juifs, se réfugièrent du côté français.

La modernité s'installait peu à peu à Lauterbourg; elle y avait amené la bicyclette, la voiture, le téléphone chez Abraham Braun en 1901, puis l'électricité, dont on dota même la synagogue en 1907. En même temps se développe un important processus d'urbanisation et d'industrialisation qui précipita le déclin de la communauté juive de Lauterbourg. En 1880, la municipalité avait rayé de son budget le traitement de l'instituteur israélite, une mesure qui se justifiait par le nombre réduit de ses élèves. L'école israélite continua tant bien que mal. Finalement le 13 février 1900, après 8 ans d'exercice, le dernier instituteur israélite, Abraham Meyer, partit enseigner à Ingwiller. On répartit dans les autres classes de la commune les 8 élèves dont il s'occupait. L'école protestante récupéra les locaux. A cette époque, on ne comptait déjà plus que 58 israélites sur 1.602 habitants. Le 20 avril 1910, le consistoire israélite décida de ne plus attribuer de rabbin à la communauté. On rattacha le rabbinat de Lauterbourg à celui de Wissembourg.

La population juive se stabilisa autour d'une quarantaine de personnes. L'insouciance semblait baigner les années qui suivirent le retour de l'Alsace à la France en 1918. Dès qu'on le leur avait permis, les israélites s'étaient efforcés de participer activement à la vie locale, régionale ou même nationale. En voici quelques exemples:

Léon Auscher, le premier élu israélite de Lauterbourg, puis Samuel Auscher (1819-1889) furent conseillers municipaux et conseillers généraux. Une autre figure marquante fut le docteur Hermann Picard auquel on consacra même une biographie. C'était un médecin doublé de talents de poète, qui publiait régulièrement ses oeuvres rédigées en dialecte rhénan. C'était un médecin très apprécié, pour lequel la population entière se mobilisa lorsqu'il fut injustement incarcéré pendant 8 mois en 1925 pour des accusations sans fondement dans une sombre affaire d'infanticide.

A Lauterbourg l'intégration des israélites avait fini par l'emporter. Les religions jadis opposées vivaient parfois sous le même toit. On s'invitait mutuellement aux différentes fêtes. Les enfants de toutes confessions partageaient leurs jeux quotidiens. Mais déjà, de l'autre côté du Rhin le nazisme faisait son oeuvre.

Fin de la communauté juive de Lauterbourg

L'incendie de Lauterbourg - Juin 1940
Quelques temps avant l'entrée de la France dans le conflit, David Lévy recueillit dans la maison communautaire où il logeait des juifs allemands qui fuyaient le régime nazi. Très vite, la gendarmerie française mit la main sur ces réfugiés et les refoula manu militari de l'autre côté de la Lauter. Pour avoir caché ces indésirables, et comme de surcroît fonctionnaire de l'État français, on condamna David Lévy à une forte amende.

Des affiches anonymes, collées la nuit dans les couloirs de la maison communautaire de Lauterbourg, étaient sans ambiguïté, offrant en langue allemande un “voyage gratuit pour Israël, mais sans retour”. Aucune illusion n'était plus permise.

Le 1er septembre, la mobilisation générale est décrétée en France. Les localités coincées entre la ligne Maginot et le Rhin, sont évacuées dans l'après midi du 1er septembre 1939. Les habitants se réfugient à Saint-Priest Taurion. Une partie reviendra dès le mois de juillet.

En 1940, Charles Dauer, travaillait aux Ponts et Chaussées à Metz, alors occupée par les nazis. Il était chargé de travaux dans une caserne, lorsqu'il fut attiré par une photographie d'un journal allemand. Charles Dauer subtilisa la photographie, qu'il plia pour mieux la dissimuler, et la conserva précieusement. L'image prise vers le mois de juin 1940 montre sa ville natale Lauterbourg, ravagée par les destructions, sous les yeux d'un soldat allemand perché sur le clocher de l'église. La légende de la photographie mentionne: “Von uns Deutsche zerstörtes Lauterburg” (Lauterbourg détruit par nous les Allemands).

La synagogue en flammes - Juin 1940
Le 10 février 1942, les immeubles appartenant à la communauté juive furent transférés à la commune de Lauterbourg et les biens personnels des israélites, pillés ou dispersés.

Sur cette page, la plus noire de notre Histoire, sont inscrites conjointement la bravoure et l'ignominie. Les juifs seront nombreux à prendre le maquis. Ainsi, Roger Kauffmann, natif de Lauterbourg, entra dans la résistance à Moissac. Il y réside toujours.

A l'opposé, Gabie, l'une des trois filles de David Lévy, tous réfugiés alors à Saint-Priest Taurion, fut arrêtée par les nazis en février 1944. Elle avait été dénoncée par l'une de ses propres coreligionnaires, à laquelle on avait fait la fausse et machiavélique promesse, qu'en échange de sa collaboration, lui serait rendu son mari déporté. Alors qu'on enlevait sa fille, David Lévy, s'écroula foudroyé par une crise cardiaque qui le laissa paralysé. Les soldats allemands le laissèrent pour mort devant son domicile. Il vécut la fin de la guerre dans l'attente du retour de sa fille. Chaque jour, campé sur le seuil de sa maison du lever au coucher du soleil, il guettait la frêle silhouette de Gabie, qui jamais ne revint.

La synagogue détruite
Finalement, après de farouches batailles de Janvier à Mars 1945, les Allemands avaient fini par se replier derrière la Lauter. Lauterbourg, la dernière ville française à être libérée, point de passage obligé des colonnes alliées, resta pendant deux semaines encore la cible des batteries ennemies. La communauté juive avait perdu sa synagogue et Lauterbourg, son symbole, le Mitteltor, dynamité par les Allemands lors de leur retraite.

Dans les années 1950, la petite communauté juive de Lauterbourg comptait 10 personnes, alors qu'il y en avait eu encore 43 avant la guerre. Les noms des juifs qui n'étaient pas revenus d'Auschwitz, sont associés aux victimes de la deuxième guerre mondiale sur le monument aux morts de Lauterbourg. Beaucoup de survivants ne revinrent pas s'installer à Lauterbourg. Pour certains, la puissance de l'enracinement sera plus forte. Ainsi, en 1946, Robert Braun revint à son tour chez lui. Il était né le 11 août 1891 à Lauterbourg, alors allemande. Conformément aux dispositions du traité de Versailles du 28 juin 1919, il lui fallait demander la nationalité française. Robert travaillait alors à Aschaffenburg en Allemagne, et avait chargé son père de faire les démarches nécessaires pour lui, ce qui, pour des raisons non élucidées, n'avait pas été suivi d'effet. Le délai pour cette démarche avait expiré le 25 janvier 1921, et Robert se battra toute sa vie pour revendiquer sa nationalité française. Il obtiendra enfin sa naturalisation le 30 avril 1957, et mourut, Français, huit mois plus tard.

Les gravats de la synagogue réunis (d'ailleurs très symboliquement) aux ruines des autres immeubles de la ville (qui fut détruite à 90 %) servent aujourd'hui de ballast à la voie de chemin de fer qui relie Lauterbourg à Strasbourg.

Il ne subsiste que de rares vestiges de la synagogue: quelques pavés, une marche et un montant en grès de la porte d'entrée. Ils affleurent dans le jardin d'une maison reconstruite au 1, rue des Pêcheurs. Des fouilles pourraient aussi mettre à jour, à l'endroit où se trouvait la cour de la maison communautaire, les restes d'un ancien bain rituel. Le souvenir de cette communauté n'est plus matérialisé que par le cimetière israélite. Il y eut bien une rue des juifs, mais on la débaptisa au 19me siècle pour lui donner le nom de rue du Lion. Cette rue n'existe plus aujourd'hui.

L'antisémitisme, à nouveau muselé, est resté cependant bien vivant, comme en témoigne la profanation du cimetière en 1964. Des juifs de Lauterbourg, il n'en reste que trois aujourd'hui, derniers représentants de l'une des plus anciennes communautés de notre région. Près de 170 ans après sa mort, les placements de la fondation Auscher portent toujours leurs fruits aujourd'hui. Ils sont gérés par le consistoire du Bas-Rhin. Une partie des intérêts sont versés pour couvrir une tranche de l'entretien du cimetière. A l'image d'Isaac Auscher, cette communauté juive de l'Outre-Forêt nous laisse aussi son testament. Marqué par des étapes tragiques, il nous exhorte à garder en exemple les notions de confiance, d'espérance et de fidélité, conditions essentielles pour la survivance de l'Humanité. C'est ce que l'on pourrait appeler “Le Dernier Testament”.

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